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Nelly, ingénieure en IA, programmée pour réussir sans artifice
information fournie par Vives 09/02/2024 à 16:35

Nelly Chatue-Diop est ingénieure informatique, spécialiste en intelligence artificielle et cheffe d’entreprise. (photo d'illustration réalisée par IA / crédit : Adobe Stock)

Nelly Chatue-Diop est ingénieure informatique, spécialiste en intelligence artificielle et cheffe d’entreprise. (photo d'illustration réalisée par IA / crédit : Adobe Stock)

Par Maxime Ruszniewski


« Ma fille, tu peux être présidente du monde ». Lorsqu'on rencontre Nelly Chatue-Diop, 42 ans, ce sont les premiers mots qui surgissent chez cette ingénieure informatique, spécialiste en intelligence artificielle et cheffe d'entreprise. Les mots de son père, un ancien directeur commercial de la compagnie Cameroun Airlines.

« Avoir des parents féministes à Douala (capitale économique du Cameroun, NDLR) dans les années 1980, ça change une femme » me confie-t-elle avec un sourire qui ne la quitte pas tout au long de notre échange.

De première de classe à la queue de peloton

Sa mère, ancienne secrétaire de direction devenue entrepreneure, l'encourage à s'ouvrir sur le monde. Nelly excelle à l'école, elle est première de sa classe durant toute sa scolarité. Lorsqu'elle entre en 4e, ses parents lui trouvent une correspondante à Valenciennes pour qu'elle se familiarise avec la France. C'est elle qui l'accueillera quelques années plus tard quand Nelly choisira de venir suivre sa classe prépa ingénieur dans un lycée de cette ville du Nord. « J'habite seule pour la première fois, me confie Nelly, même si ma nouvelle famille de coeur veille sur moi. Je passe de première de la classe à la queue de peloton. J'accumule les 4/20. Le déracinement, le froid n'auront pas raison de moi, même si je prends 30 kilos la première année ! Je découvre dans ma famille d'accueil le fromage, la crème fraîche, et les déjeuners du dimanche, interminables. »

« Je me découvre noire »

En 2000, elle intègre CPE Lyon, une école d'ingénieurs en chimie, physique, électronique et sciences du numérique. A son arrivée, un camarade lui demande si « les voitures existent dans son pays ». Nelly ne se démonte pas, et lui lance : « Ah non, chez moi on se déplace d'arbre en arbre en sautant sur des branches ! ». De l'ignorance dit-elle, mais pas de racisme, ni la volonté de blesser. Du moins, pas encore. « Pour la première fois de ma vie, je me sens noire.» Dans les magasins du centre-ville, elle réalise qu'on la suit à la trace, comme si elle allait partir sans payer. Dans son école où 9 élèves sur 10 sont des hommes, Nelly prend conscience que les préjugés sexistes sont, eux aussi, très forts. Les rares filles de la classe restent entre elles.

En 2002, une année de césure dans le cadre de son cursus et une envie tenace d'améliorer son anglais la conduisent outre-Atlantique, dans le Delaware, où elle travaille pour une PME de 5 personnes. Très vite, elle comprend que le directeur commercial est un nostalgique de la ségrégation. Il ne lui épargne rien. Mise à l'écart de tous les moments conviviaux et des fêtes d'équipe, elle se demande si le problème ne vient pas d'elle. « La culpabilité s'inverse, raconte-t-elle :  on cherche ses erreurs, et on ravale ses larmes. » Un jour, alors qu'il prône l'esclavage devant elle, Nelly prend une décision radicale : ce sera lui, ou elle. Face à des collègues qui jouent la solidarité en coulisses mais qui brillent par leur passivité en public, elle finit par enregistrer à l'insu de l'intéressé les propos de haine qu'il prononce. Convoqué par le dirigeant de l'entreprise, le fautif sera licencié peu avant la fin du stage de Nelly.

De cette expérience, la jeune femme tire une conduite de vie, une philosophie qui ne la lâchera plus : « Il faut faire confiance à ses intuitions, puis à ses convictions. Tenter de rationaliser ou de chercher des excuses chez soi ou chez les autres est vain. Se prendre en main, agir, c'est tout ce qui compte ».

Une fois diplômée, elle fait de la programmation informatique pour des grands groupes industriels et des cabinets de conseil en France. Le racisme se montre plus insidieux.

A ses managers et collègues qui lui demandent systématiquement « D'où tu viens ? », elle répond, inlassablement : « De Lyon, voyons ! ».

Elle serait bien restée à Londres, ville cosmopolite où elle effectue un passage éclair et se fond davantage dans le décor. Mais la crise des subprimes, en 2008, écourte son séjour. Elle passe alors des entretiens dans de grandes banques d'affaires à Paris. Avec un patronyme qui ne sonne pas africain et un CV qu'elle présente toujours sans photo, elle découvre des regards médusés lorsqu'on vient la rencontrer pour les entretiens. « La réaction de rejet se lisait sur leur visage, et même sur leur corps, c'était fascinant. » Lors d'un job dating, un patron lui dit : « Impressionnant ce parcours pour une femme comme vous ! Vous savez, le prêtre qui a baptisé mon fils était noir lui aussi ».

