
ouigo gare sncf 2 (Crédits: Flickr - Olivier Prt)
Comme d'habitude, la compagnie ferroviaire a ouvert ce mercredi, très en amont, les réservations pour les prochaines vacances, de Pâques en l'occurrence. Ce qui oblige les voyageurs à anticiper leurs voyages, souvent contre leur gré.
«Les billets de train pour le printemps sont disponibles dès maintenant ! C'est le moment parfait pour planifier vos prochains voyages, faits de week-ends prolongés au soleil et de petites escapades imprévues» , clamait ce mercredi matin la SNCF sur ses réseaux sociaux, en annonçant l'ouverture des réservations pour ses TGV Inoui et Intercités pour la période allant du 31 mars au 11 mai, couvrant donc les vacances de Pâques et les ponts de mai . Le moment «parfait» ? Pas pour tout le monde. Pour Dimitri*, qui a prévu un week-end prolongé à Aix-en-Provence pour le pont du 1er mai, c'est bien trop tôt. «C'est relou de devoir absolument prendre ses billets des mois à l'avance» , râle le trentenaire parisien, la SNCF ayant pour habitude d'ouvrir ses ventes toujours plusieurs mois avant la date de départ.
Car ne pas anticiper, cela signifie devoir payer plein pot, la faute au «yield management» pratiqué - entre autres - par la SNCF. Une «tarification dynamique» en bon français, qui consiste à faire fluctuer les prix en fonction du remplissage du train. Résultat : plus les voyageurs réservent tard, plus les tarifs sont élevés. Habitué des trajets entre Paris et Montpellier pour y retrouver sa compagne qui habite dans la cité héraultaise, Marko*, 29 ans, déplore cette exigence d'anticipation. Cet ingénieur francilien reconnaît en effet devoir «payer assez cher». «Comme j'ai pas mal de déplacements professionnels qui peuvent s'organiser au dernier moment, je ne peux prendre mes billets que deux semaines à l'avance au maximum, et encore c'est rare.»
«Réservez vite vos trajets jusqu'au 11 mai 2025» , intime la SNCF dans son mail envoyé ce mercredi aux voyageurs. Une injonction qui peut être «contraignante et parfois stressante» pour Jon, 38 ans. «Je voyage souvent en train, et bien que j'essaie de m'organiser en amont, il y a toujours des imprévus. Le travail, la vie personnelle, la météo… Les impondérables ne sont jamais bien loin, et il est impossible de tout prévoir» , juge-t-il. Lui a donc décidé de ne pas se «mettre de pression» . «Si je dois réserver à la dernière minute, tant pis» , même si «cela peut coûter plus cher» , résume le Parisien. «Je préfère m'adapter à mes besoins réels plutôt que de céder aux injonctions de consommation qui nous disent quand et comment réserver.»
«La sensation de perdre la maîtrise de nos choix»
Si Jon le prend avec philosophie, ce n'est pas le cas en revanche de Marie*, 44 ans et mère de deux ados. «Cette politique qui consiste à nous obliger à tout prévoir des mois à l'avance, c'est insupportable, c'est une charge mentale supplémentaire !» , tonne cette cadre dans le secteur de la communication, aux journées et semaines bien remplies. «Entre le boulot, les enfants… J'essaie déjà de faire ce que j'ai à faire au jour le jour. Et donc au final, je sais que si j'ai besoin de billets de train, je vais nécessairement payer le prix fort, et ça me met en colère.»
«Cet agacement, voire cette angoisse chez certains, vient du fait que l'on a la sensation de perdre la maîtrise de nos choix et que ceux-ci ne sont plus personnels, décrit le docteur en psychologue clinique Saverio Tomasella. Ce n'est pas moi qui me dis : “tiens, je pense à mes vacances”. Mais on vous donne une information, en forme d'injonction : “c'est maintenant qu'il faut réserver”.» Information qui en plus est accompagnée «d'un grand vacarme publicitaire, sur nos applications, par mail, avec une notification sur nos smartphones, qui vient provoquer une saturation» , ajoute le chercheur et conférencier, pour qui on peut effectivement parler de «charge mentale» .
Certains s'en accommodent malgré tout, non sans critiquer cette contrainte. «Comme je suis organisé, je profite de ce système, au détriment des gens qui le sont moins, reconnaît Timothée*, 29 ans. Mais cela force à beaucoup s'organiser en amont. Quand on y arrive, c'est super, on paie moins cher, mais quelle charge mentale de devoir tout le temps prévoir.» Se décrivant également comme «organisée», Emilie*, 29 ans aussi, déplore malgré tout le fait que les billets «soient aussi chers en dernière minute, et que des trains soient déjà complets des semaines à l'avance, pendant les vacances par exemple».
Thomas, jeune juriste parisien, a également dû se rendre à l'évidence. Bien qu'il se dise «agacé par les prix parfois exorbitants qui conduisent à devoir anticiper très en amont», il dit essayer, pour son budget, «de plus en plus de (s)'y prendre à l'avance, et donc d'anticiper trois semaines ou un mois avant» . Pour la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut), le problème vient du manque de rames de TGV . «Avec une offre normale par rapport à la demande, il n'y aurait pas de problème» , estime son président François Delétraz. «Alors que là, comme il manque 50 rames pour que l'offre corresponde à la demande, on atteint plus rapidement les prix les plus élevés.»
«Ça me rassure»
Ce système de réservation bien en amont n'est pas propre à la compagnie ferroviaire publique, loin de là. «La SNCF n'est pas la seule à proposer des ouvertures de ventes plusieurs mois à l'avance. En effet, beaucoup de transporteurs proposent des voyages des mois à l'avance. Par exemple Flixbus et Air France ouvrent un an à l'avance» , souligne-t-on chez SNCF Voyageurs. Au-delà, c'est tout notre quotidien qui est empreint de cette nécessité d'anticipation. Musées, restaurants, cinéma, attractions touristiques... Plus rien n'échappe au principe de la réservation (quasi) obligatoire.
Mais à la SNCF, on jure que «l'ouverture des ventes est très attendue par nos clients qui souhaitent réserver le plus en amont possible pour profiter des petits prix et organiser leurs week-ends, vacances, ponts» . Depuis novembre dernier, la compagnie expérimente même une nouvelle option, «afin de permettre aux clients de pouvoir réserver leurs billets TGV Inoui le plus en amont possible» . Pour les trajets Paris-Lyon, Paris-Marseille et Paris-Montpellier, il est désormais possible de prendre son billet jusqu'à six mois à l'avance.
Le rêve pour Jean*, 33 ans, qui organise ses trajets le plus tôt possible. «À la fois par opportunité économique, et à la fois à cause de mon côté “control freak”. C'est-à-dire que, tant que le voyage n'est pas réservé, je considère qu'il n'est pas “officiel”, explique le trentenaire. Et puis les billets SNCF sont très facilement remboursables ou échangeables. Donc ce n'est pas trop engageant s'il y a un gros changement de programme.» Emma, 25 ans, réserve elle aussi «toujours super à l'avance» , que ce soit le train ou l'avion. «C'est moins cher et ça me rassure» , confie-t-elle. «Les personnes qui ne sont pas touchées par ce stress de la réservation, voire qui apprécient, ce sont celles qui ont anticipé avant même de recevoir l'information, de l'ouverture des ventes de billets par exemple, explique Saverio Tomasella. Pour les personnes qui attendent ce moment-là, il y a une satisfaction quand il arrive.» Mais face à cela, conclut le docteur en psychologie clinique, «on est inégaux d'une personne à l'autre».
*Le prénom a été modifié.
0 commentaire
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer