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PORTRAIT-Yahya Sinouar, le "cerveau" du 7-Octobre qui voulait la destruction d'Israël
information fournie par Reuters 17/10/2024 à 19:52

par Samia Nakhoul

Cerveau de l'attaque du Hamas du 7 octobre 2023, Yahya Sinouar, devenu par la suite le chef du mouvement armé palestinien, sera resté impénitent jusqu'à sa mort lors d'une opération militaire israélienne dans la bande de Gaza, sa terre natale, témoignent des personnes qui étaient en contact avec lui.

Israël a confirmé jeudi la mort de celui qu'il surnommait "le visage du mal" et qui avait pris la tête du Hamas en août dernier après la mort d'Ismaïl Haniyeh, tué le 31 juillet à Téhéran dans une attaque imputée à Israël.

Yahya Sinouar, 61 ans, était considéré comme l'ultime nom figurant depuis le 7 octobre 2023 sur la liste des principales cibles d'Israël, qui a abattu la quasi-totalité des responsables du Hamas, hormis le frère de Yahya Sinouar, Mohammed, haut commandant du mouvement.

Aux yeux de Yahya Sinouar, la lutte armée demeurait l'unique moyen de parvenir à la création d'une nation palestinienne, déclaraient des représentants palestiniens et des sources arabes dans les semaines précédant le premier anniversaire de l'attaque du 7 octobre 2023, lors de laquelle 1.200 personnes ont été tuées et 250 autres enlevées, selon les données des autorités israéliennes.

En réponse, Israël a lancé un siège total de la bande de Gaza, tuant 42.400 personnes, dévastant l'enclave palestinienne et faisant 1,9 million de déplacés, d'après les autorités sanitaires palestiniennes et des données des Nations unies.

Le conflit s'est désormais élargi au Liban, où Israël mène depuis septembre des bombardements intensifs et a lancé le 1er octobre dans le sud du pays, près de la frontière avec l'Etat hébreu, des assauts terrestres présentés comme "ciblés" pour démanteler le Hezbollah, soutenu comme le Hamas par l'Iran.

En parallèle, les tensions entre Israël et Téhéran se sont intensifiées, avec le risque de déboucher sur une guerre ouverte.

LE CULTE DU SECRET

Yahya Sinouar a entraîné l'ensemble de l'"Axe de la Résistance" aligné sur l'Iran - composé du Hezbollah, des Houthis au Yémen et de milices en Irak - dans un conflit avec Israël, a déclaré Hassan Hassan, auteur et chercheur sur les groupes islamistes.

"Nous constatons désormais avec les répercussions du 7 octobre (2023) que le pari de Sinouar n'a pas fonctionné", dit-il, suggérant que l'Axe de la Résistance pourrait ne jamais se relever.

"Ce qu'Israël a fait au Hezbollah en deux semaines équivaut presque à une année entière de dégradations du Hamas à Gaza. Pour le Hezbollah, trois niveaux de leadership ont été éliminés, son commandement militaire a été décimé et son important chef Hassan Nasrallah a été éliminé" dans une frappe israélienne près de Beyrouth le 27 septembre, ajoute-t-il.

A la suite de l'attaque du 7 octobre, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, avait prévenu que le "temps était compté" pour Yahya Sinouar et d'autres responsables du Hamas.

Yahya Sinouar opérait dans l'ombre, depuis les dédales de tunnels du Hamas sous la bande de Gaza. D'après deux sources israéliennes, il avait réchappé pendant un an à des frappes israéliennes dans l'enclave palestinienne dans lesquelles son adjoint, Mohammed Deif, et d'autres représentants de haut rang du Hamas ont été tués.

Il cultivait le secret, ne s'attardait jamais au même endroit et recourait à des messagers en lesquels il avait confiance plutôt qu'aux moyens digitaux de communication, selon trois représentants du Hamas et un représentant régional. Il n'avait plus été aperçu publiquement depuis le 7 octobre 2023.

