
Drapeau français sur ciel d'orage. (Crédits: Adobe Stock / image générée pa)
L'analyse de Christophe Boucher, directeur des investissements chez ABN AMRO Investment Solutions
Le sujet est surtout de garder une certaine crédibilité quant à la capacité à payer les créanciers de l'Etat français. En soi, certes, le ratio dette/PIB est très élevé mais il y a déjà environ 20% de la dette publique détenue par la BCE qui ne génère aucun coût net puisque les coupons payés sont reversés par la Banque de France à l'Etat. Ajusté de cette détention qui ne coûte rien, le ratio dette/PIB est plutôt de l'ordre de 90% aujourd'hui, soit à peu près son niveau dans les années 2010. Le niveau de la dette n'est donc pas en soi un problème.
Ce qui est plus problématique c'est d'éviter que cette dette en absolu ou même en pourcentage du PIB n'explose. Les deux conditions sont 1) d'avoir une charge des intérêts de la dette publique qui ne dépasse pas de manière permanente la croissance de l'économie, 2) tout en gardant un équilibre budgétaire.
Or les taux d'intérêt sont aujourd'hui plus élevés qu'ils ne l'étaient avant 2020, donc le coût de la dette va progressivement remonter. La dette contractée pendant une période où les taux d'intérêt étaient bas et inférieurs à la croissance de l'économie n'était pas un problème réellement. Aujourd'hui la situation a changé.
Par ailleurs, le déficit budgétaire actuel est très loin de l'équilibre et les mesures anticipées pour le ramener vers une trajectoire plus équilibrée sont bloquées par un parlement fragmenté.
Le risque principal est donc celui d'un effet boule de neige susceptible de conduire à une dynamique d'endettement difficilement maîtrisable ou alors à un coût économique et social très élevé.
Voilà pourquoi il est nécessaire de prendre des mesures qui permettent de remettre le déficit budgétaire sur une trajectoire qui tend à l'horizon de plusieurs années vers l'équilibre (indépendamment du choix des mesures précises prises). L'effort à fournir consiste à stabiliser le ratio dette/PIB pour garder une certaine crédibilité vis-à-vis des créanciers et éviter que le coût de la dette n'augmente encore davantage. C'est un des premiers enjeux des négociations politiques : définir l'effort à fournir avant même de discuter et débattre des mesures à prendre. C'est la stratégie du Premier ministre français.
L'effort n'a pas besoin d'être drastique (dans une phase conjoncturelle déjà un peu fragile) mais il doit être significatif pour être crédible. Il s'agit donc de s'accorder à la fois sur l'ampleur de l'ajustement nécessaire pour ramener le déficit autour de 3% d'ici 2029 ou 2032, et de définir l'effort pour le prochain budget de l'Etat.
Aujourd'hui la situation financière de la France n'est pas soutenable à long terme mais elle reste toutefois loin de justifier «une mise sous tutelle».
Qu'est-ce qui a changé depuis quelques semaines ? Pourquoi les marchés stressent sans paniquer ?
La stabilité politique (9 mois avec F. Bayrou comme Premier ministre) était presque une surprise politique compte tenu de la fragmentation du parlement : les tensions sur la dette française se sont apaisées sous le gouvernement Bayrou. Maintenant, on revient à la situation d'une France quasi ingouvernable. Le marché réintègre désormais une prime de risque sur la dette française de l'ordre de 80 points de base (pb) par rapport à la dette allemande. Cette prime, mesurée par l'écart entre les taux d'intérêt français et allemands, reste légèrement en dessous de ses points hauts de décembre, quand le gouvernement Barnier a chuté sans budget pour cette année (au-delà de 90 pb).
Par ailleurs, les marchés intègrent que, dans un scénario extrême, la BCE pourrait faire office de prêteur en dernier ressort à travers ses instruments de stabilisation (notamment le TPI). Toutefois, une telle intervention ne serait pas sans contrepartie et impliquerait vraisemblablement la mise en œuvre d'un plan d'austérité.
