"Il y a un contexte mondial décomplexé qui montre qu'en fait, les lignes rouges du nucléaire bougent", s'inquiète une experte alors que Vladimir Poutine a brandi la menace nucléaire plusieurs fois depuis le début de la guerre en Ukraine.

Des paramilitaires indiens à Srinagar, en Inde, le 30 avril 2025. ( AFP / TAUSEEF MUSTAFA )
La tension est brusquement montée la semaine dernière entre les deux frères ennemis de la péninsule indienne, dans le sillage de l'attentat qui a fait 26 morts dans le Cachemire indien. Un événement qui fait peser le risque de frappes, voire de conflit ouvert entre l'Inde et le Pakistan, deux puissances nucléaires.
New Delhi, qui accuse Islamabad d'être derrière la tuerie, n'a pour l'heure pas réagi militairement. Mais le Premier ministre indien Narendra Modi a assuré mardi à son armée qu'elle disposait de la "liberté opérationnelle" de répondre comme elle le souhaitait.
Quant au Pakistan, qui nie ses responsabilités et réclame une "enquête neutre", il a promis de répondre à toute agression ennemie et déclaré anticiper une frappe militaire indienne sous moins de deux jours.
Le précédent de 2019
En 2019, une attaque tue 40 paramilitaires indiens à Pulwama (Cachemire indien). Elle est revendiquée par le Jaish-e-Mohammed, un groupe islamiste pakistanais aux liens présumés avec les services extérieurs pakistanais (ISI). L'Inde mène des frappes aériennes chez son voisin , pour la première fois depuis la guerre de 1971. Le Pakistan riposte, abat un avion indien et capture un pilote.
"La situation a finalement été désamorcée, en partie grâce à la pression diplomatique de Washington, mais les relations sont restées dans l'impasse depuis", rappelle Praveen Donthi, analyste pour l'International Crisis Group (ICG).
"Je trouve inquiétante l'évolution du régime de Modi , qui a montré qu'il était capable de faire une démonstration de force en 2019, et qui là réaffirme ses capacités", juge Mélissa Levaillant, du Conseil européen des relations internationales (ECFR).
• La pression sur Narendra Modi
Depuis l'attentat, l'opinion publique indienne pousse Narendra Modi à riposter. "De nombreux Indiens ont exigé des représailles contre le Pakistan (...). Les critiques envers l'incapacité perçue du gouvernement indien à protéger les civils sont également répandues", souligne Praveen Donthi.
"Les Indiens sont tout de suite allés dans l'escalade anti-pakistanaise. Et les chaînes de télévision nationalistes affichent une grande cohésion", convient Mélissa Levaillant. "Mais que cherchent exactement les Indiens ? Ce n'est pas très clair, notamment parce que les soutiens pakistanais à des groupes terroristes ont quand même fortement baissé ", ajoute-t-elle.
• La communauté internationale moins présente
Contrairement à 2019 et à d'autres épisodes de tensions, la communauté internationale pourrait être moins proactive, notamment Washington.
"Les États-Unis ont fort à faire avec l'Ukraine, Gaza et l'accord nucléaire iranien, ce qui pourrait offrir à Pékin une opportunité d'intervenir", craint Colin Clarke, directeur scientifique du Soufan Center, à New York (États-Unis). Mais "vu l'étroite relation de la Chine avec le Pakistan, il est peu probable qu'elle soit considérée comme un interlocuteur objectif par l'Inde".
Avec l'administration du président américain Donald Trump, renchérit Mélissa Levaillant, "il y a un risque que les États-Unis s'investissent moins. Leur relation avec le Pakistan s'est détériorée et Islamabad n'est plus un atout stratégique dans la gestion des talibans en Afghanistan".
• Quelles conséquences militaires ?
La multiplication des crises et l'usage décomplexé des armes aux quatre coins du globe ne plaide pas vers l'apaisement. Mais les options sont multiples.
"Il n'est pas clair si l'Inde ripostera militairement contre son voisin", note Praveen Donthi. "Le cessez-le-feu sur la 'ligne de contrôle', la frontière de facto entre les parties administrées par l'Inde et le Pakistan du Jammu-et-Cachemire, continue de tenir. Mais New Delhi pourrait encore décider de frapper, surtout si elle se sent enhardie par les expressions de soutien du monde entier" après l'attentat.
"Il est probable que les deux armées vont amasser des forces. Mais on est au tout début de la crise, avec encore beaucoup d'inconnues", relève Mélissa Levaillant.
Un flou qui ne saurait être rassurant : "Parfois, en particulier entre des adversaires de longue date, l'inertie prend le dessus (...) et rend la situation beaucoup plus dangereuse", avertit Colin Clarke.
• Le contexte nucléaire
L'hypothèse la plus dangereuse résulte dans l'affrontement entre deux puissances dotées de l'arme nucléaire. "Le fait qu'il y ait un risque d'escalade entre deux puissances nucléaires est parmi les problèmes de sécurité mondiale les plus graves qui puissent jamais survenir", relève Colin Clarke.
La bombe atomique reste le tabou absolu depuis 1945, mais le président russe Vladimir Poutine en a brandi la menace à moult reprises depuis le début de la guerre en Ukraine en février 2022.
"Il y a un contexte mondial décomplexé qui montre qu'en fait, les lignes rouges du nucléaire bougent" , note Mélissa Levaillant. En l'espèce, "la gestion de l'escalade est périlleuse, avec une doctrine nucléaire pakistanaise très floue". Mais les Indiens pourraient vouloir "mettre à mal cette doctrine, montrer qu'ils peuvent aller grignoter un bout de territoire" sans que les Pakistanais ne frappent en retour, selon elle.
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