Depuis février, au moins sept PME ou ETI ont eu
recours à ce mode de financement. Parmi elles, Spineguard,
Spineway, Geci International, Acheter-Louer.fr et Europlasma.
Financement des ETI et PME cotées : l'étau se resserre autour
des obligations hybrides
Depuis que l'AMF a mis la pression sur les entreprises cotées
pour les dissuader de recourir aux Ocabsa, les tensions autour
de ce mode de financement se sont exacerbées. Au point de
compromettre l'avenir de ces obligations ?
Par Laurence Boisseau
15 novembre (Les Echos) -- Il y a 10 mois, le gendarme
boursier avait alerté - pour la quatrième fois en deux ans et
demi - sur les dangers des Ocabsa, ces instruments toxiques que
les Américains appellent parfois « dette de la spirale de la
mort ». Ces obligations, convertibles en actions avec bons de
souscription en actions, sont très dilutives pour les
actionnaires des sociétés qui les émettent. Les cours de Bourse
fondent comme neige au soleil. En deux ans, après plusieurs
émissions d'Ocabsa, le cours de Navya, le spécialiste des
voitures autonomes, est passé de quatre euros à trois centimes
?par exemple.
A force de recevoir des plaintes d'épargnants rincés,
l'AMF (Autorité des Marchés Financiers) a mis la pression sur
les entreprises. Elle leur a « recommandé » d'avertir sur les
risques encourus dès lors qu'elles émettent une Ocabsa. « Cela
revient à mettre une sorte de panneau rouge qui clignote avec
le sigle attention danger », résume un avocat.
Le gendarme boursier aurait voulu aller plus loin et
épingler les fonds d'investissement qui apportent du cash aux
entreprises en échange des Ocabsa. Mais il ne le peut pas. Ces
acteurs (Negma, Alpha Blue Ocean, Winance, Park Partners,
Yorkville Advisors) sont presque tous domiciliés dans les
Caraïbes ou à Dubaï et ne sont soumis à aucune régulation. En
janvier 2023, la Cour d'appel de Paris a ruiné tout espoir
d'encadrer leurs pratiques, du moins à court terme. Dans un
contentieux opposant la biotech Biophytis à Negma, elle a
conclu que le fonds n'exerçait pas d'activité illégale.
L'avertissement lancé par l'AMF en février a-t-il été
efficace ? Depuis février, au moins sept PME ou ETI ont eu
recours à ce mode de financement. Parmi elles, Spineguard,
Spineway, Geci International, Acheter-Louer.fr et Europlasma.
Mais l'action du régulateur n'a pas été vaine. D'abord,
les entreprises ont compris que, pour ne pas se retrouver dans
le viseur de l'AMF, mieux valait soigner leur communication,
qu'elle soit liée ou non aux Ocabsa. Visiomed risque une
sanction de 100.000 euros pour diffusion de fausse information
en 2018 ;le fondateur de Navya également,pour avoir tardé à
avertir le marché que l'objectif de chiffre d'affaires 2018 ne
serait pas tenu. Enfin, Negma, qui n'a pas déclaré des
franchissements de seuil en 2019 chez Visiomed, pourrait être
condamné à une amende de 200.000 euros.
Ensuite, les entreprises mettent plus facilement sur la
place publique leurs différends avec les fonds
d'investissement. Début novembre, Vergnet a annoncé avoir rompu
son contrat de financement avec Negma. Il l'accuse de ne pas
respecter ses engagements et est prêt à saisir la justice.
Biophytis, qui a perdu devant la cour d'appel contre Negma, a,
elle, formé un pourvoi en cassation et porté plainte au pénal
pour manipulation de cours et exercice illégal de la profession
de prestataire de services d'investissement.
De leur côté, des actionnaires, qui détiennent des titres
ne valant désormais plus que quelques centimes d'euros,
demandent réparation pour le préjudice subi. L'avocat Johann
Lissowski a été mandaté par 24 actionnaires de Pharnext pour
assigner la société en justice pour diffusion d'informations
trompeuses. Au total, ils ont perdu 3,5 millions d'euros.
D'autres procédures sont en cours, contre Archos et bientôt
contre Navya.
Pour les fonds d'investissement, qui assurent n'être
responsables en rien des difficultés de ces sociétés, la
situation est plus difficile depuis 10 mois. « Les petits
porteurs ont compris, à tort, qu'il fallait vendre dès qu'il y
avait l'avertissement requis par l'AMF. La liquidité manque
désormais sur ces marchés. Résultat, la structuration est plus
compliquée », explique Frédéric Sutterlin, associé chez Alpha
Blue Ocean. Or, ces produits ne fonctionnent que si un titre
est liquide. Pour que le financier gagne de l'argent, il doit
pouvoir vendre sur les marchés les titres récupérés de la
conversion des obligations. Si aucun titre ne s'échange, il est
bloqué.
« Aujourd'hui, le marché des petites et moyennes
capitalisations est exécrable. Les investisseurs fuient ces
sociétés. Même les gérants de fonds small et mid cap restent à
l'écart », constate Frédéric Sutterlin. Les introductions en
Bourse et les projets de cotation sont quasi inexistants à la
Bourse de Paris, du jamais vu depuis 20 ans. « Sur ces ETI et
PME cotées, il n'y a plus que des spielers (joueurs, NDLR], et
des algorithmes qui parient sur la volatilité des penny stocks
», déplore-t-il?.
Les Ocabsa vont-elles disparaître ? Negma affirme n'avoir
mis en place aucun nouveau programme de financement avec des
Ocabsa depuis février. « Pourtant, la demande reste forte, pas
un jour ne passe sans qu'une société ne nous sollicite. Nous
n'avons jamais autant refusé de financement, compte tenu des
conditions de marché », assure Frédéric Sutterlin.
Pour répondre aux critiques de l'AMF, Alpha Blue Ocean a
mis en place d'autres produits. En août, il a structuré, pour
Metavisio, un PACT (Programme d'augmentation de capital à
terme). Le nombre d'actions émises est défini à l'avance et
dépend du cours de Bourse. Les titres sont cédés en accord avec
la société. Ce qui limite la dilution.
« A force d'être décrié, nous arrêterons définitivement
d'intervenir en France », prévient un dirigeant de fonds
d'investissement. Qui alors pour prendre la relève et financer
les ETI et PME cotées en difficulté ? « Cela fait des années
que la place de Paris ne sait pas comment faire », s'inquiète
un spécialiste des marchés. « Le risque est grand que de
nombreuses sociétés fassent faillite si elles n'ont plus accès
à ce financement par Ocabsa. Des milliers d'emplois sont en jeu
», ajoute-t-il.