"Nous nous sommes trompés" sur le calcul de la rentabilité des concessions, avait estimé le 22 mars Bruno Le Maire.
( AFP / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK )
Les concessions accordées aux sociétés d'autoroutes leur permettent-elles d'engranger des super-profits ? L'État avance ses pions et envisage de récupérer la poule aux œufs d'or avant les échéances prévues lors de la privatisation. Mais les concessionnaires n'ont pas l'intention de se laisser déposséder aussi facilement.
"Le débat sur la rentabilité des sociétés concessionnaires d'autoroutes repose de moins en moins sur des considérations objectives. On est bien souvent dans des débordements passionnels ", a estimé le 29 mars le président de Vinci Autoroutes Pierre Coppey au Sénat. Lui juge sa rentabilité plutôt inférieure à ce qui était prévu quand les autoroutes ont été privatisées en 2006.
"Je conteste formellement toute idée de surrentabilité ou de surprofit" , a renchéri mercredi au même endroit le président d'APRR et Area (deux sociétés d'autoroutes du groupe Eiffage ), Philippe Nourry. "Nous sommes très proches des objectifs qui ont été affichés par nos actionnaires (...) dans le cadre de l'appel d'offres de privatisation", a-t-il noté, ajoutant qu'"on ne connaîtra qu'à la fin la rentabilité réelle de la concession". Et de dénoncer des "rapports plus ou moins à charge, sur la base de données fausses ou peu objectives " selon lui.
Deux études montrent du doigt les autoroutes de Vinci dans le sud de la France et d'Eiffage dans le centre-est : un rapport du sénateur Vincent Delahaye (UDI) de 2020 et un autre de l'Inspection générale des finances (IGF) de 2021.
Jusqu'à 35 milliards de surrentabilité
"On a Vinci et Eiffage sur lesquels il faut réagir" , a insisté le sénateur de l'Essonne qui -jugeant ses calculs toujours valables - conclut à une "surrentabilité", une fois atteint le taux de rentabilité de 8% prévu d'ici fin 2024, "de 30 à 35 milliards d'euros", au total pour les deux groupes. Les principales concessions de Vinci se terminent entre 2032 et 2036, et celles d'Eiffage en 2035/36.
Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a demandé au Conseil d'État de quelle manière il serait possible de raccourcir "de quelques années" la durée des concessions de ces sociétés autoroutières, afin d'"éviter toute rente".
"Nous nous sommes trompés" sur le calcul de la rentabilité des concessions , a-t-il reconnu le 22 mars devant des députés. Le ministre délégué aux Transports Clément Beaune a alors ajouté qu'il devait également étudier "toutes les options fiscales", le gouvernement ayant l'intention de mettre les sociétés autoroutières à contribution pour financer l'effort annoncé sur le rail. Bruno Le Maire veut toutefois rester prudent. "Il faudra voir le taux de rentabilité sur l'ensemble de la concession", a-t-il insisté.
Pour Pierre Coppey, les sociétés concessionnaires ont versé 14 milliards d'euros à l'État lors de la privatisation des autoroutes, ont repris 20 milliards de dette et ont investi 30 milliards supplémentaires.
"Investissement massif"
Il est selon lui logique qu'elles génèrent des profits dans les dernières années de leurs concessions, une fois ces dépenses épongées. D'autant qu' il faudra ajouter quelque 60 milliards pour les décarboner (voies et parkings réservés au covoiturage, bornes de recharges, panneaux solaires...).
Et pour financer ce "plan d'investissement massif" à venir, Philippe Nourry ne voit "pas beaucoup de solutions, hormis un allongement de la durée de concession". Les patrons des sociétés concessionnaires d'autoroutes renvoient aux calculs de l'Autorité de régulation des transports (ART), qui ne montrent pas de rentabilité excessive. Et tous rejettent une nouvelle hausse de la fiscalité.
Arnaud Quémard, directeur général de Sanef (une société appartenant à l'espagnol Abertis, non concernée par la polémique), s'inquiète aussi pour "la qualité de la signature de l'État français", au cas où certaines concessions seraient raccourcies.
Alors que les principales concessions actuelles, couvrant plus de 90% des autoroutes concédées, doivent arriver à terme entre 2031 et 2036, Clément Beaune a annoncé l'organisation d'"Assises des autoroutes" d'ici l'été.
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