« Lorsqu'on cherche des femmes, on les trouve ! »

Nelly déprime un peu. Elle tombe sur une annonce d'une PME américaine spécialisée dans la fixation scientifique des prix via un algorithme. Elle y reste trois ans en tant que senior consultante pricing et fait une nouvelle découverte : le sexisme entre femmes. Malgré les épreuves, elle se démarque. Le leitmotiv de son père revient à chaque étape importante. Négocier un salaire ? « Ma fille, tu peux être présidente du monde ». Arracher une augmentation ? « Ma fille, tu peux être présidente du monde ». Parfois malmenée par ses patrons, elle leur explique, chiffres à l'appui, les gains qu'ils ont réalisés grâce à elle : « On ne peut pas être capitaliste uniquement quand ça vous arrange ! » me dit-elle dans l'un de ses nombreux éclats de rire contagieux.

A toutes ces femmes qui n'ont pas eu la chance de partir avec cette même confiance, qui ont pu ressentir de l'auto-censure, voire une dévalorisation obsédante, elle dit : « Vous savez ce que vous valez. Soyez-en conscientes. En vous sous-estimant, vous allez perdre toute motivation et confiance. Ne lâchez rien ».

Ce management bienveillant, elle l'applique désormais à ses équipes qu'elle souhaite paritaires. Un chemin de croix dans le secteur. Mais là aussi, la résignation ne fait pas partie de son logiciel. « Lorsqu'on cherche, on trouve! Je sais que les femmes postulent moins, donc c'est à moi de les dénicher, partout. Sur les campus, dans des conférences, des groupes d'entraide… Tant pis si je rame, j'arrive toujours à mes fins. » Aujourd'hui, son entreprise compte 60% de femmes ingénieures dans une équipe technique de 25 personnes, sur un total de 50 salariés. Une originalité qui fait sa fierté.

Faciliter l'accès aux services financiers en Afrique

Plus de quinze ans après avoir rencontré son mari en France et donné naissance à deux enfants, Nelly Chatue-Diop se lance dans l'entrepreneuriat au Cameroun. Elle fonde la société Ejara avec pour ambition de faciliter l'accès aux services financiers pour le plus grand nombre. D'abord à travers les produits d'investissement et d'épargne, puis progressivement avec du micro-crédit et de l'assurance. La célèbre tontine appliquée aux codes d'aujourd'hui, voilà son pari pour démocratiser la finance. A la manière d'un chat GPT appliqué au secteur, elle permet au quidam d'investir en cryptomonnaies ou plans d'épargne dès 1 000 FCFA (1,5 €) et demain dans des actions. Concrètement, des vendeuses de légumes ou des chauffeurs de taxi peuvent acheter via leur smartphone des obligations du trésor public camerounais; leurs économies financent ainsi les établissements et grandes structures du pays tout en générant des intérêts. Une innovation qui lui a valu de recevoir cette année le prix Margaret Entrepreneure Afrique décerné par la JFD.

Sa journée type ? Réveillée à 3h du matin (un moment d'inspiration pour la quadragénaire), elle bombarde de messages ses groupes WhatsApp (en ayant pris soin au préalable d'avertir les membres de couper leur téléphone pendant la nuit !). Puis, elle se rendort avant de s'occuper du lever de ses deux fils (6 et 10 ans). Elle enchaîne ensuite rendez-vous clients et réunions d'équipe. Pas question de sacrifier pour autant sa vie personnelle, quitte à se reconnecter une fois les enfants couchés.

Sur son retour au Cameroun, Nelly ne pratique pas la langue de bois. Elle l'a fait surtout pour son fils, victime de comportements racistes dans la cour d'école. Elle ne ménage pas la France, qui l'a adoptée, mais qu'elle continue d'aimer. « Mes managers m'ont tout appris, reconnaît-elle : le leadership, la bienveillance dans l'approche managériale, et comment mettre sa créativité au service de l'innovation dans l'entreprise. Par leurs erreurs, ils m'ont aussi appris à ne jamais montrer ma vulnérabilité et à améliorer mon sens de la répartie, à encaisser des commentaires douteux sans me démonter devant eux.»

Un patriarcat tenace

Aujourd'hui, elle fait le constat que le patriarcat est encore plus tenace à Douala qu'à Paris. Elle compte bien, là aussi, apporter sa pierre à l'édifice. Au lancement d'Ejara, elle a promu une femme codeuse, face à trois hommes. Parmi eux, les deux meilleurs ont menacé de partir s'ils n'obtenaient pas le poste. Qu'à cela ne tienne, et tant pis pour ces talents qui ont quitté la société depuis. « Je n'ai qu'une parole ». Recruter des femmes n'est pas tout, m'explique-t-elle, il faut savoir les retenir. Elle y parvient en faisant preuve d'écoute sur leurs aspirations professionnelles, en adaptant leurs conditions de travail face à leurs impératifs personnels, mais aussi en instaurant un système d'évaluation qui prend en compte les biais cognitifs.

Subjugué par sa résilience, son optimisme, sa trajectoire fulgurante, je me demande si Nelly n'est pas devenue cette « présidente du monde », exauçant ainsi le vœu de son père. Fiche de poste, selon elle : « Être le moteur d'un monde plus égalitaire, et plus inclusif, en utilisant les ressources de la moitié de l'humanité. La première fois qu'un athlète a couru le 100 mètres en moins de 10 secondes, l'année suivante il y en a eu 10. Je fais partie de ces femmes qui peuvent montrer le chemin ».

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