Quinze ans après sa diversification dans les parcs de loisirs, le numéro un de la gestion des domaines skiables accélère son internationalisation. Il mise sur une alliance en Chine.
C'est une journée anniversaire pas comme les autres pour la Compagnie des Alpes (CDA). Le numéro un mondial des remontées mécaniques et de la gestion de domaines skiables, exploitant de onze sites, dont la plupart des grandes stations alpines françaises (La Plagne, Les Arcs, Méribel, Serre Chevalier, Tignes, Val-d'Isère...), également quatrième opérateur européen de parcs et sites de loisirs avec quatorze unités en France et à l'étranger (Parc Astérix, Futuroscope, Grévin, Walibi...), fête ses vingt-huit ans ce jeudi et tient, le même jour, un conseil d'administration d'importance. Deux gros sujets, en effet, au menu de la réunion. D'une part, le processus de désignation de trois membres du conseil, dont le PDG, Dominique Marcel, à la tête de l'entreprise depuis le 1er octobre 2008 et en passe d'être reconduit - sous réserve de l'approbation des actionnaires lors de l'assemblée générale du 9 mars. D'autre part, la stratégie de cette filiale cotée de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), l'actionnaire de référence avec près de 40 % du capital.
Intrinsèquement liés, ces deux sujets le sont d'autant plus en ce début 2017 que la Compagnie des Alpes, créée en 1989 par la CDC pour reprendre en main une filière ski tricolore en difficulté, se prépare depuis quelque temps à un tournant majeur. Ce virage n'est d'ailleurs pas sans rappeler celui de 2002 avec sa diversification dans les parcs de loisirs, à la faveur de son OPA sur le groupe Grévin & Cie. L'objectif était alors de lisser son activité tout au long de l'année.
Leader mondial des pistes enneigées de par l'ampleur de son activité, CDA est encore très franco-français de par ses implantations. Soucieuse d'accélérer l'internationalisation de la société, sa direction, Dominique Marcel en tête, veut notamment pousser son développement en Chine, où le ski - et plus largement le secteur des loisirs - est en plein essor. Le ski y est même une priorité nationale, avec l'organisation par Pékin des Jeux d'hiver de 2022. De vingt à trente stations sont en préparation, sachant que la Chine en compterait aujourd'hui à peine une douzaine aux standards européens sur quelque 500 sites où le ski est pratiqué, contre à peine 50 en 2000... Quant au nombre de journées-skieur, estimé à 17 millions, il devrait s'élever à 25 millions d'ici à quatre ou cinq ans avec l'effet accélérateur des JO, ce qui représenterait, à cet horizon, environ la moitié du ski en France (52 millions de journées-skieur en 2015-2016).
La CDA, qui a déjà gagné un premier contrat d'assistance pour la station de Thaiwoo (district de Chongli, nord de la Chine) et a, par ailleurs, été retenue pour un projet de « ski dôme » à Shanghai, veut être pleinement partie prenante de cette nouvelle donne en nouant une alliance avec un partenaire local. Pour ce faire, Fosun, le propriétaire du Club Med - un gros client de la CDA -, fait office de partenaire pressenti.
Si la vision stratégique ne souffre guère de contestation, sa mise en oeuvre suscite en revanche des réserves voire une forte contestation. Pendant que certains s'interrogent sur le caractère exclusif du partenariat, les grands élus rhônalpins directement concernés par la CDA, à savoir le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes et ceux des conseils départementaux de Savoie, Haute-Savoie et Isère sont vent debout contre le projet d'ouverture de son capital qui accompagnerait l'alliance avec Fosun. En juillet dernier, ils se sont même publiquement alarmés, dans un virulent communiqué, d'une hypothétique prise de contrôle rampante de la CDA dont l'activité repose sur des délégations de service public des communes pour l'exploitation de leur domaine skiable .
