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"Le sang coulait encore": le calvaire des réfugiés d’El-Facher arrivés au Tchad
information fournie par AFP 11/11/2025 à 13:01

Des réfugiés ayant fui le Soudan attendent devant le bureau d'enregistrement de l'agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dans le camp de Tiné, au Tchad, le 9 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Des réfugiés ayant fui le Soudan attendent devant le bureau d'enregistrement de l'agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) dans le camp de Tiné, au Tchad, le 9 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Après 11 jours de trajet, Mounir Abderahmane atteint enfin le camp de Tiné, dans la province du Wadi Fira au Tchad, après avoir fui El-Facher, au Soudan, le 25 octobre.

Lorsque des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont envahi la ville, il veillait son père, militaire dans l'armée régulière blessé quelques jours plus tôt, à l'hôpital saoudien.

"Ils ont appelé sept infirmiers et les ont réunis dans une pièce. Nous avons entendu des coups de feu et j’ai vu le sang couler sous la porte", raconte avec émotion à l’AFP l'adolescent de 16 ans.

La vidéo, comme de nombreuses autres filmées par les FSR lors de leur entrée dans la ville, a été partagée sur les réseaux sociaux. Mounir quitte aussitôt la ville avec son père, qui mourra quelques jours plus tard sur la route qui devait le mener au Tchad.

Mounir Abderahmane, réfugié soudanais de 16 ans, devant la clinique de Médecins sans Frontières (MSF) au camp de Tiné, au Tchad, le 8 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Mounir Abderahmane, réfugié soudanais de 16 ans, devant la clinique de Médecins sans Frontières (MSF) au camp de Tiné, au Tchad, le 8 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Les FSR, en guerre contre l’armée régulière depuis avril 2023, ont pris le contrôle le 26 octobre de cette ville du Darfour, une région de l'ouest du Soudan déjà ensanglantée dans les années 2000.

Deux semaines après la prise de la ville, les réfugiés atteignent le Tchad, à plus de 300 km de là. Une poignée d’entre eux, accueillis dans le camp de transit de Tiné, livrent leurs témoignages à l’AFP.

- "Coques d'arachides" -

Après 18 mois de siège, tous évoquent une intensification des bombardements à partir du 24 octobre, précédant l’entrée des paramilitaires.

Un dessin réalisé par une jeune réfugié soudanais est exposé dans le camp de Tiné, au Tchad, le 10 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Un dessin réalisé par une jeune réfugié soudanais est exposé dans le camp de Tiné, au Tchad, le 10 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Terrés dans des abris de fortune, des dizaines de personnes s’y entassent pour échapper aux drones. Ils n’ont pour seule nourriture "que des coques d’arachides", raconte Hamid Souleymane Chogar, 53 ans. Le 26 octobre, il s’échappe de sa cachette, "chaque fois que je montais prendre l’air, je voyais dans la rue de nouveaux cadavres, souvent des habitants du quartier que je connaissais", confie-t-il.

Il profite d’une accalmie nocturne pour fuir. Estropié en 2011 lors d'une précédente guerre "à cause des Janjawids" - des milices arabes ayant longtemps persécuté les tribus non arabes du Darfour –, il est hissé sur une charrette qui zigzague dans la ville entre les débris et les cadavres. Leur progression se fait sans parole ni lumière, pour ne pas alerter les paramilitaires.

Le réfugié soudanais Mahamat Ahmat Abdelkerim, 53 ans, au camp de Tiné (Tchad) qu'il a atteint après avoir fui la ville d'El-Facher au Soudan, le 9 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Le réfugié soudanais Mahamat Ahmat Abdelkerim, 53 ans, au camp de Tiné (Tchad) qu'il a atteint après avoir fui la ville d'El-Facher au Soudan, le 9 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Alors que les phares d’un véhicule des FSR balayent la nuit, Mahamat Ahmat Abdelkerim, 53 ans, se précipite dans une maison avec sa femme et ses six enfants. Le septième a été tué deux jours plus tôt dans une attaque de drone. "Il y avait une dizaine de cadavres, tous des civils. Leur sang coulait encore", explique-t-il derrière ses lunettes noires, qui cachent un œil gauche perdu quelques mois plus tôt lors d’un bombardement.

