Aperçu de l’actualité écoulée en quelques lettres bien senties par Étienne de Montety, directeur adjoint de la rédaction.
Les mots de la semaine du Figaro, réalisés par Étienne de Montety.
Lundi : Scène [sè-n’] n. f.
Morceau théâtral, et ici dramatique.
Donald Trump et JD Vance ont morigéné le président ukrainien Volodymyr Zelensky au cours d’une scène ahurissante. Le mot vient du latin scaena qui désigne la « scène » du théâtre. C’est évident, depuis son entrée sur la scène mondiale, le président américain a montré qu’il entendait bien en occuper le devant. De là à en faire une à son invité devant les caméras…
La Maison-Blanche a sûrement un côté scène - et un côté jardin ; reste que ce n’est pas Broadway. Tout le monde a regardé la séquence, et entendu les propos, en se demandant si la scène n’était pas parasitée par un malencontreux effet Larsen. Pourquoi, diable, Donald Trump s’est-il mis en tête d’asséner de tels mots à son interlocuteur ? Était-ce un scénario prévu à l’avance ? On s’interroge sur son état d’esprit. Pense-t-il contribuer à assainir le débat en agissant ainsi ? Quoi qu’il en soit, le tragique de la situation internationale donne à la scène quelque chose d’obscène.
Mardi : Audiard (odi-ar)
Réalise, notamment, son rêve d’enfant.
Célébré aux
César
, négligé aux
Oscars
, incontestablement
Jacques Audiard
a été le réalisateur du week-end. Son nom évoque irrésistiblement le verbe latin audire, qui signifie « entendre » :
et de fait, on a entendu parler de lui ce week-end à Paris et à
Los Angeles
. Avant d’être Jacques, Audiard a été Michel, connu pour ses dialogues, justement : reconnaissables à la langue employée, mélange de gouaille et de classique.
C’est entendu, Jacques Audiard n’est pas son père mais comme lui - mieux que lui ? -, il s’entend à faire un film. Le dernier a pour titre Emilia Pérez et fut couvert de récompenses aux César, comme de bien entendu. Et d’ailleurs on a entendu Audiard se réjouir et remercier. Cela fait longtemps que se poursuit sa lune de miel avec le cinéma français : l’entente cordiale.
À Hollywood c’est différent. Des déclarations anciennes de l’actrice principale dont certaines dépassaient les bornes, et même l’entendement, ont détruit ses chances. L’affaire était entendue, Audiard n’aurait pas l’Oscar du meilleur film. Qui habet aures audiendi, audiat. En français : à bon entendeur…
Mercredi : Suspension [sus-pan-sion] n. f.
Décision pour le moins désarmante.
Donald Trump a annoncé la
suspension de l’aide militaire américaine
à l’Ukraine. Le mot vient du verbe latin suspendere, qui signifie « faire pendre » et qui a donné ensuite « interrompre ».
Depuis son élection, le monde entier est suspendu aux lèvres du président américain : qui va-t-il morigéner aujourd’hui et peut-être, en sus, pendre ? C’est tous les jours suspense.
Avec cette décision lourde, Trump coupe le pont jeté après 1945 entre les États-Unis et l’Europe. Un pont qui était suspendu, notamment au bon vouloir des dirigeants occidentaux. Cette annonce est encore floue sur bien des points – des points de suspension, donc. Et comme d’habitude avec le bouillonnant Trump, tout est laissé en suspens.
Sa décision entraînera-t-elle d’autres suspensions, notamment celles des relations entre l’Europe et l’Amérique ? En tout cas, si l’aide américaine est suspendue, elle n’est pas la seule. L’Ukraine aussi, et son avenir : à un fil.
Jeudi : Carême (ka-rèm’) n. m.
Coup de jeûne.
Les catholiques sont entrés hier en Carême. Le mot vient du latin quadragesima qui signifie quarante, nombre de jours que compte ce temps de prière, de privations et d’attente. Les anciens allaient de Charybde en Scylla, les chrétiens vont de Carême en Pâques. Cette année, ce temps coïncide avec le Ramadan, important pour les musulmans. Pour simplifier, Karim fait le Ramadan, et Carmen le Carême.
Celui-ci n’est en rien une quarantaine, mais un retrait volontaire. Ce n’est jamais une période facile pour le croyant ; ironie, on s’avise d’ailleurs que le hasard a fait de Carême un grand pâtissier.
C’est évident, pendant cette période, les tentations ne manquent pas et il est prudent de se tenir à carreau.
Cependant, celui qui observe le Carême devra offrir aux autres un visage frais et joyeux, car « aime à jeûner dans le secret », recommande Jésus-Christ. Une face de carême ne devrait donc rien perdre de son charme, sinon de son charisme. Les quarante du Carême ne sont pas rugissants. Plutôt stimulants.
Le mot du week-end : Patrie (pa-tri) n. f.
Terre sainte.
Dans son allocution télévisée de mercredi soir , le président de la République a parlé de la patrie. Le mot vient du latin pater, qui signifie père. Mais attention : on parle volontiers aux enfants de la mère patrie ; allez comprendre. Pour tenter de la définir, la patrie c’est un pays considéré sous l’angle du patrimoine naturel, architectural, culturel qui attache chacun à une terre. En appelant à la patrie, le président a abandonné le ton patelin et choisi la solennité. Le style patriarche. Depuis un demi-siècle, la patrie avait été abandonnée au rayon des mots désuets et même déconsidérés : qui parlait patrie était patriotard.
Gageons que dans les semaines à venir, il se trouvera des politiques qui se montreront amateurs sinon spécialistes de patristique : ils évoqueront la patrie en danger, et peut-être la mobilisation, les gardes de nuit. Les patrouilles pour la patrie. Cependant, derrière cette noble allocution, se dissimule une arrière-pensée : en ces heures incertaines, Emmanuel Macron entend bien redevenir, sinon le père de la patrie, du moins dans l’échiquier politique actuel, le patron.
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