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Près de Madrid, les "villes fantômes" reprennent vie avec la crise du logement
information fournie par Reuters 04/06/2025 à 11:36

par Corina Pons et Charlie Devereux

Le premier appel est arrivé deux minutes après que l'agent immobilier Segis Gomez a publié une annonce à Sesena, un lotissement près de Madrid qui s'est fait connaître comme l'une des "villes fantômes" créées lors de l'éclatement de la bulle immobilière en Espagne en 2008.

À moitié construit et à moitié vide durant plus de dix ans, ce lotissement situé à 40 kilomètres au sud de la capitale a aujourd'hui perdu ses squatters, remplacés par des familles de la classe moyenne poussées hors du centre-ville par une grave crise du logement. Entre-temps, la construction a repris.

La demande est si forte à Sesena que Segis Gomez a une liste d'attente de 70 personnes pour chaque propriété. Les prix de l'immobilier ont retrouvé leur valeur initiale après avoir chuté de plus de la moitié pendant la crise.

Alors que la colère monte face au coût du logement en Espagne, le Premier ministre Pedro Sanchez a fait de la fourniture de logements abordables l'un de ses principaux objectifs, tout en encourageant la croissance démographique par l'immigration. L'ampleur du défi est évidente à Madrid, dont la population a augmenté de 140.000 personnes en 2024, mais n'a enregistré que 20.000 permis de construire pour de nouveaux logements.

La pénurie de logements est exacerbée par le boom des locations de vacances, l'immigration record et des lois d'urbanisme onéreuses.

"Le problème est que nous ne pouvons pas faire correspondre l'offre et la demande assez rapidement. Les prix augmentent donc, ou les gens doivent faire un compromis entre le prix et la distance", explique Carles Vergara, professeur d'immobilier à l'école de commerce IESE de Madrid.

L'exode de nombreux Madrilènes a fait de Sesena une ville de banlieue, bien qu'elle soit située dans la région voisine de Castille-La Manche et qu'elle manque encore de services publics, ainsi que de bonnes lignes de transport vers la capitale, ce qui a dissuadé les acheteurs immobiliers dans le passé.

La vision de son fondateur et premier promoteur, Francisco Hernando, comptait un ensemble de 13.000 appartements abordables avec jardins et piscines dans la plaine espagnole, où l'auteur Cervantes a situé son œuvre la plus connue, Don Quichotte, mais le projet est devenu un synonyme de cupidité spéculative et de corruption. Seuls 5.000 logements ont finalement été construits.

Francisco Hernando, qui a lancé son projet en 2004, a omis de dire aux acheteurs qu'il n'avait pas garanti l'accès à l'eau ou que la ville n'avait pas de transports publics ni d'écoles. Il est décédé en 2020.

Lorsque le marché s'est effondré, les investisseurs initiaux ont vu la valeur de leurs biens chuter, tandis que de nombreuses maisons se sont retrouvées entre les mains des banques.

L'EXPANSION DE MADRID

Aujourd'hui, Sesena déborde de vie : les parents déposent leurs enfants dans ses trois écoles, boivent un café dans ses bars et se rendent dans les salles de sport et les pharmacies récemment ouvertes.

Impact Homes, un promoteur, construit 156 appartements d'une à quatre chambres qui devraient être achevés cette année. À côté, un autre immeuble a déjà pré-vendu 49% de ses unités, a indiqué l'entreprise dans un courriel.

"Sesena est à 100%", a déclaré Jaime de Hita, le maire de la ville.

Nestor Delgado a déménagé à Sesena en 2021 avec sa famille de Carabanchel, dans le sud de Madrid, parce qu'un appartement coûtait 20% de moins à louer. En mai, il a acheté une maison avec sa femme pour 240.000 euros.

"Nous avons choisi (Sesena) parce que nous pouvons nous le permettre", a déclaré Nestor Delgado, 34 ans.

En revanche, cet employé du bâtiment doit se lever avant 5h du matin pour être parmi les premiers dans la file d'attente du bus de 6h30 pour Madrid, afin d'arriver sur son lieu de travail à 8h, faute de quoi il doit attendre une heure pour le bus suivant.

RETOUR À LA VIE

D'autres villes fantômes renaissent également. Valdeluz, un projet immobilier situé à 75 km à l'est de Madrid, qui devait à l'origine accueillir 30.000 personnes, a été abandonné au quart de son parcours lorsque la bulle immobilière a éclaté.

Le maire, Enrique Quintana, a déclaré à Reuters que la population de la ville, qui s'élève à 6.000 personnes, est envahie par des Madrilènes et pourrait augmenter de 50% au cours des quatre prochaines années.

Un lotissement situé en bordure du village de Bernuy de Porreros, à 100 km au nord de Madrid, qui était pratiquement encore abandonné il y a six ans, est aujourd'hui animé par des bricoleurs qui mettent la dernière main à des maisons.

Lucia, qui a 37 ans et est employée de l'État, a acheté sa maison en avril. Pour se rendre quotidiennement à Madrid, elle met 15 minutes en voiture jusqu'à la gare de Ségovie et 28 minutes dans le train à grande vitesse, ce qui lui coûte 48 euros pour 30 trajets grâce à une réduction pour voyageurs fréquents.

Le projet a commencé à renaître lorsque la "bad bank" espagnole Sareb, créée pour reprendre les créances douteuses de la crise financière, a commencé en 2021 à vendre les maisons pour 97.000 euros seulement. Quatre ans plus tard, une propriété a été revendue pour le double, a déclaré Nuria Alvarez, une habitante.

Jusqu'à récemment relativement compacte, Madrid est en passe de devenir une métropole semblable à Paris ou Londres, avec des zones de banlieue qui s'étendent au-delà de ses limites administratives, a déclaré Jose Maria Garcia, vice-ministre du Logement du gouvernement régional.

Selon les estimations du gouvernement, la population de la zone métropolitaine, qui s'élève à 7 millions d'habitants, augmentera d'un million de personnes au cours des 15 prochaines années.

Madrid a un déficit de 80.000 à 100.000 logements qui augmente de 15.000 logements par an et prévoit de construire 110.000 logements d'ici 2028, a affirmé Jose Maria Garcia.

Sesena, quant à elle, rêve à nouveau en grand.

Son maire, Jaime de Hita, a déclaré que la ville était en train d'obtenir des permis pour un nouveau projet appelé Parquijote, avec un investissement proposé de 2,3 milliards d'euros pour la construction d'un parc logistique qui créera des emplois locaux, ainsi que 2.200 logements.

Il ne s'agit pas d'un projet chimérique, a affirmé Jaime de Hita.

"Cette fois, nous avons tiré les leçons de ce qui s'est passé", a-t-il déclaré. "Il est fondamental que nous recherchions la croissance en tirant les leçons du passé".

(Reportage Corina Pons, Charlie Devereux, Guillermo Martinez et Miguel Gutierrez ; rédigé par Charlie Devereux, Mara Vîlcu pour la version française ; édité par Augustin Turpin)

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