Pendant des mois, Yahya Sinouar était l'unique décisionnaire pour les négociations supervisées par le Qatar et l'Egypte pour parvenir à un accord avec Israël sur un cessez-le-feu à Gaza, la libération des otages détenus par le Hamas et l'élargissement des prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes, ont déclaré des sources au sein du groupe palestinien.

Les négociateurs patientaient pendant des jours pour recevoir les réponses de Yahya Sinouar via une chaîne très discrète de messagers.

Selon Doha, les discussions, dont les multiples cycles ont échoué - le Hamas et Israël se rejetant mutuellement la faute -, étaient à l'arrêt depuis la seconde quinzaine de septembre.

TÉNACITÉ

Yahya Sinouar avait une tolérance élevée à la souffrance, qu'il s'agisse de sa propre personne ou plus largement du peuple palestinien, au nom de la Résistance. Cela a été mis en exergue lors des négociations, auxquelles il a contribué, ayant abouti en 2011 à la libération de 1.027 prisonniers palestiniens - dont lui-même - en échange du soldat franco-israélien Gilad Shalit enlevé par le Hamas.

Cet enlèvement avait provoqué une offensive d'Israël dans la bande de Gaza, au cours de laquelle des milliers de Palestiniens ont été tués.

Plusieurs personnes qui connaissaient Yahya Sinouar ont déclaré à Reuters que sa détermination trouvait son origine dans son enfance miséreuse dans un camp de réfugiés de la bande de Gaza et dans les 22 années passées en détention israélienne dans des conditions brutales.

Il a été pendant un temps emprisonné à Achkelon, la ville de résidence de ses parents avant que ceux-ci ne soient contraints de fuir lors de la guerre de 1948 - année de la création de l'Etat d'Israël et de la "Nakba" ("catastrophe") pour les Palestiniens, poussés à l'exil.

La question des prisonniers palestiniens était profondément ancrée en Yahya Sinouar, ont confirmé toutes les sources interrogées. Il promettait de libérer tous les Palestiniens détenus en Israël.

Devenu membre du Hamas peu après la création du mouvement dans les années 1980, Yahya Sinouar en a adopté l'idéologie islamiste radicale, basée sur la création d'un Etat en Palestine et opposée à l'existence d'Israël, perçu à la fois comme un rival politique et comme une force d'occupation.

C'est sous cet angle qu'il faut considérer la vision qu'avait Yahya Sinouar, et ses partisans, de la souffrance, estiment des experts: un sacrifice indispensable.

"Sa détermination provient de sa ténacité idéologique, de la persistance de son objectif", a déclaré un haut représentant du Hamas, ajoutant que Yahya Sinouar se satisfaisait "de peu" pour vivre.

Avant la guerre actuelle à Gaza, Yahya Sinouar contait parfois sa vie passée dans l'enclave palestinienne, les décennies d'occupation israélienne, comment sa mère fabriquait des vêtements avec les sacs vides d'aides alimentaires fournies par l'Onu, a rapporté un Gazaoui, Wissam Ibrahim, qui a rencontré Sinouar.

ARCHITECTE DE LA PUISSANCE MILITAIRE DU HAMAS

Dans une nouvelle semi-autobiographique, rédigée en prison, Yahya Sinouar a décrit des scènes durant lesquelles les troupes israéliennes ont détruit au bulldozer des maisons palestiniennes, "comme un monstre écrasant les os de sa proie", avant que Tsahal ne se retire de la bande de Gaza en 2005.

Homme de main puis chef d'un organe sécuritaire du Hamas chargé de traquer et punir des Palestiniens accusés de collaborer avec les services israéliens, Yahya Sinouar s'est forgé une renommée en prison, où il devait purger une peine à perpétuité pour avoir orchestré l'enlèvement et le meurtre de deux soldats israéliens et de quatre Palestiniens.

