Ista a récemment facturé des copropriétés ayant changé de syndic. Tout en admettant une erreur, l’entreprise pointe les complications administratives et techniques découlant de ces changements.
Connaissez-vous Gilles Frémont ? Il est une sorte de vigie du métier de syndic et des prestataires des copropriétés. Tout en défendant bec et ongles les gestionnaires d’immeuble au point de tirer à boulet rouge sur les conclusions souvent très mitigées des enquêtes sur les syndics , il met régulièrement en garde contre des pratiques pour le moins discutables.
L’été dernier, il s’attaquait ainsi à Citya, un poids lourd de la gestion des copropriétés, filiale du puissant groupe Arche. Cette fois, c’est Ista, le numéro un français des compteurs d’eau et d’énergie en copropriété qui est dans le viseur. En cause : des frais « abusifs » facturés. Au cours des derniers mois, des centaines de syndics ont reçu de la part de cette société une facture surprise de 240 euros TTC. Pourquoi ? Parce que les copropriétés concernées avaient changé de syndic. Beaucoup sont tombés des nues puisque ces frais ne figurent pas au contrat qu’ils ont signé avec Ista.
Dans un message au vitriol publié sur Linkedin, Gilles Frémont, lui-même directeur copropriété au sein du cabinet Corraze et président fondateur de l’Association nationale des gestionnaires de copropriété (ANGC), dénonce « une pratique commerciale illicite ». « Bien entendu, nous ne les avons pas pris en traître. Nous les avons largement avertis de la publication à venir s’ils ne se rétractaient pas de façon claire, nette, et immédiate. Il n’y a pas à discuter. Malheureusement ils s’y sont refusés », assène-t-il encore dans le message. De nombreux syndics confirment ses dires, postant à leur tour un commentaire et faisant savoir qu’ils avaient bien reçu la fameuse facture et ne la paieraient pas.
C’est le cas de Stéphane Tibi, patron du cabinet Tibi, basé à Paris. Il a repris en juin dernier un petit immeuble de 14 appartements situé dans le 13e arrondissement. « J’ai reçu la facture de 240 euros fin juillet. J’ai demandé des explications et j’en ai eu de la part de la commerciale. Comme cela n’est pas prévu au contrat, je ne paie pas. Mais la facture est maintenant de 360 euros puisque des frais de relance ont été ajoutés. » L’affaire a continué à se corser puisqu’une société de recouvrement a été désignée par Ista pour récupérer les fonds. L’assemblée générale de cette petite copropriété s’est tenu jeudi soir et tous les participants ont fait bloc avec le syndic pour ne pas verser un centime. « Je leur ai dit que c’était une arnaque », commente Stéphane Tibi.
Liaisons dangereuses
D’autres gestionnaires pointent une activité au final très rentable pour ces sociétés. « Ista, comme ses concurrentes, est assise sur une rente avec des contrats de 10 ans qui, dans les faits, durent 30 ou 40 ans. Et les copropriétés paient tout ce temps pour la location de compteurs largement amortis », dénonce Julien Sevenier, directeur associé du cabinet marseillais Sevenier & Carlini et associé de l’ANGC formation. Lequel pointe au passage les relations « dangereuses » qu’entretiendraient les fédérations professionnelles de l’immobilier avec le leader de l’installation de compteurs d’eau et d’énergie en copropriété. « Ce qui est révoltant, c’est qu’Ista finance l’Unis et la Fnaim. C’est comme si le syndicat des médecins était financé par l’industrie pharmaceutique ou les organisations agricoles par les grands industriels de la semence », étrille-t-il.
Du côté d’Ista, l’heure est au mea-culpa. « Nous avons été alertés il y a quelques semaines. Et il y a bien eu une erreur de notre part. Nous avons facturé des copropriétés pour lesquelles ce n’est pas écrit dans le contrat. Nous sommes en train d’éditer des avoirs ou d’annuler les factures quand elles n’ont pas été réglées », confie Laurent Sireix, le président d’Ista. Lequel ajoute que les copropriétés concernées ne sont guère plus que « 200 ou 300 », soit une infime partie des dizaines de milliers d’immeubles ayant confié la gestion de leurs compteurs à cette société.
Pour autant, ce patron défend le principe de la facturation en cas de changement de syndic. « On ne s’amuse pas à facturer sans raison, se justifie Laurent Sireix . Quand il y a un changement de syndic, ce sont tous les flux administratifs qu’il faut modifier. Nous devons nous connecter aux interfaces des syndics sur lesquels transitent les flux financiers et cela prend du temps. C’est grâce à cette interface que les index de consommations sont directement transmis dans les données d’une copropriété sans avoir à être recopiés, ce qui limite les erreurs. »
Changements de syndics en forte hausse
Encore faut-il que les équipes d’Ista soient informées qu’un nouveau syndic a pris le relais. Or, selon Laurent Sireix, ce n’est pas toujours le cas. À l’entendre, ce serait même la croix et la bannière pour obtenir des informations de la part du gestionnaire d’immeuble qui a été remercié ou qui a rendu son tablier. « Quand nous ne sommes pas prévenus, nous envoyons à l’ancien syndic une facture qui, bien sûr, n’est pas payée. Nous faisons alors une, puis deux, puis trois relances. Nous appelons l’ancien syndic qui, le plus souvent, ne veut pas nous communiquer le nom de son successeur. C’est vraiment très compliqué et cela génère beaucoup de frais en interne sachant que le nombre de changements de syndics parmi nos clients a très fortement augmenté l’an dernier». Et pendant tout ce temps, les index de consommation en eau et en chauffage ne sont pas transmis au nouveau syndic. Des postes supplémentaires auraient été créés chez Ista, tant les passages de relais problématiques entre les anciens syndics et leurs successeurs ont augmenté. « Il faut vraiment que la profession de syndics travaille ce sujet », conseille le patron.
Pour faire face à ces coûts croissants, le contrat proposé par Ista depuis « un an et demi » mentionnerait noir sur blanc les frais imputés aux copropriétés en cas de changement de syndic. « Si nous ne sommes pas informés dans un délai raisonnable, ils s’appliqueront », prévient Laurent Sireix. Que faut-il entendre par «délai raisonnable» ? « Sous 2 mois», répond-il, ajoutant que cette durée n’est pas précisée dans le contrat. La porte ouverte à de futures polémiques et litiges.
Souvent critiquées par les copropriétaires en raison de tarifs jugés trop élevés, d’erreurs éventuelles ou parce qu’il est difficile de s’y retrouver dans le calcul du prix de revient de l’eau chaude sanitaire, ces sociétés rendent aussi de précieux services à leurs clients. Pour autant, les compteurs permettent aux copropriétaires de ne payer que leur consommation. Toutes les études, sans exception, pointent les baisses de consommations en eau et en énergie dans les immeubles équipés. Surtout les années suivant l’installation de ces équipements. Et c’est somme toute assez logique : les occupants d’un immeuble sont individuellement bien plus vigilants quand leur consommation personnelle est mise à leur charge.

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