* Une augmentation exponentielle des dossiers depuis 2012 * Une évolution de la perception de la menace terroriste * Vers une explosion du nombre de procès aux assises par Emmanuel Jarry PARIS, 24 octobre (Reuters) - La justice antiterroriste française est confrontée à une inflation de dossiers liés à l'islamisme radical et menacée de saturation si de nouveaux moyens ne lui sont pas alloués, selon des magistrats interrogés par Reuters. Depuis l'assassinat en mars 2012 de sept personnes dont trois militaires et trois écoliers juifs par Mohammed Merah, dont le frère Abdelkader est jugé depuis début octobre, le nombre de ces dossiers a crû de façon exponentielle. Au 9 octobre 2017, la justice recensait 621 saisines de la section antiterroriste du parquet de Paris pour faits liés à l'islamisme radical depuis 2012, dont 452 dossiers en cours (235 enquêtes préliminaires et 217 informations judiciaires). De dix en 2012, ces saisines sont passées à 26 en 2013, 78 en 2014, 135 en 2015, 240 en 2016 et environ 130 sur les trois premiers trimestres de 2017. Sur ces 621 dossiers, 169 ont été clôturés et sont soit en attente de jugement, soit classés. Cette inflation s'explique notamment par l'évolution de la menace terroriste et de sa perception, indissociables de la situation en Syrie et en Irak, où 1.800 à 2.000 Français se sont rendus depuis 2012, selon les services de renseignement. Depuis que l'Etat islamique (EI) a appelé en 2014 les musulmans à tuer "de n'importe quelle manière" des citoyens de pays comme la France, des actes qui auraient jusque-là été considérés comme relevant du droit commun sont systématiquement soupçonnés de s'inscrire dans cette stratégie de terreur. L'Etat d'urgence décrété à la suite des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis et la multiplication des opérations de prévention ont aussi eu un effet accélérateur. Au total, ce sont 1.431 personnes qui font ou ont fait l'objet d'enquêtes judiciaires, dont 387 mises en examen (253 en détention provisoire et 134 sous contrôle judiciaire). "COMBIEN DE TEMPS ÇA PEUT DURER ?" Face à cette avalanche, le nombre de magistrats de la section antiterroriste du parquet de Paris qui dirigent les enquêtes a été doublé, de sept en 2012 à 14 aujourd'hui. Celui des juges d'instruction spécialisés a été porté à 11 en 2016 et un douzième est attendu en 2018. Ils ont aussi reçu en 2016 le renfort de trois assistants spécialisés : deux experts en cybercriminalité et un analyste du contexte géopolitique. "Ça doit tenir à peu près la route avec un douzième magistrat instructeur. Si on a besoin un jour d'un treizième juge, on l'aura", confie à Reuters un de ces juges d'instruction. "Il est sûr que si on était resté à huit ou neuf, ce n'était pas possible." "Il n'y a pas rupture mais la question c'est combien de temps ça peut durer", renchérit Pascal Gastineau, président de l'Association française des magistrats instructeurs. La 16e chambre correctionnelle de Paris, où défilent les prévenus accusés d'association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, financement du terrorisme et organisation de filières djihadistes juge aujourd'hui des faits de 2015. "Pour les faits commis en 2016, les procès n'auront pas lieu avant 2018-2019", souligne une de ses présidentes, favorable à une justice en circuit court (sans passer par l'instruction) pour les délits les moins graves. Les délais sont en moyenne deux fois plus longs pour les procès aux assises -- celui d'Abdelkader Merah a ainsi lieu cinq ans et demi après les faits. Or, si la grande majorité des affaires sont jugées jusqu'ici en correctionnelle, où la peine maximale, sauf récidive, est de dix ans d'emprisonnement, le nombre des procès aux assises va exploser dans les années à venir. RISQUE DE "THROMBOSE" Le parquet de Paris a en effet décidé au printemps 2016 de qualifier de crimes passibles de 20 ans de prison ou plus des infractions considérées jusque-là comme des délits. Ce sera le cas des personnes parties combattre dans les rangs de l'EI. "Tout cela va remonter en cour d'assises (...) Il faudra nécessairement des effectifs supplémentaires, tant au siège qu'au parquet, pour éviter la thrombose", souligne Philippe Courroye, avocat général lors du procès de la cellule dites de Cannes-Torcy, au printemps dernier. Un juge antiterroriste évalue la proportion des dossiers pouvant être renvoyés aux assises à deux tiers des affaires instruites et susceptibles de donner lieu à procès. "Un procès comme celui d'Abdelkader Merah, c'est plusieurs mois de préparation. Et le président, les magistrats et avocats en sortent vidés", confie un magistrat du parquet général. Si les effectifs ne sont pas revus à la hausse, "on court à la catastrophe", ajoute-t-il. "On ne pourra pas juger les gens dans les délais et les dossiers arriveront bâclés à l'audience." Pendant ce temps, les parquets locaux continuent de devoir gérer un afflux de signalements d'individus radicalisés - une quarantaine par mois pour le seul parquet de Bordeaux - qui doivent être évalués avant qu'une suite leur soit donnée. La création éventuelle d'un second pôle antiterroriste, dans le sud de la France, pour décharger celui de Paris, ou bien au contraire d'un parquet national dédié, et la mise à contribution des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) dédiées à la criminalité organisée, ont été évoquées ces dernières années. Mais aucune de ces pistes n'a connue jusqu'ici de développement. (Edité par Yves Clarisse)
ECLAIRAGE -La justice antiterroriste française menacée de thrombose
information fournie par Reuters 24/10/2017 à 12:28
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