par Sarah Marsh et Andreas Rinke
La fin du tabou historique et politique d'une alliance avec l'extrême droite en Allemagne risque de compliquer la formation d'une coalition gouvernementale après les élections fédérales anticipées du 23 février et d'accentuer l'instabilité politique dans la première économie européenne.
Favori du scrutin, le chef de file de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), le conservateur Friedrich Merz, a fait adopter mercredi au Parlement une motion non contraignante appelant à une répression sévère contre l'immigration clandestine avec le renfort des voix du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD).
La rupture d'un tabou, dans un pays toujours marqué par son passé nazi.
Cette initiative a suscité l'indignation et la défiance des deux partis sur lesquels Friedrich Merz devra vraisemblablement s'appuyer pour former une coalition après les élections : les sociaux-démocrates (SPD) du chancelier Olaf Scholz et les Verts.
Les négociations en vue d'un gouvernement de coalition, déjà longues en temps normal, pourraient le devenir encore plus, avertit Alexander Clarkson, professeur au King's College de Londres.
"Ils voudront que tout soit verrouillé", dit-il.
Des négociations prolongées ou une coalition difficile à gérer compliqueraient la prise de décision en Allemagne à un moment clé, alors que le pays est confronté à une crise structurelle qui pèse sur la croissance de l'ensemble de l'UE.
Bruxelles compte également sur l'appui de Berlin dans les négociations avec la nouvelle administration américaine de Donald Trump, qui menace le bloc de droits de douane supplémentaires.
Selon plusieurs analystes politiques, il est également possible que l'AfD, en deuxième position derrière le bloc CSU/CDU dans les sondages, tire profit d'un scénario d'instabilité politique durable.
"Il est peu probable qu'une coalition après ces élections soit très harmonieuse", souligne Philipp Köker, politologue à l'université de Hanovre. "Si la prochaine coalition ne tient pas ses promesses, notamment en ce qui concerne le coût de la vie, une victoire de l'AfD en 2029 - ou plus tôt - pourrait se profiler à l'horizon", prévient-il. Le Bundestag est renouvelé tous les quatre ans.
UNE ARITHMÉTIQUE COMPLIQUÉE
Les élections anticipées de février ont été convoquées après l'effondrement en novembre de la coalition au pouvoir entre les sociaux-démocrates, les Verts et les Libéraux.
Le chancelier Olaf Scholz dirige désormais un gouvernement minoritaire composé uniquement de son parti et des Verts.
Le déclin des grands partis et l'émergence de l'AfD au cours des 12 dernières années complique l'arithmétique des coalitions : plus le Bundestag est fragmenté, plus l'AfD est fort, et plus il sera difficile pour deux partis de former une majorité.
Les sondages créditent l'AfD de 22% d'intentions de vote pour le scrutin de février, soit plus de deux fois plus qu'en 2021.
Les partis traditionnels se sont engagés à ne pas former de coalition avec l'extrême droite.
Les conservateurs, pour lesquels les intentions de vote avoisinent les 30%, devront probablement se tourner vers le SPD (15%) ou les Verts (14%).
Mais le vote de mercredi a changé la donne.
Les deux partenaires potentiels de Friedrich Merz ont estimé mercredi qu'il n'était pas apte à diriger le pays.
"Je ne peux plus lui faire confiance", a déclaré le chancelier allemand après le vote.
En privé, des députés SPD et Verts s'interrogent sur la perspective d'une alliance avec les conservateurs, qui se droitisent après la gouvernance centriste de la chancelière Angela Merkel.
"Il (Friedrich Merz) n'a ni intégrité ni fiabilité, quelqu'un comme lui ne devrait pas être autorisé à diriger ce pays", dénonce Katja Mast, cheffe de file du SPD au Bundestag.
Les appels de Friedrich Merz en faveur d'un contrôle renforcé de l'immigration et de la fermeture des frontières aux demandeurs d'asile ont en outre accentué les divergences.
Les deux partis l'accusent de revenir sur sa parole puisqu'en novembre dernier, il avait lui-même suggéré aux partis
de ne pas soumettre au Bundestag des propositions nécessitant le soutien de l'AfD pour être adoptées.
Mettre l'accent sur l'immigration pourrait en outre profiter prioritairement à l'AfD, radicale en la matière, et paradoxalement avantager le SPD et les Verts en leur permettant de se présenter comme un rempart contre l'extrême droite, selon les analystes.
(Reportage de Sarah Marsh, version française Diana, édité par Sophie Louet)
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