Aller au contenu principal Activer le contraste adaptéDésactiver le contraste adapté
Fermer

Quelle serait la crédibilité du "parapluie nucléaire" français ?
information fournie par Reuters 06/03/2025 à 16:46

par John Irish

Le président Emmanuel Macron a proposé mercredi l'ouverture d'un "débat stratégique" sur l'opportunité de faire bénéficier les partenaires européens de la France de ses moyens de dissuasion nucléaire en raison de la volonté affichée par les États-Unis de se désengager du continent.

Alors que l'Europe s'est reposée pendant des décennies sur la capacité de dissuasion américaine face à l'Union soviétique puis la Russie, les déclarations de Donald Trump sur l'Otan et les nouvelles priorités américaines font planer le doute sur la détermination du président américain à défendre un pays européen contre une agression extérieure et sur le principe même de solidarité entre alliés de l'Alliance transatlantique.

La France dispose d'un arsenal nucléaire bien plus petit que celui des Etats-Unis, mais Moscou n'en a pas moins estimé que les velléités françaises en la matière constituaient une forme de "chantage nucléaire" et même une "menace" pour la Russie.

POURQUOI DÉBATTRE DE LA DISSUASION FRANÇAISE ?

La France et le Royaume-Uni sont les seuls pays européens à disposer de l'arme atomique, ce qui les fait apparaître comme un possible recours face aux critiques de Donald Trump contre l'Otan et au rapprochement en cours entre Washington et Moscou, considéré comme une menace existentielle par nombre de pays européens.

Bien qu'il soit un atlantiste convaincu, le prochain chancelier allemand Friedrich Merz a reconnu qu'il n'était pas certain que l'Otan existe encore "dans sa forme actuelle" au-delà du mois de juin, et a lui-même jugé opportun d'entamer une réflexion sur la dissuasion française et britannique.

La crédibilité de la dissuasion américaine a jusqu'à présent reposé sur les missiles déployés en Europe et sur le soutien politique apporté par les présidents américains successifs à l'article 5 du traité de l'Otan, qui stipule que toute attaque contre un pays membre de l'Alliance est considérée comme une attaque dirigée contre l'ensemble de ses membres - mais le recours à l'arme nucléaire n'est dans ce cadre pas juridiquement contraignant.

QUELLE EST LA CAPACITÉ DE DISSUASION FRANÇAISE ?

La France consacre 5,6 milliards d'euros par an à entretenir sa capacité nucléaire stratégique "souveraine et indépendante", qui repose sur quelque 290 missiles à tête nucléaire pouvant être tirés par des sous-marins nucléaires lanceurs d'engin ou des avions de combat Rafale, soit le quatrième arsenal au monde.

Environ 15% du budget de la défense française sont consacrés à la modernisation des forces nucléaires stratégiques, soit le principal poste budgétaire des armées.

A titre de comparaison, les Etats-Unis et la Russie comptent chacun plus de 5.000 têtes nucléaires, selon la Federation of American Scientists. Quelque 1.700 missiles nucléaires américains sont actuellement déployés dans le monde.

Le Royaume-Uni, qui dit lui aussi disposer d'une capacité de dissuasion "indépendante sur le plan opérationnel", dépend en réalité des Etats-Unis pour la fabrication et l'entretien de ses missiles à capacité nucléaire.

QUELLE EST LA DOCTRINE NUCLÉAIRE FRANÇAISE ?

La doctrine française telle qu'elle a été réaffirmée depuis 1958 stipule que l'arme nucléaire a une vocation purement défensive. Emmanuel Macron a réitéré en 2020 qu'elle a pour but de "protéger la France et les Français contre toute menace d'origine étatique contre nos intérêts vitaux, d'où qu'elle vienne et quelle qu'en soit la forme".

Emmanuel Macron a également déclaré que les intérêts vitaux de la France avaient une "dimension européenne", mais il n'a pas fourni davantage de précisions, en arguant d'une nécessaire "ambiguïté stratégique".

La doctrine française se caractérise par ailleurs par la "stricte suffisance de l'arsenal requis par l'environnement international", évaluée à "moins de 300 têtes", la France refusant que "l'arme nucléaire soit instrumentalisée à des fins d'intimidation ou de coercition".

Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron a toujours refusé de placer la capacité de dissuasion française sous commandement de l'Otan ou de l'Union européenne. Il a répété mercredi que même en cas d'extension du parapluie nucléaire à d'autres pays européens, la décision d'utiliser ou non l'arme atomique resterait entre les mains du chef de l'Etat français.

UN PARAPLUIE NUCLÉAIRE FRANÇAIS SERAIT-IL CRÉDIBLE ?

Contrairement aux Etats-Unis, la France n'a jamais intégré la défense de ses alliés à sa stratégie de dissuasion, et son arsenal modeste par rapport aux 1.700 missiles à tête nucléaire américains déployés par Washington l'empêcherait de totalement s'y substituer.

Tout renforcement des capacités nucléaires stratégiques françaises poserait des difficultés logistiques et serait extrêmement coûteux, un défi à l'heure où la plupart des gouvernements européens sont confrontés à de sérieuses contraintes budgétaires.

Selon les experts, la France pourrait avoir besoin d'une décennie pour accroître son arsenal d'une centaine de missiles à tête nucléaire.

La doctrine française interdisant le déploiement de ces missiles hors du territoire national, Paris ne pourrait en outre pas fournir le même niveau de protection que les Etats-Unis à ses voisins, notamment aux pays d'Europe de l'Est qui craignent le plus l'agressivité russe.

"Dans la configuration actuelle, les forces nucléaires françaises et britanniques constituent un complément à la dissuasion élargie des Etats-Unis, mais elles ne constitueraient pas une solution viable en cas de retrait brutal des forces nucléaires américaines", considère le Centre for Strategic & International Studies.

"La France et le Royaume-Uni n'offrent pas une garantie de dissuasion élargie comme peuvent le faire les États-Unis au sein de l'Otan."

QUELLE POURRAIT ÊTRE LA PREMIÈRE ÉTAPE ?

La France n'ambitionne pas de remplacer la dissuasion nucléaire du jour au lendemain.

Selon les experts, elle pourrait dans un premier temps intégrer certains de ses alliés à ses exercices stratégiques, par exemple en leur proposant d'escorter les avions français équipés de missiles nucléaires ou de fournir un soutien logistique, ce qui aurait pour intérêt de développer une certaine interopérabilité entre les pays concernés.

Les Rafale de l'armée française étant équipés soit de missiles nucléaires, soit de missiles conventionnels, leur déploiement dans plusieurs pays européens pourrait en outre créer une ambiguïté stratégique pour la Russie.

L'hypothèse d'une contribution financière des pays européens intéressés aux coûts d'entretien et de modernisation de la force stratégique française pourrait être discutée dans ce cadre, soulignent les experts.

(Version française Tangi Salaün, édité par Blandine Hénault)

2 commentaires

  • 07 mars 03:35

    Une défense nucléaire crédible avec des missiles intercontinentaux qui sont indispensables pour se hisser au niveau des trois grandes puissances nucléaires mondiales ne peut financièrement et logistiquement se concevoir qu'à l'échelon européen mais c'est la seule garantie d'une sécurité totale.


Signaler le commentaire

Fermer

A lire aussi