L'affaire est partie d'un rapport de la Cour des comptes portant sur les opérations extérieures françaises et notamment leur logistique. L'institution avait finalement signalé les faits à la justice.
Un transall de l'armée française à Niamey, au Niger, le 12 juillet 2019. ( AFP / BOUREIMA HAMA )
Chef d'état-major, général, colonel... Des hauts gradés de l'armée française et un de ses principaux sous-traitants pour la logistique des opérations extérieures (Opex) sont jugés à partir de lundi 9 septembre devant le tribunal correctionnel de Paris pour des soupçons de corruption et de favoritisme.
Parmi les prévenus figurent huit militaires, au premier rang desquels l'ancien chef d'état-major du Centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA), le colonel Philippe Rives, qui doit comparaître pour favoritisme, corruption passive, violation du secret professionnel et prise illégale d'intérêts. Un ancien commandant du CSOA, le général Philippe Boussard, un lieutenant-colonel du Commandement des opérations spéciales (COS), Christophe Marie, et le président de la société International Chartering Systems (ICS), Philippe de Jonquières, seront également sur le banc des prévenus.
Ils sont soupçonnés, à des degrés divers, d'avoir participé dans les années 2010 à une opération ayant permis à ICS -qui comparaît comme personne morale- d' être favorisée dans l'attribution de plusieurs marchés de logistique , notamment concernant le transport aérien, pour des Opex de l'armée française.
L'histoire a démarré en 2016 par un rapport de la Cour des comptes étudiant les Opex françaises, dont leur logistique. Faute de solution tricolore, entre des Transall vieillissants ou des A400M à la livraison retardée, l'armée française a eu régulièrement recours aux "très gros porteurs russes ou ukrainiens", notamment des Antonov 124, "une ressource rare au niveau mondial", comme le rappelaient les magistrats de la rue Cambon. Comment ? Principalement via deux prestataires extérieurs, l'agence de soutien de l'Otan Salis et le logisticien privé ICS, vieux compagnon de route de l'armée française, pour des contrats se chiffrant en centaines de millions d'euros .
Partage d'informations stratégiques
Outre des doutes sur leur avantage stratégique, la Cour des comptes s'interrogeait sur le surcoût des prestations offertes par ICS par rapport à celles de Salis. Il n'est pas possible de "comparer directement" les deux, avait répondu en mars 2018 le ministère des Armées. La Cour des comptes a finalement signalé à la justice ces faits, comme l'armée un peu plus tard, donnant lieu à une enquête, révélée par le journal Le Monde et ouverte début 2017 par le Parquet national financier (PNF). Les gendarmes de la section de recherches de Paris ont perquisitionné en octobre de la même année le CSOA à Vélizy-Villacoublay (Yvelines) et les locaux d'ICS à Paris.
L'enquête, riche de 8.000 pages selon une source proche du dossier, a abouti, selon des révélations en 2018 de la cellule investigation de Radio France , à la découverte d' échanges soutenus entre plusieurs haut gradés et les responsables d'ICS à des moments-clés de passation de marchés.
Les investigations ont également mis au jour plusieurs manipulations potentielles qui auraient permis à la société d'être mieux notée dans les processus d'attribution.
Selon une note de synthèse du PNF de juillet 2022 dont l' AFP a eu connaissance, le colonel Philippe Rives, par exemple, est soupçonné d'avoir rédigé, entre février et décembre 2015, "une fiche interne favorable à ICS" ou transmis des informations stratégiques au président de la société , Philippe de Jonquières, en échange de son embauche future comme directeur général adjoint d'ICS.
Philippe Broussard est suspecté de favoritisme, en ce qu'il aurait contribué à ce qu'ICS soit "privilégiée" dans l'attribution des missions, "pour un surcoût minimum estimé de 16,3 millions d'euros". En novembre 2017, après l'ouverture de l'enquête pénale, l'armée française n'a pas reconduit le marché qui la liait à ICS sur le marché du fret des opérations extérieures.
En marge de ce dossier, trois journalistes de Radio France et de Disclose qui avaient enquêté sur l'affaire ont été entendus en décembre 2022, en audition libre, par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), pour des soupçons d'atteinte au secret de la défense nationale.
Le procès est prévu jusqu'au 25 septembre.
3 commentaires
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer