
Le dirigeant français d'extrême droite Jordan Bardella
par Elizabeth Pineau
Enfant de la banlieue parisienne, Jordan Bardella rêvait d'être Superman ou James Bond. A 29 ans, le président du Rassemblement national (RN) songe à épouser une grande brune à la personnalité affirmée tout en se préparant à occuper les plus hautes fonctions du pays.
Si la prestation du député européen à l'émission "Une ambition intime", diffusée dimanche sur M6, n'a donné lieu à aucune révélation fracassante, elle a installé l'ambitieux élu à la nature réservée dans le cercle des personnalités politiques prêtes à dévoiler un pan de leur vie privée pour mieux se faire connaître des Français.
La démarche s'ajoute à la publication d'un livre à succès, "Ce que je cherche", qui devrait être suivi dans quelques mois d'un ouvrage consacré au travail, a fait savoir son entourage.
Autant de cailloux semés par le "plan B" du RN pour l'Elysée en cas d'empêchement de la candidate prédestinée, Marine Le Pen.
A 56 ans, l'expérimentée cheffe de file du groupe à l'Assemblée nationale devra renoncer à briguer une quatrième fois l'élection suprême si sa condamnation à cinq ans d'inéligibilité prononcée le 31 mars pour avoir détourné des fonds européens est confirmée en appel l'an prochain.
Si elle est empêchée, Jordan Bardella a dit qu'il serait le candidat de l'extrême droite, camp donné en tête au premier tour à plus de 30% des intentions de vote dans les sondages.
"LOYAUTÉ" ET "FIDÉLITÉ"
La décision de justice a changé le regard sur le duo formé par la fille du fondateur du Front national (devenu Rassemblement national) Jean-Marie Le Pen, décédé en janvier, et l'ancien enfant timide de Seine-Saint-Denis propulsé président du parti en 2021 après 10 ans de militantisme.
Dans "Une ambition intime", tournée avant le jugement, Jordan Bardella réaffirme sa "loyauté" et sa "fidélité" envers Marine Le Pen, qu'il vouvoie, appelle plusieurs fois par jour et avec qui il passe une partie de ses vacances.
"Je n'ai pas une relation de protection de Jordan, pas de forme d'ascendance sur lui, on a vraiment une relation d'égal à égal", dit Marine Le Pen dans l'émission qui a été regardée, selon Médiamétrie, par plus d'un million de téléspectateurs.
En Nouvelle-Calédonie la semaine dernière, la députée du Pas-de-Calais a eu des mots moins suaves en affirmant dans un sourire que son poulain, qui a abandonné ses études supérieures pour se consacrer à la politique, ne connaissait "pas très bien les problématiques de l'archipel".
En déplacement à Beaucaire (Gard) ce jour-là, Jordan Bardella a répliqué à fleurets mouchetés que le dossier ne lui était pas étranger.
Pour le député et porte-parole du RN Laurent Jacobelli, toute surinterprétation de cet échange serait erronée.
"Les cadres du mouvement voient, en réunion de parti ou de l'assemblée, les deux travailler ensemble en tandem. Ils se soutiennent mutuellement. Les rumeurs ne touchent pas nos cadres. Et les militants non plus", a-t-il dit à Reuters.
Louis Aliot, maire de Perpignan et proche de Marine Le Pen, a lui aussi rejeté, en réponse à Reuters, tout grain de sable entre les deux élus.
"Marine suit le dossier de Nouvelle Calédonie depuis presque 20 ans. Jordan n'y est jamais allé. Cela veut dire qu'il ne le connaît pas comme elle le connaît. Pas plus", a-t-il affirmé.
Même en privé, les responsables du RN repoussent toute idée de césure à la tête du parti qui se met en ordre de marche pour succéder à Emmanuel Macron en 2027.
"Jordan et Marine, ce ne sont tout simplement pas les mêmes personnes. Ils n'ont pas le même âge, pas le même vécu, ce ne sera pas la même campagne", a confié à Reuters sous couvert d'anonymat un haut cadre du parti. "Les deux peuvent gagner."
"JE N'AIME PAS PERDRE"
Le positionnement politique du futur candidat aura son importance, dit le politologue Stéphane Rozès.
"Les incertitudes sur la candidature ont aiguisé les différences de sensibilités, notamment chez les tenants de l'alliance des droites qui veulent promouvoir Jordan Bardella contre Marine Le Pen, jugée trop sociale et sur un positionnement gaullien de renvoi dos-à-dos de la gauche et de la droite", a dit à Reuters le président de Cap.
Pour William Thay, président du think tank Le Millénaire, l'incertitude judiciaire oblige les deux leaders à revoir la stratégie interne du parti et celle de l'élargissement électoral indispensable à une entrée à l'Elysée.
Marine Le Pen doit "dépasser le fameux plafond de verre pour espérer une victoire tout en maintenant son leadership sur le parti pour rester la candidate naturelle de son camp", a dit le politologue à Reuters.
Le risque pour Jordan Bardella est à ses yeux de "passer plus de temps à contrer les attaques de ses rivaux en interne plutôt que de poursuivre son opération de séduction de l'ancien électorat de droite".
Pour l'heure, Jordan Bardella soigne sa stature internationale en multipliant les déplacements à l'étranger. Après les Etats-Unis, Israël et la Grèce pour une réunion du groupe qu'il préside à Strasbourg, "les Patriotes de l'Europe", il est cette semaine aux Emirats arabes unis.
Jordan Bardella doit "travailler ses dossiers et mettre à niveau le RN", dit Stéphane Rozès, qui anticipe en cas de victoire "un gouvernement de large union nationale, incluant Marine Le Pen, pour rassurer les catégories populaires."
Les deux leaders doivent se retrouver à Montargis (Loiret) le 9 juin pour un meeting marquant le premier anniversaire des élections européennes qui ont placé le RN en tête en France.
Quel que soit le candidat en 2027, le choix se fera sur les idées, affirme Jordan Bardella dans "Une ambition intime".
"J'aime bien gagner, je n'aime pas perdre", dit aussi ce sportif actif et très suivi sur les réseaux sociaux.
(Reportage Elizabeth Pineau, édité par Blandine Hénault)
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