par Andrea Shalal
Si la guerre commerciale menée par Donald Trump a abouti à quelques accords initiaux, notamment une pause de 90 jours dans les droits de douane réciproques des Etats-Unis et de la Chine et un pacte commercial limité avec la Grande-Bretagne, le président américain est loin de rééquilibrer les flux commerciaux mondiaux, selon des experts en commerce et des analystes.
L'accord entre les États-Unis et la Chine, conclu ce week-end, a fait bondir les Bourses mondiales et pourrait permettre d'éviter les dommages liés à la hausse des prix et aux pénuries de minerais jusqu'au mois d'août, mais elle ne répond pas aux reproches formulés de longue date par les États-Unis à l'égard du modèle économique chinois, dominé par l'État et axé sur les exportations.
Au lieu de cela, il fixe un nouveau délai serré pour des négociations complexes avec Pékin, qui se dérouleront parallèlement à des discussions avec des dizaines d'autres pays confrontés à un délai plus court, le 8 juillet, pour éviter des droits de douane plus élevés, ce qui met à rude épreuve les ressources limitées de l'administration Trump en matière de transactions.
D'autres accords commerciaux préliminaires de Donald Trump sont attendus dans les semaines à venir, la Suisse, l'Inde et le Japon étant probablement en tête de liste. Mais comme l'accord britannique, il devrait s'agir d'accords de principe, avec plus de travail pour les finaliser, et il faudra des années pour modifier durablement les chaînes d'approvisionnement et les flux commerciaux.
"Le jury n'a pas encore rendu son verdict et nous ne pourrons pas dire avant un certain temps que cette stratégie a été un succès", observe Greta Peisch, ancienne haute responsable du commerce sous la présidence de Joe Biden, aujourd'hui associée du cabinet d'avocats Wiley Rein. "C'est le premier tour".
Pour Kelly Ann Shaw, haute responsable américaine pendant le premier mandat de Donald Trump, qui travaille aujourd'hui au cabinet d'avocats Akin Gump, le président américain a le mérite d'avoir amené la Chine, le Royaume-Uni et d'autres pays à la table des négociations après des années d'inquiétude concernant les déficits commerciaux des États-Unis.
"Que l'on soit d'accord ou non avec la tactique, au moins Trump sort des sentiers battus", relève-t-elle. "Ils négocient certains accords à une vitesse record, ce qui n'était jamais arrivé auparavant".
EN ATTENTE DE NÉGOCIATIONS
Les diplomates de l'Union européenne, l'un des principaux partenaires commerciaux des États-Unis qui s'est attiré les foudres de Donald Trump, attendent toujours le début de négociations approfondies.
Quant à la Chine, la rapidité avec laquelle un accord commercial substantiel pourrait être conclu reste incertaine.
Les négociateurs américains et chinois ont publié une rare déclaration commune à l'issue de deux jours de réunions en Suisse, mais n'ont pas fixé de date ni de lieu pour une nouvelle rencontre. Les négociations porteront également sur des mesures visant à réduire le trafic de fentanyl, à l'origine des droits de douane de 20% imposés par Donald Trump sur les produits chinois.
Les démocrates comme les républicains ont reproché à la Chine de produire trop d'acier, trop de panneaux solaires et d'autres produits, puis de les écouler à moindre prix sur les marchés occidentaux, mais ces politiques n'ont pas changé malgré les demandes répétées.
La Chine s'est longtemps montrée réticente à modifier son économie et à permettre à un plus grand nombre d'entreprises américaines de concourir pour obtenir des commandes, souligne Greta Peisch. "Vous vous heurtez à toute la théorie de la politique économique de la Chine et à la manière dont elle opère dans le monde".
Pour Robert Kuttner, cofondateur du magazine libéral The American Prospect, Pékin n'est pas sur le point d'abandonner son système mercantiliste, qui bénéficie d'un capitalisme dirigé par l'État pour créer ou acquérir des avantages en matière de technologie et de produits, "et certainement pas en 90 jours".
Même si des accords étaient finalement conclus, dans lesquels Pékin s'engagerait à réformer ses lois sur la propriété intellectuelle ou à réduire les obstacles à l'entrée des entreprises américaines, il serait extrêmement difficile d'évaluer le respect de ces accords, pointe Greta Peisch.
Le fait que Pékin n'ait pas respecté son engagement d'augmenter considérablement les achats de produits manufacturés et agricoles, d'énergie et de services américains dans l'accord de "phase 1" du premier mandat de Donald Trump reste également un point sensible, relève Ryan Majerus, un avocat spécialisé dans le commerce qui a travaillé sous les administrations de Donald Trump et de Joe Biden et qui est aujourd'hui associé chez King & Spalding.
"Il s'agit d'une évolution positive, mais le diable se cache dans les détails quant à la suite des négociations", déclare-t-il. "Nous avons de nombreuses préoccupations commerciales de longue date avec la Chine et l'administration voudra voir des engagements significatifs".
L'INCERTITUDE RÈGNE
Des solutions à long terme sont nécessaires pour résoudre les profondes divergences commerciales entre les États-Unis et la Chine, estime Miriam Sapiro, chercheuse non résidente au Center for Strategic and International Studies et ancienne responsable par intérim du Bureau du représentant américain au Commerce (USTR) sous la présidence de Barack Obama. Elle estime qu'il sera "presque impossible" de s'attaquer aux barrières non douanières dans le délai compressé de 90 jours.
"Ce dont nous avons vraiment besoin, c'est de plus de cohérence. Les entreprises américaines doivent pouvoir planifier au lieu de se précipiter pour réorienter leurs chaînes d'approvisionnement, ce qui peut être difficile à faire rapidement. Et les familles américaines sont assez effrayées par l'impact que ces droits de douane et d'autres vont avoir sur leur portefeuille", souligne-t-elle.
Pour Matt Priest, président-directeur général de l'association Footwear Distributors and Retailers of America, l'accord entre la Chine et les Etats-Unis constitue un bon pas vers l'apaisement des tensions. Mais, relève-t-il, des droits de douane élevés restent en place sur certaines importations chinoises, notamment sur des chaussures soumises à des surtaxes de près de 90%.
"Nous n'avons pas encore franchi la ligne d'arrivée", estime-t-il.
(Rédigé par Andrea Shalal ; avec Lisa Baertlein à Los Angeles ; Mara Vîlcu pour la version française, édité par Blandine Hénault)
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