Jérôme K. et les quarante valeurs 09:55 31/01/08
No Smoking. Chaque jeudi
Jérôme K. et les quarante valeurs
Par Pierre Marcelle
QUOTIDIEN : jeudi 31 janvier 2008
LIBERATION
Les pipeaux de Daniel B.
De la très édifiante affaire qui fait serrer les fesses des banquiers, jaime tout depuis le premier jour. Jai aimé ces flashs dinfos reniflant circonspects le pognon du krach qui va et qui vient, quand successivement ils nous informèrent de la «fraude» de Jérôme K. - archétype de la réussite professionnelle en Sarkozie -, avant dévoquer comme en passant la vérole des subprimes ayant plombé de deux milliards (chiffre officiel) les comptes de la banque, puis ce soupçon de délit dinitié (sans aucun rapport, évidemment). Jai adoré les mots de Daniel Bouton, le patron, quand il hurla à lattentat «terroriste» dun esprit «pervers» (mais «solitaire» - tu parles !), puis les contorsions du même offrant, outre sa démission, six mois de salaires et de primes. En gage de sa vertu, ou en compensation de son incompétence (selon le théorème de Lagardère) ? Sacré Bouton ! Jai tout particulièrement goûté ce détail relatif aux deux années que Kerviel passa, nous dit-on, sans prendre une seule semaine de vacances (ah ! travailler plus
).
Et jai joui sans entraves en découvrant le monde merveilleux des open spaces et des offices (front, middle, back), où le destin fantasmé de jeunes gens shootés au Spiel sur les Futures conforte lévidence que ce système est pourri jusquà la moelle.
Le procès de Jérôme K.
Ce nest pas moi qui le dis, cest Sarkozy. Plus exactement, le fils chéri des produits financiers nous dit, texto, que «ce système marche sur la tête». Il est «devenu fou», entonne à lunisson Moscovici, socialiste mûri au capitalisme que y a pas moyen de faire autrement. Et, dans leur foulée, tous les thuriféraires des marchés, de toutes parts et de tous partis, de beugler à la nécessaire «moralisation» du capitalisme quon appelle «financier» en redécouvrant quil carbure à la spéculation. Les pipeaux de Bouton visant à faire de Kerviel le bouc émissaire de ses errances, ce fut juste amusant, quand tout établissait, à lévidence et depuis le premier jour, que sa hiérarchie était bienveillante, et complice.
En soi, le fade et zélé Jérôme K. ne nous inspire rien. Le condamner pour excès dinitiatives, cest verbaliser Schumacher pour excès de vitesse, un dimanche après-midi sur le circuit de Monza. Quant à moraliser le capitalisme, cest tenter de convaincre un tigre du bien-fondé, pour sa santé, de remplacer la gazelle de son petit déjeuner par un plat dépinards.
Vous croyez, vous, que le projet de «moralisation du capitalisme» passera par la reprise en main de léconomie par le politique, et létablissement de règles visant à redistribuer la richesse de sorte que, tandis que dix se goinfrent, mille ne crèvent pas dinanition ? Vous ny êtes pas du tout. Moraliser, cest prêcher le renforcement de la «transparence» des procédures (bel oxymore !), et basta. Des mots, comme à chaque fois que le merdier dérape, et plus rien jusquà la prochaine gamelle. Plus rien que le cynique et berçant mantra selon lequel, eu égard à la densité du trafic, le somme toute relatif nombre daccidents constitue bien la preuve que «ça marche».
En attendant, parce que les cinq milliards joués-perdus-volés ne sont pas virtuels, il conviendra que quelquun les paye. Les personnels de la Générale seront les premiers à passer à la caisse.
Puis, ses clients. Puis vous, moi, nous tous
Lhonneur dAlain M.
Cest entendu, le profil très bas de Daniel Bouton révèle une molle et flottante conviction. Pourtant, hier au soir, lhomme a été maintenu à la présidence de la Générale, malgré la pesante suggestion tombée la veille de lElysée. Peut-être, devant ses administrateurs, sest-il appliqué à lui-même les consignes quil donnait à ses gens, lorsquils étaient susceptibles dêtre audités dans laffaire dite «Sentier 2» (sur vos écrans judiciaires lundi prochain - Libération du 28 janvier), telle celle-ci : «Ne pas reconnaître une quelconque déficience interne, même sous vive pression». Peut-être a-t-il invoqué son «honneur», ainsi que la fait avec une ahurissante superbe Alain Minc, lequel semble avoir enfin obtenu la tête de Jean-Michel Dumay, le
président de la Société des rédacteurs du Monde (et de facto la perspective de liquidation des droits moraux de celle-ci), comme on obtient un parachute doré ?
Dans lombre de ses conseils dadministration, le capitalisme se soucie moins que sur la place publique de sa moralisation.
De la fumée et des odeurs
Vous avez remarqué comme ça pue partout, maintenant que lherbe à Nicot est partout proscrite ? La sueur dans les boîtes de nuit aux fumets de vestiaire, mais pas seulement : aux brasseries éclatantes, le graillon, maintenant ! Quant aux salles de marché, largent y exsude décidément une drôle dodeur