Il est indispensable de se préoccuper maintenant de la rénovation des parcs hydroélectrique et électronucléaire français si nous voulons conserver la relative attractivité énergétique de notre pays, estime l’ingénieur Philippe Vesseron.
Philippe Vesseron est ingénieur général des Mines et a été délégué aux risques majeurs de 1996 à 2003.
En France, les politiques comme les experts s’accordent à reconnaître la triple nécessité de réindustrialiser, électrifier et décarboner . Elle a d’ailleurs été réaffirmée à l’occasion du sommet sur l’intelligence artificielle et sur les datacenters . Encore faut-il que les coûts de l’électricité soient maîtrisés ; or il n’est pas certain qu’on s’en donne les moyens. L’attractivité de notre pays repose certes sur le prix modéré d’une électricité décarbonée, mais pour encore combien de temps ? Que pouvons-nous faire pour que cet atout soit durable ?
La solution est pourtant devant nous : les parcs hydroélectrique et électronucléaire existants offrent un gisement essentiel qu’il faut exploiter. Il nous faut les rénover. Mais pourquoi en parle-t-on si peu ? Est-on suffisamment riche pour se dispenser de ce qui existe déjà ? Dans le passé, nous avons su à la fois imaginer des stratégies ambitieuses et rebondir sur nos quelques échecs. Il nous faut rappeler les étapes de la construction du système électrique français : la «Houille Blanche» en 1925, EDF en 1946, le «plan Messmer» en 1974. Ces évolutions n’ont pas été linéaires : ainsi, le concept fondateur de «palier standardisé» a conduit aux paliers «charbon», «pétrole», «réacteur à uranium naturel», avant l’adoption du réacteur à eau pressurisée.
Les atouts constitués ont aussi été immatériels : on a construit un «service public» national, développé des technologies et des concepts, formé et mobilisé des individus de profils divers… Les succès ont parfois dépassé les espérances, comme pour le réseau 400kV . Sa réalisation aura pris un demi-siècle, après avoir engendré de difficiles débats autour de ses risques sanitaires et ses effets sur le foncier et les paysages. Bien sûr, là aussi, il y a eu des échecs (projet de Plogoff, Superphénix, projet de ligne THT du val Louron), mais moins qu’ailleurs. N’oublions pas non plus de 1989 à 2010 un rêve d’intégration nucléaire franco–allemande... Or les intérêts de nos partenaires sont en 2012 (re)devenus durablement antinucléaires, comme en Autriche ou au Luxembourg. Ces cheminements ont doté EDF d’un capital de confiance qui sera un véritable atout, notamment face aux différentes visions du monde successives promues explicitement ou implicitement par la Commission européenne.
Puis vint un tournant : à partir de 1990, la question de la surcapacité a joué un rôle important en France compte tenu des calendriers des investissements réalisés dans l’hydroélectricité et le nucléaire. Risquait-on de gaspiller l’énergie produite ? Une surcapacité engendre des fermetures d’installations. Une faute redoutable a été de penser que la mise à l’arrêt d’une installation amortie pouvait se faire sans conséquences économiques.
Cette fausse «gratuité» a fait que la priorité est passée au rétablissement de la circulation des poissons migrateurs et au remplacement des «réacteurs vieillissants» par du photovoltaïque, de l’éolien, des EPR puis des EPR2 et de petits réacteurs SMR. Et, de fait, il y a peu de réactions négatives à la suppression des barrages de Maisons-Rouges ou de Vezins ni des réacteurs de Fessenheim. On ne commente pas non plus ni le fait que la France était en 2023 en tête du «palmarès européen» de suppression des barrages ni la loi qui prévoyait de fermer une dizaine d’autres réacteurs après Fessenheim.
Certes, la question de l’accroissement de la durée de fonctionnement et du taux de marche des réacteurs existants n’a pas été totalement éludée : la durée d’amortissement a été portée à 40 ans en 2003 puis à 50 ans en 2013 ; quant aux «visites décennales», elles sont devenues des rendez-vous épuisants et on utilise des formules négatives comme «installations vieillissantes». Les propos les plus défaitistes soutiennent même qu’«il n’est pas démontré qu’elles puissent tenir 60 ans»… La tonalité concernant le parc existant est très différente de ce qu’on entend dans d’autres pays où 80 ans sont explicitement autorisés ! De quoi donner aux jeunes ambitieux l’envie d’exercer ailleurs qu’en France.
Nous avons deux priorités : la rénovation de ce qui existe et la tenue des délais pour le «nouveau nucléaire». Il est important d’insister sur un impératif peu commenté : la nécessité de renverser la stratégie de réduction des parcs actuels , hydroélectrique et nucléaire. Si nous conservions les décroissances prévues pour ces deux ensembles, les nouveaux équipements ne permettraient pas dans les 10 ans qui viennent de fournir l’électricité nécessaire à une réindustrialisation rapide et au développement des datacenters . De surcroît, nous perdrions le bénéfice des faibles prix de revient actuels de l’électricité.
Ainsi, qu’il s’agisse des prix de revient ou des délais, la réponse aux nouveaux besoins nécessite l’engagement rapide de la rénovation de la totalité des parcs nucléaires et hydroélectriques actuels. Ces rénovations consistent en la construction d’ascenseurs à poissons, de STEP, de diesels d’ultime secours, l’implantation de turbines modernes, d’aéroréfrigérants, la maîtrise du taux de fonctionnement… Pour les installations nucléaires, il serait bon qu’EDF, Orano et le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives soient invités à présenter d’urgence leurs plans «80 ans» : ils seront soumis à l’Autorité nationale de sûreté radiologique et de radioprotection mais il faut cesser de sacraliser les seuls rendez-vous décennaux et engager, en plus, une vraie planification des rénovations. Il s’agit pour autant de ne pas négliger la mise en œuvre des décisions sur le nouveau nucléaire afin de prévenir les dérapages de plannings et de coûts qui ont affecté les EPR. Il est aussi clair que les mécanismes de soutien au photovoltaïque et à l’éolien devront assurer une adaptabilité suffisante, en démêlant aide budgétaire, prise en charge des coûts de raccordement, valorisation du caractère pilotable/non pilotable… Il n’y a pas de «contradiction entre les filières» : à partir de maintenant, le développement de l’électrification doit mobiliser tout ce qui sera économique ! La décroissance de l’électricité ne doit plus être la feuille de route française.
En conclusion, outre la tenue des plannings, un mot-clé doit être la rénovation, pour tous les équipements existants, nucléaires et hydroélectriques ! Malgré la baisse des coûts constatée ou prévue pour le nouveau nucléaire, la sobriété et les renouvelables, rénover nos centrales nucléaires et nos barrages existants est l’action qui garantira le prix de revient le plus faible, comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie. Bref, l’histoire fait qu’en 2025 tout ceci est d’abord un sujet français !
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