Le sujet est donc sensible, toujours plus d'ailleurs à l'approche de l'élection présidentielle, d'autant que le directeur général de la Caisse, Pierre-René Lemas, devra prendre sa retraite en août. A première vue, il n'y aurait pourtant pas péril en la demeure pour la CDA : l'ouverture de son capital porterait sur de 10 à 15 % du capital, la CDC restant de surcroît l'actionnaire de référence. Ce rôle de la puissance publique a même été réaffirmé notamment par l'ancien ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, et ce devant l'Assemblée nationale, alors qu'il était interpellé par l'un de ses prédécesseurs, Hervé Gaymard, également député de la deuxième circonscription de la Savoie et le président du conseil départemental.
A rebours d'une ouverture du capital à Fosun, l'élu local plaide pour un pacte d'actionnaires franco-français, envisageant à ce titre l'entrée des départements dans le tour de table de la CDA, un renforcement des actionnaires financiers et institutionnels régionaux (environ 15% du capital en cumul), voire un appel à l'épargne populaire régional. Ceci étant, argue également Hervé Gaymard, l'entreprise en excellente santé n'a pas besoin de lever de fonds...
Nouvel appétit
Pour autant, un tel scénario n'est pas à écarter. Le PDG de la CDA ne cache pas en effet être prêt à une augmentation de capital en cas d'acquisition de taille significative. Tout comme il a évoqué la possibilité de se rapprocher d'un partenaire financier qui, lui, accompagnerait sa croissance externe. A ce propos, le nom de la société de capital-investissement d'origine britannique Permira circule. Avec deux alliés au capital, la question du maintien de la cotation de la CDA - mise en Bourse en 1994 - pourrait par ailleurs se poser.
De fait, la CDA, qui avait vécu deux décennies de conquête sous la houlette de son patron historique Jean-Pierre Sonois (de 1989 à 2008), se montre à nouveau en appétit et prête à saisir des opportunités tant dans les domaines skiables que dans les parcs de loisirs. Dominique Marcel, qui veut faire de l'entreprise « un champion mondial » des loisirs, a d'ailleurs également des visées sur un autre grand marché émergent d'Asie, l'Inde. Mais le PDG de la CDA mise aussi sur la consolidation de ses deux métiers en Europe.
S'agissant des domaines skiables, c'est un peu un retour à la case départ dans la mesure où la société a vendu, en 2009-2010, ses participations minoritaires en Suisse (Téléverbier, Saas-Fee) et en Italie (Courmayeur) dans le cadre d'un processus de vente d'actifs jugés non essentiels. Mais l'heure n'est plus au grignotage. Toujours aussi sélective, visant plus que jamais des stations en haute altitude moins sensibles au réchauffement climatique, la CDA veut jouer d'entrée son rôle de gestionnaire de domaines skiables.
Il en est de même pour les parcs de loisirs où le groupe semble avoir enfin calé son modèle. Sa seconde branche, qui a longtemps pesé sur sa rentabilité - d'où les doutes qu'a pu susciter sa diversification de 2002 -, a été passée au crible sous la houlette de Dominique Marcel qui l'a recentrée sur les gros parcs, jugés plus à même de doper ses performances. Cette reprise en main porte ses fruits, puisque l'excédent brut opérationnel de la branche a crû de 85 % au cours des trois derniers exercices à base comparable, pour un chiffre d'affaires en hausse de près de 22 %.
Outre un nettoyage du portefeuille, ce redressement a aussi été rendu possible par un effort d'investissement visant à accroître la satisfaction de la clientèle et la durée de séjour. Ainsi, le Futuroscope a investi 12,6 millions d'euros dans sa nouvelle attraction de simulation 3D, L'Extraordinaire Voyage, et un plan de développement hôtelier est en cours au Parc Astérix pour en faire une véritable destination touristique. A contrario, le succès de l'internationalisation de Grévin n'est pas encore démontré, en dépit des ouvertures à Montréal, Prague et Séoul. Madame Tussauds y veille !
Christophe Palierse