La dépendance à la voiture, la difficulté à se soigner ou les sacrifices "rationnels" pèsent lourdement sur la capacité des femmes à devenir autonomes.
( AFP / SEBASTIEN BOZON )
Éloignement des services, mobilité réduite, sexisme... La vie à la campagne est un puissant "amplificateur d'inégalités" pour les femmes, qui y sont freinées dans leur carrière et leur autonomie, selon une étude de l'Institut Terram et de l'association Rura publiée lundi 8 décembre.
Ce rapport met en lumière un "malus rural du genre" : si les mécanismes de domination masculine existent partout, la faible densité démographique et l'éloignement les transforment ici en piège économique pour les 11 millions de Françaises vivant en zone rurale.
"On a une image d'Épinal qui empêche de voir les inégalités systémiques", pointe Salomé Berlioux, directrice générale de l'association Rura et co-auteure de l'étude, dénonçant une vision romancée qui masque la réalité sociale. Pour les auteurs, cet engrenage commence par une géographie implacable régie par la règle du "1 kilomètre = 1 minute".
Dans ce quotidien où chaque trajet est incompressible, la dépendance à la voiture individuelle devient totale. À la campagne, le moindre déplacement nécessite un véhicule, mais celui-ci reste inégalement partagé au sein du couple.
Lorsqu'il y a deux voitures, "Monsieur a souvent la plus récente et la plus fiable, tandis que Madame récupère la vieille voiture pour gérer le travail et les enfants", observe Isabelle Dugelet, maire de La Gresle (Loire), village de 850 habitants.
Cette contrainte de mobilité pèse lourdement sur les choix professionnels : faute de transports ou de permis, certaines renoncent à travailler ou acceptent des postes moins qualifiés mais plus proches.
Anaïs, 31 ans, habitante de Tonnay-Boutonne (Charente-Maritime), en a fait l'amère expérience : elle a refusé un poste mieux payé car il était "trop loin géographiquement". Sa carrière se heurte aussi au sexisme ordinaire, encore vivace dans ces zones où les employeurs sont rares : une promotion lui a récemment été refusée à cause de sa grossesse, son patron ne voyant "pas le sexisme là-dedans", confie-t-elle à l' AFP .
La maternité accélère la précarité
La maternité accélère la précarité : avec huit places de crèche pour 100 enfants (26 en ville), l'arbitrage financier sacrifie "rationnellement" la femme , aux revenus inférieurs. C'est elle qui s'arrête, nourrissant un "appauvrissement silencieux".
Pendant que les hommes investissent dans le durable (les murs de la maison, la voiture neuve), les femmes assument les dépenses courantes et périssables, comme l'alimentation ou l'habillement des enfants.
C'est la "théorie du pot de yaourt" popularisée par l'essayiste Titiou Lecoq et décrite par Félix Assouly, de l'association Rura et co-auteur du rapport : "L'argent des femmes disparaît dans le quotidien, tandis que celui des hommes construit du patrimoine" . En cas de rupture, l'homme repart avec la maison et la voiture, la femme avec rien.
Cette fragilité économique piège les femmes dans le couple : 27% des rurales (21% des urbaines) estiment qu'elles ne s'en sortiraient pas financièrement en cas de séparation, contre seulement 9% des hommes.
Ophélie, 36 ans, vit concrètement cette statistique en Gironde. Mère de trois enfants, elle est contrainte de cohabiter avec son ex-conjoint malgré leur séparation. "Ni lui ni moi ne sommes indépendants financièrement", confie-t-elle, sujette à une assignation à résidence par la pauvreté. Cet isolement géographique piège les victimes de violences, confirme Isabelle Dugelet : le "signalement passe souvent par l'école".
"Un an d'attente"
Au-delà du portefeuille et de la sécurité, c'est l'accès aux soins qui pâtit de la distance et des déserts médicaux.
Alex, 44 ans, mère de deux ados, s'est heurtée à un mur pour obtenir une mammographie en Charente-Maritime. "J'ai essayé Saintes, puis Cognac, puis Rochefort... Ici, il y avait presque un an d'attente", énumère-t-elle. Elle a finalement dû profiter d'un séjour chez ses parents en banlieue parisienne pour obtenir un rendez-vous immédiat via Doctolib, illustrant la fracture territoriale.
La domination est aussi spatiale : "Monsieur est dehors" aux tâches valorisantes, "Madame est dedans", résume Salomé Berthioux. Ce sentiment d'illégitimité dépasse la sphère privée et freine l'engagement politique local.
Une femme se demande toujours "est-ce que je vais être compétente ?, une question qu'un homme ne se pose jamais", tranche la maire Isabelle Dugelet, déplorant le manque de candidates aux municipales. Les auteurs plaident pour une "conception universelle" ciblant les "utilisateurs extrêmes" : si une solution fonctionne pour une mère isolée dans la Creuse, elle sera efficace pour tout le monde.
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