Quels scénarios dans les prochaines semaines et quelles conséquences économiques et financières ?
Le risque de crise systémique, qui se diffuserait aux autres pays de la zone euro, reste limité selon nous. Cette crise pourrait se manifester en cas de démission du Président voire selon le résultat, après de nouvelles élections parlementaires suite à une dissolution. Ces scénarios nous paraissent néanmoins très peu probables.
Nous restons prudents à court terme car le risque de chute du gouvernement est élevé. Une nouvelle dégradation de la note de la France pourrait intervenir dès le 12 septembre, Fitch réexaminant sa notation déjà assortie d'une perspective négative. Cependant, selon nous, un changement de notation n'aurait pas de conséquence significative car d'une part il n'apporterait pas d'éléments nouveaux, et d'autre part, la probabilité que la note bascule dans une catégorie déclenchant des ventes forcées de dette française reste très faible. Le potentiel de baisse du risque politique français est limité à court terme mais n'est pas impossible (notamment en cas d'accord avec le Parti socialiste).
L'échec du vote de confiance le 8 septembre, qui entraînerait une chute du gouvernement, est plus probable que le vote des motions de censure proposées jusqu'à présent par les oppositions car il ne nécessite qu'une majorité des votes exprimés (et non une majorité absolue de l'ensemble des députés). Seule une abstention du RN (au lieu d'un vote contre la confiance) pourrait permettre au gouvernement d'obtenir la confiance (en supposant que le NFP hors PS vote aussi contre). Notons que le soutien au gouvernement, même passif (abstention), est rendu politiquement plus difficile pour les partis d'opposition à l'approche des élections municipales (mars 2026).
Les scénarios de survie du gouvernement ou de remplacement du Premier ministre sans nouvelle dissolution (plus probable) pourraient réduire un peu la pression sur la dette française par rapport à aujourd'hui, mais de façon limitée car cela impliquerait très probablement des accords politiques incluant une réduction moins ambitieuse du déficit pour 2026. Nous ne pensons pas que le spread (l'écart de taux d'intérêt) français face à l'Allemagne reviendrait à son niveau d'avant l'annonce du vote de confiance alors que le débat budgétaire resterait devant nous.
Le scénario d'une dissolution, par rapport à l'attente d'un nouveau gouvernement issu du même Parlement, apparaît comme le plus problématique dans le contexte actuel car l'émergence d'une majorité dominée par une coalition autour de LFI ou du RN pourrait raviver les inquiétudes quant à la soutenabilité de la dette française (en raison de positions perçues comme plus laxistes sur le plan budgétaire et fiscal).
Cela dit, le risque d'une crise importante sur la dette française (i.e. un spread face à l'Allemagne clairement au-delà de 100pb) et de diffusion du stress au reste des secteurs et des pays de la zone euro reste limité selon nous. Un tel scénario du pire deviendrait plausible si le blocage politique entraînait une démission du Président Macron (scénario très peu probable selon nous) ou en cas de nouveau dérapage important du budget français. Dans ce scénario la BCE pourrait de plus intervenir de façon pragmatique.
Pour nous, un scénario «à la belge», de période prolongée sans gouvernement n'est pas si problématique du point de vue de la soutenabilité de la dette publique. Cette situation pourrait aboutir de facto à un gel des dépenses (le maintien des budgets en valeur nominale) alors même que les ressources fiscales augmenteraient avec la croissance de l'activité et des prix.
Dans ces conditions, le stress politique et budgétaire en France devrait peser seulement légèrement davantage sur la croissance française à court terme et, surtout, ne remet pas en cause les perspectives plutôt favorables pour la zone euro à moyen terme qu'impliquent la relance budgétaire allemande, l'assouplissement des conditions monétaires passées de la BCE et la baisse des incertitudes commerciales…
Notons qu'une étape importante est l'adjudication par France Trésor d'OAT sur le marché primaire. C'est un vrai test sur l'appétit des investisseurs pour la dette française.
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