
L'économie américaine l'a bien compris, qui a titrisé, en 2024, six à huit fois plus de risque que l'Union européenne (2.200 milliards de dollars contre 245 milliards d'euros). (Crédits: Unsplash - Nicolas Jehly)
Transformer des actifs difficiles à vendre en titres financiers négociables est l'objectif de la titrisation. Dans le contexte économique actuel, et face aux tensions géopolitiques, faut-il redonner ses lettres de noblesse à ce principe économique ? Réponse argumentée de Philippe Trainar.
La réponse est clairement oui, en dépit de la réputation «sulfureuse» de la titrisation depuis la crise financière de 2008, dont la responsabilité a été imputée, largement à tort, à la titrisation, dans le cadre des «subprime» et des «credit default swap». Les réformes financières introduites en réaction à la crise de 2008 ont été caractérisées par une suspicion générale à l'égard de la titrisation à laquelle ont été imposées des mesures prudentielles très exigeantes et coûteuses. Les effets ont été radicaux : le volume des opérations de titrisation a été divisé par quatre en Europe et par deux aux Etats-Unis.
Dans ces conditions, pourquoi donc revenir aujourd'hui sur nos réticences d'hier ? Ne risquons-nous pas, comme avant la crise de 2008, de nous laisser à nouveau tenter par des constructions financières complexes, mal comprises de la plupart des acteurs, où le risque semble s'évanouir pour revenir ensuite, en boomerang, plus dangereux que jamais ? Les régulateurs et les superviseurs ne sont-ils pas inconscients de se laisser à nouveau charmer par les sirènes de la titrisation ? Ne cèdent-ils pas trop vite aux pressions d'acteurs financiers cupides (greedy) et irresponsables ?
Un procès trop rapidement conclu
En fait, le procès de la titrisation a été trop rapidement conclu. Certes, c'est bien la titrisation qui s'est révélée le maillon faible de la crise de 2008. Mais, elle n'en a pas été pour autant la cause substantielle. Celle-ci doit être recherchée du côté de la crise immobilière et de l'expansion d'un crédit immobilier facile et peu discriminant. Elle doit aussi être recherchée dans le sentiment de sécurité excessif que la titrisation pouvait donner à des acteurs financiers peu expérimentés et très crédules. Contrairement à ce que certains ont pu imaginer à l'époque, la titrisation ne change pas la quantité de risque dans l'économie, elle ne fait que transférer ce risque pour le re-répartir entre les divers acteurs. Ce mécanisme de réallocation du risque dans l'économie est absolument essentiel au bon fonctionnement du marché des risques. En réallouant le risque entre les différents acteurs, il ne fait, en vérité, rien d'autre que d'optimiser son allocation en le localisant au mieux des capacités d'absorption par les différents acteurs.
Une fois dissipées les illusions sur la titrisation, comme sur les calculs financiers en univers «risque-neutre» auquel la titrisation est intrinsèquement liée, une fois rétablie la vérité que la titrisation ne change absolument rien à la quantité de risque dans l'économie, le recours à la titrisation s'impose. Ai-je souscrit trop de risque auprès d'un client en raison d'indivisibilités commerciales, de stratégies de clientèles, d'évolutions de mon portefeuille de risque, de modification des conditions de diversification de ce portefeuille… la titrisation est alors le seul instrument de transfert de risque dont je dispose pour ajuster le niveau de risque de mon portefeuille.
Les Etats-Unis titrisent 6 à 8 fois plus que l'Union européenne
L'économie américaine l'a bien compris, qui a titrisé, en 2024, six à huit fois plus de risque que l'Union européenne (2 200 milliards de dollars contre 245 milliards d'euros). Une autre façon de dire que, par rapport à sa concurrente américaine, l'économie européenne est obérée non pas par un excès de risque mais par une gestion globale sous-optimale de ces risques.
Loin donc de sacrifier à une mode ou aux pressions des acteurs financiers, les rapports Noyer du trésor français sur le développement des marchés de capitaux européens (2024), de l'Assemblée nationale française sur la titrisation (2024), de la Banque de France et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution sur la titrisation (2025), du Conseil économique et social européen sur le même sujet (2024) et des autorités de supervision européennes sur la gestion des risques (2025)v convergent sur ce point : pour relancer la croissance et l'innovation en Europe, et mettre en œuvre la stratégie préconisée par le rapport Draghi, une meilleure gestion des risques est nécessaire. Celle-ci passe par une relance de la titrisation en Europe.
Il faut notamment lever les obstacles prudentiels mis à l'utilisation de la titrisation. Naturellement, il ne s'agit pas de substituer l'imprudence à la prudence, mais de mieux placer l'effort de prudence en insistant sur la qualité de la gestion des risques plus que sur des procédures formelles contraignantes.
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