Aller au contenu principal Activer le contraste adaptéDésactiver le contraste adapté
Fermer

La crise du coronavirus ressuscite les clichés autour de la nourriture chinoise
information fournie par Le Figaro 08/02/2020 à 07:30

La crise du coronavirus ressuscite les clichés autour de la nourriture chinoise (Crédit photo: Frank Zhang - Unsplash)

La crise du coronavirus ressuscite les clichés autour de la nourriture chinoise (Crédit photo: Frank Zhang - Unsplash)

REPORTAGE - Des restaurateurs chinois installés en France ont vu leur fréquentation baisser depuis l'émergence du virus, quand bien même le risque de transmission par la nourriture est quasi-nul.

« Est-ce que vous servez de la soupe à la chauve-souris? » La question n'est désormais plus étrangère à certains restaurateurs chinois. Depuis l'émergence du nouveau coronavirus, dont la chauve-souris est soupçonnée d'être la source, des restaurateurs sentent monter la défiance des clients - tandis que leur chiffre d'affaires, parallèlement, diminue.

« La fréquentation a baissé à Belleville, les magasins sont pratiquement vides et c'est un peu triste, alors qu'il n'y a pas de risque de contagion », regrette Weiming Shi, adjoint au maire du XXe arrondissement en charge du commerce. Dans ce quartier où la communauté asiatique est importante, certains restaurateurs interrogés par l'AFP rapportent une baisse de chiffre d'affaires de 30% depuis l'émergence du coronavirus.

Dans les rues du XIIIe arrondissement de Paris, les fanions sortis pour le Nouvel An Chinois se balancent dans le ciel mâtiné. Ils jalonnent habituellement le parcours du défilé du Nouvel An, mais pas cette année: celui-ci a été repoussé, avant d'être tout bonnement annulé. «Nous le reportons pour risque sanitaire et pour risque de psychose» , a ainsi justifié le responsable de l'Association des Chinois résidents en France (ACRF). Or cet arrondissement compte un grand nombre de restaurants asiatiques ; l'annulation de ce grand événement, qui constitue un pic de consommation, est un coup supplémentaire.

En outre, les signes de défiance à l'égard de la communauté asiatique, au restaurant comme dans la rue, se sont multipliés. Sur les réseaux sociaux, des personnes asiatiques disent être évitées, ou voir des gens se couvrir la bouche à leur passage. Le SAMU a rapporté des appels de personnes s'inquiétant d'attraper le virus en mangeant chinois.

Dans un post publié sur Instagram, un responsable de la Taverne de Zhao, dans le Xe arrondissement, a dénoncé des commentaires «vachards» par dizaines et répondu, point par point, aux inquiétudes qui ont pu émerger chez des consommateurs. Des questions qui ne concernent pas forcément le coronavirus: les Chinois mangent-ils du chien? Les restaurants chinois sont-ils sales? Utilisent-ils trop d'huile? Le coronavirus a réveillé toute une série de soupçons liés à la cuisine chinoise.

Un soupçon persistant

«No dogs, no cats, no rats. Just chinese food» ( «pas de chiens, pas de chats, pas de rats. Seulement de la cuisine chinoise» ). Céline Chung est restauratrice et fondatrice du restaurant Petit Bao, dans le IIe arrondissement de Paris. La jeune entrepreneuse a fondé la communication de son restaurant sur une approche humoristique des clichés qui existent autour de la cuisine chinoise. L'enseigne précise en outre sur son site Internet que les bao, ces ravioles vapeur typiques de Shanghaï, «ne sont pas préparés dans des appartements ou des baignoires» . Pour la restauratrice, le coronavirus entrave tout un processus de dédiabolisation de la cuisine chinoise: «il y a encore beaucoup de clichés sur la nourriture chinoise, ils préexistaient au coronavirus. Mais il exacerbe la méfiance» . Car même pour de la nourriture produite et servie selon les normes françaises, le soupçon sur la différence de culture alimentaire en Chine perdure.

«Un proverbe cantonais a tendance à revenir quand on parle de nourriture chinoise: ‘On mange tout ce qui a quatre pattes sauf les tables, tout ce qui vole sauf les avions', explique Jean-Christophe Poulain, sociologue de l'alimentation UMR-CNRS. Les Chinois ont un spectre du mangeable qui est bien plus large que les Occidentaux - il est parmi les plus larges du monde. Il y a de cela une quinzaine d'années, la grande inquiétude des Français était de se voir servir du chien ou du chat» . Si elle est moins présente ces dernières années, cette critique a été relevée par plusieurs restaurateurs, dont ceux de la Taverne de Zhao, depuis l'émergence du Coronavirus. «Mais l'image des marchés chinois, où l'on achète les animaux vivants, à tendance à persister» , poursuit Jean-Christophe Poulain. Un mode d'achat qui existe toujours, cependant les jeunes générations basculent vers des habitudes plus occidentales. «Comme c'est éloigné par rapport à nous, on garde l'image que quelque chose ne se passe pas comme chez nous. Et certains en viennent à penser que tout ce qui est chinois est dangereux» . Même quand l'assiette est servie en France et que son contenu y est également produit. Interrogée par Le Figaro fin janvier, la chaîne de supermarchés asiatiques «Tang Frères» appelle à ne pas céder à «la psychose» et rappelle qu'il n'y a «aucun risque à consommer des produits alimentaires importés de Chine ou d'Asie» .

La cuisine chinoise a lutté pied à pied pour gagner la confiance des consommateurs occidentaux. Aujourd'hui, et dans un cadre plus large, deux Français sur trois déclarent consommer de la cuisine asiatique au moins une fois par mois et un quart d'entre eux en consomment même une fois par semaine, selon un sondage Harris-Interactive. Pour 62% d'entre eux, elle se commande chez un traiteur asiatique plutôt qu'au supermarché.

Les scandales sanitaires, comme celui de la grippe aviaire au milieu des années 2000 et maintenant le coronavirus, font cependant planer autour de la nourriture chinoise le spectre du risque infectieux. Les connaissances concernant le nouveau virus sont en outre loin d'être complètes à ce jour. «Comme la population n'est pas informée sur le mode de transmission, elle peut craindre le pire, explique Gilles Fumey, professeur de géographie culturelle. Et la nourriture a souvent été accusée de transmettre des maladies» . Malgré la baisse de fréquentation des restaurants et l'inquiétude visible, la France est selon lui encore loin de l'état de psychose: «pour l'instant, c'est ‘wait and see'» .

0 commentaire

Signaler le commentaire

Fermer

A lire aussi