Mouna Mahamat Oumour, 42 ans, fuit avec ses trois enfants lorsqu’un obus frappe le groupe. "Quand je me suis retournée, j’ai vu le corps de ma tante déchiquetée. On l’a couverte d’un pagne et on a continué", raconte-t-elle en larmes. "Nous avons marché sans jamais nous retourner", ajoute-t-elle.

Arrivés au sud de la ville, au niveau de la tranchée construite par les paramilitaires pour l'encercler, les cadavres s’accumulent. "Ils remplissent la moitié de ce fossé de deux mètres de large et de trois mètres de haut", détaille Hamid Souleymane Chogar.

Des dizaines ? Des centaines ? Impossible d’estimer leur nombre en pleine nuit, dans cet espace qui s’étend à perte de vue.

Des analyses faites par le laboratoire de l'université américaine de Yale à partir d’images satellites croisées avec des vidéos postées par les FSR, évoquent la présence de nombreux corps dans cette tranchées et sur le talus voisin.

Samira Abdallah Bachir, 29 ans, a emprunté un autre passage, elle a dû descendre dans la tranchée, sa fille de deux ans dans les bras, ses deux autres enfants, âgés de 7 et 11 ans, marchant derrière elle. "On devait éviter les corps pour ne pas marcher dessus", décrit-elle.

- Un système de racket -

Des réfugiés soudanais remplissent des bidons d'eau, au camp de Tiné, au Tchad, le 10 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Des réfugiés soudanais remplissent des bidons d'eau, au camp de Tiné, au Tchad, le 10 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Une fois sortis de la ville, les réfugiés subissent un nouveau calvaire. A chaque check-point sur les deux principales routes permettant de quitter la ville, les témoignages évoquent de nouvelles violences, viols et vols contre les populations civiles.

Après s'être fait voler son téléphone et son argent, Mahamat Ahmat Abdelkerim doit payer à chaque nouveau check point. "Les FSR ont des téléphones qu’ils mettent sur haut-parleur pour que nous contactions nos proches pour qu’ils nous envoient de l’argent", décrit-il.

Les sommes payées à chaque barrage varient entre 500.000 et un million de livres soudanaises selon les témoignages, soit entre 700 et 1.400 euros.

D’autres témoignages évoquent les ciblages ethniques des FSR. Ils disent "Vous êtes des noirs, des esclaves" raconte un réfugié tout juste arrivé à Tiné. "Ils mettent certains hommes de côté, les dépouillent et tirent au hasard sur eux."

Difficile de savoir combien de Soudanais réussiront à se réfugier au Tchad dans les prochaines semaines. Environ 90.000 personnes ont déjà fui la ville d’El-Facher depuis sa conquête par les paramilitaires, selon les derniers chiffres de l’ONU

Le HCR évoque de son côté "90.000 arrivées dans les trois prochains mois" alors que les violences se poursuivent au Darfour et que les affrontements entre l’armée et les paramilitaires poussent la population à fuir dans la région du Kordofan.

"Des relocalisations sont en cours pour permettre de désengorger le camp de transit de Tiné et accueillir de nouveaux réfugiés", précise Ameni Rahmani, 42 ans, responsable de projet de Médecins Sans Frontières (MSF) à Tiné.

Une jeune réfugié soudanais au camp de transit de Tiné, au Tchad, le 8 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

Une jeune réfugié soudanais au camp de transit de Tiné, au Tchad, le 8 novembre 2025 ( AFP / Joris Bolomey )

"Les arrivées augmentent encore faiblement mais nous sommes prêts à intensifier notre réponse et à renforcer nos équipes sur place."

Côté soudanais, après s’être retiré du Darfour-Nord suite à des attaques de drones sur des structures médicales depuis deux semaines, MSF prévoit d’y redéployer ces prochains jours ses équipes.

Le conflit au Soudan a fait des dizaines de milliers de morts, en a déplacé près de 12 millions d'autres et provoqué, selon l'ONU, la pire crise humanitaire au monde.

1 commentaire

  • 09:56

    Les FSR, ces hordes arabiques soutenus par les Emirats arabes unis qui massacrent à tout va.


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