Le Pacte Dutreil est "un trésor national", s'est indigné le Medef, selon qui "la transmission en France reste deux fois plus chère qu'ailleurs en Europe".
Pierre Moscovici à Paris, le 6 novembre 2025. ( AFP / BERTRAND GUAY )
"Plus de 5,5 milliards d'euros" en 2024 et pas d'"effets économiques favorables". La Cour des comptes a présenté mardi 18 novembre ses propositions pour diviser par deux le coût du pacte Dutreil, qui offre des conditions fiscales très avantageuses pour les transmissions d'entreprises familiales. Une perspective qui a provoqué une levée de bouclier du patronat, tandis que le gouvernement préfère évoquer des "ajustements" dans le dispositif.
Le ministère de l'Économie et des Finances "considère que le dispositif est efficace et qu'il est nécessaire de le préserver, avec certains ajustements notamment sur les biens somptuaires pour lesquels il faudra ajuster le curseur", a fait savoir Bercy, quelques heures après que la Cour des comptes a proposé des modifications plus profondes de ce dispositif offrant en particulier un abattement de 75% sur la transmission des entreprises familiales.
Ce dispositif fiscal offre actuellement un abattement de 75% sur la valeur de l'entreprise transmise , à condition d'une conservation de celle-ci par les héritiers pendant une période déterminée. La Cour des comptes propose d'une part de "supprimer les mécanismes relevant de l'optimisation fiscale", d'autre part de revoir à la baisse le taux d'exonération.
Le coût de cette mesure, calculé en évaluant le manque à gagner pour le fisc par rapport à une transmission classique, s'est élevé à " plus de 5,5 milliards d'euros" en 2024, après 3,3 milliards en 2023 , années marquées chacune par une "très grosse opération" de transmission, selon le rapport. Il était de 1,2 milliard d'euros en 2020 et 2021. Pourtant, chaque année, faute d'évaluation précise -le rapport de la Cour des comptes est la première tentative de connaître précisément ces sommes- le coût du pacte Dutreil est inscrit à 500 millions d'euros seulement dans les projets de loi de finances , somme portée à 800 millions en 2025.
Diviser par deux le coût pour les finances publiques
Dans le même temps, la Cour détaille dans son rapport des "effets économiques favorables attendus (qui) ne sont pas observés". Dans ses recommandations, elle propose de supprimer les biens non professionnels du régime de faveur, et d'allonger l'engagement de détention de l'entreprise pour bénéficier de ses avantages. Elle suggère aussi de rendre le barème d'exonération progressif et de réduire l'avantage fiscal pour les entreprises du secteur réglementé ou non exposées à la concurrence internationale.
L'application de toutes les mesures préconisées "diviserait par plus de deux" le coût pour les finances publiques, a précisé le Premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici lors d'une conférence de presse. "Je ne peux que souhaiter que les parlementaires s'emparent (du rapport) dans le cadre du débat budgétaire en cours", a ajouté Pierre Moscovici.
Il a regretté par ailleurs les fuites du rapport depuis plusieurs semaines, et que le ministère des Finances n'y ait pas répondu. Alors que les réformes successives du pacte Dutreil sont toutes allées dans le sens "d'un assouplissement", selon lui, il a noté que les critères appliqués dans d'autres pays européens, dont l'Allemagne, pourtant soucieuse de la pérennité de ses entreprises familiales, étaient "plus resserrés".
Il s'en est enfin pris aux récents propos de l'ancien ministre des PME Renaud Dutreil, qui avait donné son nom à ce dispositif en 2003. Après des fuites du rapport dans la presse fin octobre, il avait qualifié la Cour des comptes "d'officine du Parti socialiste" ayant "un intérêt idéologique" à publier ce rapport. "Une remise en cause infondée, indécente", voire "un signe de fébrilité", a lancé Pierre Moscovici.
Le Medef et le Meti (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) ont vivement contesté "les analyses et conclusions" de la Cour des comptes, les qualifiant de "partiales et partielles". Ce dispositif "n'est pas une niche fiscale", argumentent les deux mouvements dans un communiqué commun, "dès lors que la transmission reste plus chère en France qu'ailleurs en Europe".
"Trésor national"
Selon les deux organisations patronales, "en revoir les paramètres", comme le propose la juridiction financière, "reviendrait à ouvrir grand les portes aux rachats étrangers et prédations de nos produits, savoir-faire, PME et ETI".
"Cela affaiblirait durablement le tissu productif français et l'activité économique de nos territoires" , ont-ils assuré.
Par ailleurs, le Medef et le Meti ont contesté la méthodologie employée par l'Institut des politiques publiques (IPP) avec lequel la Cour des comptes a collaboré pour établir le rapport.
Le Medef et le Meti ont estimé "qu'en raison d’un cadre fiscal inadapté, plusieurs milliers de PME et d'ETI se sont vendues à des groupes étrangers de 1981 à 2006, concourant à la désindustrialisation du pays". Mais que, depuis l'instauration du Pacte en 2003, "le nombre d'ETI est passé de 4.600 en 2008 à 6.800 aujourd’hui". Ils remarquent également que "plus d'une ETI sur deux doit changer de main dans les 6 années à venir", et qu'ainsi, "les décisions d’aujourd'hui engagent l’avenir de nos entreprises et de leurs salariés".
Et, observent-ils, "malgré le Pacte Dutreil, la France reste bonne dernière en matière de transmission familiale : 17% contre 56% en Allemagne et près de 70% en Italie, pays dotés de régimes taillés sur mesure pour faciliter la transmission d’entreprise".
Selon eux, "la transmission en France reste deux fois plus chère qu'ailleurs en Europe (dont 7 pays ne pratiquent aucun droit de transmission sur les entreprises) et il faut en moyenne entre 4 et 8 ans de la totalité des bénéfices d'une entreprise pour payer sa transmission".
Voilà pourquoi, selon les deux mouvements patronaux, "nous sommes encore très loin de pouvoir rivaliser avec nos voisins européens (8.500 ETI en Italie, plus de 20.000 en Allemagne)".
Au total, le Pacte Dutreil, assurent-ils, devrait être considéré comme "un trésor national".
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