Publié le 10/10/2015 à 06:26 - Mis à jour le 10/10/2015 à 06:26
La principale préoccupation des investisseurs professionnels porte désormais sur la dette privée à haut rendement. La mise en défaut d’un groupe trop exposé pénaliserait la Bourse. Quelles sont les valeurs à risque ?
Une première alerte avait touché le groupe minier Glencore, cumulant une dette à 30 milliards de dollars : son cours avait chuté de 29% en une séance après les doutes des analystes d’une banque suisse portant sur sa solvabilité.
Petrobras suscite à son tour des inquiétudes. L’écart de rendement des obligations à cinq ans du géant pétrolier brésilien avec un emprunt d’État est monté jusqu’à 1.200 points de base, alors que l’entreprise porte une dette de 111 milliards de dollars. Son cours de Bourse a été divisé par deux depuis son plus haut annuel atteint en mai.
Plus près de nous, Altice, le holding de Patrick Drahi, porte une dette globale estimée proche de 50 milliards de dollars. Son cours de Bourse a perdu 23% en quatre séances, avant de rebondir.
Le scandale Volkswagen a aussi provoqué de sérieuses tensions sur le marché obligataire du constructeur allemand.
Plus largement, le marché américain du haut rendement affiche désormais un écart de plus de 700 points de base avec le bon du Trésor, prélude habituel à une récession. Hors énergie, le surplus de rendement tombe néanmoins à 400 points de base, mais un risque de contagion est bien présent.
Stephen Caprio et Matthew Mish chez UBS évoquent le risque d’un retournement négatif sur le marché du crédit. De nombreux investisseurs évoquent la bonne santé du secteur bancaire pour soutenir les entreprises, mais les deux stratèges anticipent un durcissement des conditions de prêts pour la fin d’année.
Les experts d’UBS prévoient une remontée du taux de défaut l’an prochain aux Etats-Unis, entrainant un renchérissement des coûts de financement pour les entreprises. Le marché de la dette à haut rendement pourrait même devenir inaccessible pour des entreprises au bilan plus fragile.
Depuis la crise financière de 2008, le marché américain de la dette privée a progressé de 57% à 4.700 milliards de dollars, alors que l’encours des prêts bancaires a augmenté de 7% à 800 milliards.
Mais pour les trois premiers trimestres de l’année 2015, les émissions ont sensiblement ralenti. Elles ont augmenté de 20% pour la dette privée américaine de bonne qualité notée « investment grade », mais elles ont baissé de 9% pour le haut rendement (high yield) aux Etats-Unis (-42% pour le seul troisième trimestre !). Les émissions en Europe se sont stabilisé depuis le début de l’année sur l’investment grade et ont progressé de 5% sur le high yield.
Dans les pays émergents, les émissions pour les entreprises notées investment grade ont baissé de 48% et le marché du haut rendement a chuté de 56% (-83% au troisième trimestre !).
Les stratèges d’UBS évoquent la similitude de comportement des investisseurs avec les deux précédentes fins de cycle du crédit aux entreprises, en 1999-2000 et en 2007-2008. La forte baisse des volumes d’émissions avait alors duré entre neuf et douze mois après 2007 et près de dix huit mois après l’an 2000. Dans un scénario de stress, ils anticipent d’ici un an une baisse de 9,4% des émissions sur le marché investment grade et de 15% sur le high yield.
Fabrice Laurenciau chez Aurel BGC évoque une contamination depuis l’été 2014 sur le marché du haut rendement, venue des producteurs d’hydrocarbures de schistes malmenés par la baisse des prix du pétrole, qui s’est propagée vers d’autres secteurs et vers le marché du high yield européen.
Le stratégiste juge «systémique» le risque crédit, qui devrait être à nouveau le principal critère de discrimination dans les performances boursières des entreprises européennes.
Même si des taux directeurs encore proches de zéro limitent le risque à court terme, la perspective d’une première hausse du taux directeur américain risque de favoriser de nouvelles turbulences sur le marché du high yield.
Le stratège d’Aurel BGC a donc identifié des entreprises qui méritent une vigilance accrue, en raison de leur niveau d’endettement. Ces sociétés sont menacées d’un cercle vicieux, quand le refinancement de la dette devient plus coûteux, quand les augmentations de capital doivent se faire à des prix trop bas, ou quand les ventes d’actifs sont bradées.
Sans même arriver à ces extrêmes, la performance boursière des entreprises jugées trop endettées devient inférieure à celle du marché.
Parmi les titres à risque, attaqués en Bourse depuis trois mois, Aurel BGC cite CGG (dette nette rapportée à l’ebitda estimé à 3,3 pour 2015), Numericable-SFR (ratio de 3,5), Altice (4,6), Abengoa (5,6), ThyssenKrupp (1,1), Arcelormittal (2,8), Rexel (3,1), Peugeot (-0,3), Areva (11), Vallourec (ratio non disponible), Renault (-0,4). La dette de toutes ces sociétés est notée par Standard and Poor’s entre B- et BBB-. Air France-KLM (dette nette sur ebitda estimé à 2,8), Rallye (3,1) et Faurecia (0,9) figurent aussi dans la liste, mais ne sont pas notés par l’agence.
Le stratège encourage la prudence sur les actions des sociétés endettées les plus cycliques, dont la génération de cash-flow est la plus volatile, dans les secteurs des matières premières, de l’énergie et de l’industrie.
En revanche, des opportunités boursières pourraient apparaitre sur des sociétés malmenées en Bourse mais évoluant dans des secteurs défensifs, où la stabilité des cash-flows permet de rembourser les créanciers