A sa libération en 2011, Yahya Sinouar est devenu un héros et n'a cessé de grimper les échelons du Hamas.

Il a mis à profit sa compréhension des difficultés et de la brutalité de la vie quotidienne dans la bande de Gaza et il parvenait à mettre ses interlocuteurs à l'aise, ont déclaré quatre journalistes et trois représentants du Hamas, en dépit de sa réputation terrible et de ses colères imprévisibles.

Le monde arabe et les responsables palestiniens considèrent Yahya Sinouar comme l'architecte de la stratégie et de la puissance militaire du Hamas, usant de ses liens privilégiés avec Téhéran, où il s'était rendu en 2012.

De longue date, bien avant le 7 octobre 2023, il ne cachait pas son désir de frapper durement Israël. "Nous viendrons à vous avec des roquettes sans fin, avec un déluge sans limite de soldats (...), comme une marée montante", a-t-il dit en décembre 2022 lors d'un discours devant des partisans à Gaza.

Il était alors le numéro un du Hamas dans l'enclave et avait déjà élaboré, avec Mohammed Deif, les plans de ce qui deviendra l'attaque du 7 octobre 2023. Les deux hommes dirigeaient des entraînements, publics, qui simulaient une telle attaque.

Yahya Sinouar a été tué avant d'atteindre ses objectifs: si la question d'un Etat palestinien est de nouveau dans les débats, sa possible création paraît plus distante que jamais.

"LE HAMAS, TOUT POUR LUI"

Ancien officier du Shin Bet (le service israélien de sécurité intérieure) qui a interrogé Yahya Sinouar pendant 180 heures en prison après son arrestation en 1988, Michael Koubi a déclaré que ce dernier se démarquait clairement par sa capacité à intimider et à commander.

A la question de savoir pourquoi il n'était pas marié, à l'approche de ses 30 ans, "il m'a répondu le Hamas est mon épouse, le Hamas est mon enfant. Le Hamas est tout pour moi", a rapporté Michael Koubi. Yahya Sinouar s'est marié après sa libération en 2011 et a eu trois enfants.

Yuval Bitton, qui fut le dentiste de Yahya Sinouar avant d'être recruté par le renseignement israélien, se souvient d'avoir questionné Sinouar à propos de la stratégie du Hamas quand le groupe a enlevé le soldat israélien Gilat Shalit avec l'objectif d'obtenir en échange la libération des prisonniers palestiniens. Israël a répondu par une incursion meurtrière de la bande de Gaza.

"Je lui ai demandé: 'est-ce que ça vaut la peine que 10.000 innocents meurent afin de libérer 100 prisonniers ? Il m'a répondu, 'même 100.000', ça en vaut la peine'", a dit Yuval Bitton.

Nabih Awadah, ancien militant libanais emprisonné comme Yahya Sinouar à Achkelon, entre 1991 et 1995, a rapporté que Sinouar considérait comme "désastreux" les accords de paix d'Oslo, signés en 1993, qu'il voyait comme une ruse de la part d'Israël.

Pour Yahya Sinouar, a-t-il ajouté, la confrontation militaire représentait l'unique voie pour "libérer la Palestine" de l'occupation israélienne.

Nabih Awadah s'est remémoré comment Yahya Sinouar aimait marcher pieds nus, dans la cour de la prison d'Achkelon, soulignant qu'il s'agissait de la terre ancestrale de ses parents. "Il nous disait souvent: 'Je ne suis pas en prison. Je suis sur mes terres. Ici, je suis libre'".

(Samia Nakhoul, avec la contribution de Nidal al-Mughrabi; version française Jean Terzian, édité par Sophie Louet)

5 commentaires

  • 17 octobre 22:36

    Quel tissus de mensonges ! Sinwar, ou "le boucher de Gaza", comme ses compatriotes l'appelaient, en raison de sa manie à tuer ses opposants de ses propres mains, est présenté par ces reporters de Reuters comme un "résistant". C'est pathétique.


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