Des mains rouges taguées le 14 mai 2024 sur le Mémorial de la Shoah, à Paris ( AFP / Antonin UTZ )
Quatre ressortissants bulgares ont été condamnés vendredi à des peines de deux à quatre ans d'emprisonnement, reconnus coupables d'avoir tagué des "mains rouges" sur le Mémorial de la Shoah en mai 2024, sur fond de soupçons d'ingérence étrangère.
Le tribunal correctionnel de Paris, dont la décision est globalement conforme aux réquisitions du parquet, a prononcé une peine de deux ans contre Georgi Filipov et Kiril Milushev, présentés comme les exécutants, de quatre ans contre Nikolay Ivanov et trois ans contre Mircho Angelov, en fuite, ces deux derniers étant considérés comme les "cerveaux" de l'opération.
Tous se sont également vu infliger une interdiction définitive de paraître sur le territoire français.
Quelque 35 tags avaient été découverts le 14 mai 2024 sur le Mur des Justes, devant le Mémorial situé au cœur de Paris et qui se veut un lieu d'archives, d'éducation et de recueillement, "le seul monument dédié aux juifs de France", avait insisté jeudi son directeur, Jacques Fredj.
L'instruction avait mis en évidence une entreprise "susceptible de correspondre à une action de déstabilisation de la France orchestrée par les services de renseignement" russes, aiguillée par le service Viginum, chargé de la lutte contre les ingérences numériques étrangères, qui avait relevé "une instrumentalisation" de cette affaire "par des acteurs liés à la Russie".
L'affaire s'inscrit en outre dans d'autres ingérences étrangères présumées: étoiles de David taguées en région parisienne, têtes de cochon abandonnées devant plusieurs mosquées ou cercueils déposés au pied de la tour Eiffel.
Mais, si le dossier des "mains rouges" est le premier parmi ces tentatives de déstabilisation à avoir été jugé, il ne l'a pas été pour des atteintes "commises pour le compte d'une puissance ou d'une entité étrangère ou sous contrôle étranger", une circonstance aggravante qui n'a fait son apparition dans le Code pénal que postérieurement aux faits.
Dans leur jugement, les magistrats ont cependant considéré que l'ingérence "n'était pas contestable" et "ressortait clairement", en décrivant une action coordonnée depuis l'étranger", "dans un but hostile", pour "agiter l'opinion publique, appuyer sur des clivages existants et fragmenter un peu plus la société française".
- Stigmates néo-nazis -
Reste que les trois jours de procès ont été "un peu l'écume de cette folie qui a traversé le pays", a estimé en défense Me Martin Vettes, qui conteste l'élément "intentionnel" du caractère antisémite des dégradations qui "ne saurait se déduire du ressenti des victimes".
"On ne peut pas assurer avec certitude qu'il ne pouvait ignorer que cet endroit était dédié à la mémoire juive de la Shoah", a-t-il fait valoir à propos de Georgi Filipov.
Son client, qui arbore sur son torse le tatouage d'une croix gammée, avait longuement pris la parole après son avocat pour expliquer ses stigmates néo-nazis, qu'il dit regretter, n'avaient rien à voir avec la haine contre les juifs, mais étaient destinées à "simplement faire peur à (s)es ennemis: les Roms".
"La question n'était pas de savoir si vous, vous étiez antisémite, ni savoir si la main rouge était antisémite, mais si la victime avait été choisie pour son appartenance à une religion déterminée", lui a répondu le tribunal dans son jugement.
Me Camille di Tella, l'avocate de Kiril Milushev, avait pour sa part tenté d'ironiser, évoquant une "espèce de fantasme" selon lequel les prévenus seraient "des espions", "mais ils n'ont ni le charisme, ni l'envergue de Daniel Craig".
L'ombre d'une ingérence russe? "Une thèse bâtie sur des suppositions", avait encore balayé Me Vladimir Ivanov, avocat de Nikolay Ivanov.
Lors des trois jours du procès, les trois mis en cause présents avaient tout de même largement chargé le quatrième prévenu, sous mandat d'arrêt, en reconnaissant notamment qu'il avait des "contacts russes".
Mais il leur aurait assuré que l'action ne visait qu'à promouvoir "la paix" - l'accusation avait au contraire vu dans ces "mains rouges" une référence au lynchage de deux militaires israéliens à Ramallah (Cisjordanie) en 2000.
En larmes, Georgi Ivanov, suivi de Kiril Milushev, ont eu les mêmes ultimes mots avant que le tribunal ne se retire pour délibérer: "J'ai honte de m'être laissé induire en erreur de cette façon-là".

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