très bon article. Synthétique, pertinent
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INTERVIEW - Entretien avec Christophe Gaussin, PDG du groupe Gaussin, spécialiste des véhicules professionnels zéro émission. Il a été distingué "Personnalité hydrogène de l'année.
Challenges.
Pourquoi Gaussin, entreprise familiale spécialisée dans la conception de véhicules professionnels pour le transport de marchandises et de personnes, est-elle passée à l'hydrogène?
Christophe Gaussin. Nous avons lancé il y a dix ans une mutation radicale de nos véhicules pour qu'ils soient zéro émission et zéro bruit. Nous avons alors arrêté la motorisation thermique. Nous avons pris, en 2012, de très grands risques, nous étions très en avance. Tous nos véhicules ont des moteurs électriques dans les roues et des batteries pour délivrer la puissance et stocker l'électricité. On peut ajouter sur cette base une pile à combustible et un réservoir d'hydrogène pour augmenter la capacité de stockage et l'autonomie.
Nous avons construit à partir de 2012 une gamme de véhicules principalement off road (hors routes ouvertes) pour des utilisations sur les terminaux portuaires, où nous sommes depuis cinquante ans, et dans les centres logistiques. Nous avons un véhicule de 75 tonnes (de charge) conçu pour les opérations portuaires et un autre, de 38 tonnes, développé avec les acteurs du commerce électronique (Ikea, Amazon, UPS).
Votre stratégie consiste à équiper en priorité la logistique du commerce international?
Nous sommes convaincus que le développement de ces véhicules va se faire d'abord dans les usages privés hors route, sur les ports et sur des surfaces connues, sûres. C'est assez facile de mettre une station hydrogène dans un espace privé et on s'épargne ce qui est le plus coûteux, la distribution. Il existe une grande quantité d'utilisations possibles, tout ce qui est roulant sur un terminal jusqu'aux chariots élévateurs.
Notre métier, c'est de concevoir et de fabriquer les véhicules. Ces derniers sont adaptés à l'utilisation de l'hydrogène et à une utilisation autonome, ce qui est plus facile sur des parcours prédéterminés dans des centres portuaires et logistiques. Nous avons des véhicules sans chauffeurs guidés automatiquement. Nous avons ce savoir-faire. Il est très important. D'abord, parce qu'on ne trouve plus de chauffeurs. Ensuite, parce que nous voulons enlever de l'équation l'erreur humaine.
Quel est le marché?
Il y a une énorme demande. L'ensemble des opérateurs portuaires veut se verdir en moins de cinq ans. C'est aussi un secteur qui est en excellente santé. Le transport maritime a annoncé des résultats record. Cela permet d'avoir des ressources pour investir dans la décarbonation. Par ailleurs, il y a aussi une pression des investisseurs, des politiques et de l'opinion pour aller dans cette direction. Les acteurs de l'e-commerce ont des stratégies similaires. Nous sommes au début du cycle de l'hydrogène. Nous pensons que les prix des piles à combustible, des réservoirs et de l'hydrogène vont baisser. Et pour nos clients, passer à l'hydrogène est déjà une opération rentable. L'investissement supplémentaire est rattrapé en cinq ans. Il faut bien se rendre compte que sur le plan technique, par exemple, il n'y a plus d'entretien, sur les moteurs, sur les batteries, sur les piles. Il faut aussi réaliser que le couple fourni par les moteurs électriques est immédiat et considérable. C'est ce qui a fait le succès du camion que nous avons engagé sur la course Paris-Dakar.
Qu'avez-vous cherché à montrer en inscrivant votre H2 Ra-cing Truck au Paris- Dakar?
Nous avons construit un camion hors du commun. Il s'agissait de montrer que la technologie est là, aujourd'hui, pas en 2025 ou 2030. Tout comme la sûreté de fonctionnement. On a parcouru 12.000 km dans des conditions très difficiles sans problème. Et l'approvisionnement en hydrogène sur le parcours n'a pas été un problème non plus. Quant à ses performances, elles sont supérieures à celles d'un camion normal. Il est bridé à 140 km/h, mais peut rouler bien plus vite. Et sur route, pas sur les dunes, son autonomie serait de 2.000 km. Enfin, sur le Dakar, il produisait chaque heure 100 litres d'eau pure.
Ce véhicule est l'aiguillon de communication pour toute notre gamme de véhicules on road, conçus pour les routes ouvertes. On a un accord de partenariat avec Magna depuis dix ans et nous avons une plate-forme sur laquelle on peut monter un camion transportant les déchets, ou un camion toupie. Elle fait 500 kg de moins que n'importe quel véhicule de DAF ou de Volvo et elle est duale. On a 400 km d'autonomie avec la batterie embarquée et nous avons des réservoirs d'hydrogène qui ajoutent 800 km d'autonomie via une pile à combustible.
Le H2 Racing a participé aux douze étapes du dernier Paris-Dakar. Un signe de la maturité de la technologie hydrogène, selon Christophe Gaussin.
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Le H2 Racing a participé aux douze étapes du dernier Paris-Dakar. Un signe de la maturité de la technologie hydrogène, selon Christophe Gaussin.
Le H2 Racing a participé aux douze étapes du dernier Paris-Dakar. Un signe de la maturité de la technologie hydrogène, selon Christophe Gaussin. (photos: sdp/gaussin)
Quelle sont la situation financière de Gaussin et vos projets de développement, notamment à l'international?
Nous nous portons très bien. En 2019, nous avions 18 millions d'euros de chiffre d'affaires. L'an dernier, nous avons atteint 52 millions d'euros et notre carnet de commandes est de 90 millions d'euros. Nous avons une cinquantaine de clients dans le monde et nous gagnons de l'argent avec nos véhicules. Le modèle économique que nous avons choisi à l'international est de se localiser, de créer des usines de fabrication locales en cédant des licences, qui s'apparentent d'ailleurs plutôt à des franchises. On veut en créer une quarantaine avec un ticket d'entrée de l'ordre de 20 millions d'euros pour les plans pour l'accès aux clients. Nous avons signé des contrats mondiaux, par exemple avec Amazon.
Nous avons également comme client le port de Singapour. Il veut acheter 3.000 tracteurs autonomes pour transporter 60 millions de conteneurs par an. Notre franchisé à Singapour est un grand groupe, ST Engineering. Et nous aurons des royalties sur son chiffre d'affaires. Ce sont des marchés qui nous échapperaient si nous n'avions pas la fabrication locale. Nous avons ouvert celui du Qatar. Nous venons également de signer des accords en Nouvelle- Zélande et en Australie. Enfin, nous sommes en négociations pour des projets aux Etats-Unis et au Canada.
Propos recueillis par Eric Leser