
Le président de la Cour de justice internationale Yuji Iwasawa (C) présente la premier avis consultatif de l'institution sur les obligations légales des pays face au changement climatique, le 25 juillet 2025 à La Haye ( AFP / JOHN THYS )
Les Etats qui violent leurs obligations climatiques commettent un acte "illicite” et pourraient se voir réclamer des réparations par les pays les plus affectés, conclut mercredi la Cour internationale de justice dans un avis consultatif qui a dépassé les attentes des défenseurs du climat.
La plus haute juridiction de l’ONU, basée à La Haye, établit à l'unanimité dans cet avis, initialement demandé par des étudiants sur l’archipel de Vanuatu, une interprétation juridique du droit international sur le climat. Les législateurs, avocats et juges du monde entier peuvent désormais s'en saisir pour changer les lois ou attaquer en justice les Etats pour leur inaction.
Radieux, le ministre du climat de Vanuatu, Ralph Regenvanu, a confié à l'AFP sa surprise de voir "tant de choses inattendues", et positives, dans les conclusions des juges. "Nous utiliserons évidemment ces arguments dans nos discussions avec les pays qui émettent le plus" de gaz à effet de serre, prévient-il.

Ralph Regenvanu, ministre du Changement climatique au Vanuatu, prend la parole lors d'un rassemblement devant la Cour internationale de justice à La Haye (CIJ), le 23 juillet 2025 ( AFP / JOHN THYS )
La dégradation du climat, causée par les émissions de gaz à effet de serre, est une "menace urgente et existentielle”, a déclaré le juge Yuji Iwasawa, président de la Cour, lors d'une lecture solennelle de deux heures de l'avis, saluée par des applaudissements des militants qui ont suivi l'audience sur un écran géant, à l'extérieur du Palais de la Paix.
La Cour a rejeté l’idée défendue par les grands pays pollueurs selon laquelle les traités climatiques existants – et notamment le processus de négociation des COP annuelles – étaient suffisants.
Les Etats ont "des obligations strictes de protéger le système climatique", arguent les juges. En accord avec les petits pays insulaires, la CIJ confirme que le climat devait être "protégé pour les générations présentes et futures" -- alors que les grands pays pollueurs refusaient absolument de reconnaître les droits d'individus pas encore nés.
- Réparations -

La centrale électrique au charbon de Zhangjiakou, dans le nord de la Chine, le 15 novembre 2021 ( AFP / GREG BAKER )
La partie la plus conséquente de l’avis, qui suscitera le plus de résistance chez les pays riches, découle de ces obligations: les compensations dues aux pays ravagés par le climat.
"Les conséquences juridiques résultant de la commission d'un fait internationalement illicite peuvent inclure [...] la réparation intégrale du préjudice subi par les États lésés sous forme de restitution, de compensation et de satisfaction", estiment les 15 juges du tribunal.
Mais la Cour place la barre haut: un lien de causalité direct et certain doit être établi "entre le fait illicite et le préjudice", certes difficile à établir mais "pas impossible" pour autant, écrivent-ils.
Il s'agit du cinquième avis unanime de la Cour en 80 ans, selon l'ONU. L'Assemblée générale des Nations unies avaient voté pour le demander.
Pour l'étudiant fidjien qui a mené la campagne depuis 2019, le jour restera mémorable.
"Quelle fin parfaite pour une campagne qui a débuté dans une salle de cours", dit à l'AFP Vishal Prasad, présent à La Haye. "Nous avons désormais un outil très, très puissant pour demander des comptes aux dirigeants. La CIJ a donné tout ce qui était possible".
- "Historique" -

Vishal Prasad (3e à D), directeur de la campagne Pacific Island Students Fighting Climate Change, pose avec d'autres militants devant la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye, le 23 juillet 2025 ( AFP / JOHN THYS )
Il faudra des jours pour que les juristes digèrent l'avis de 140 pages, et encore plus pour voir comment des tribunaux s'en emparent.
Mais d'ores et déjà, de nombreuses voix interrogées par l'AFP, expertes et militantes, soulignent le caractère historique de l'avis.
C'"est une victoire historique pour la justice climatique", a réagi l'ancien rapporteur spécial de l'ONU pour les droits humains et l'environnement, David Boyd. L'interprétation par la Cour des obligations des Etats "sera un catalyseur pour accélérer l'action climatique".
"Pour la première fois, la plus haute cour du monde a établi que les Etats avaient une obligation légale de prévenir tout préjudice climatique, mais aussi de le réparer pleinement", a commenté l'une des juristes les plus expertes du sujet à la London School of Economics, Joana Setzer.
Les climatologues les plus déçus par l'action politique mondiale approuvent.
"C'est une décision majeure", dit à l'AFP Johan Rockström, directeur d'un des instituts européens les plus reconnus sur le climat, le Potsdam Institute for Climate Impact Research. Chaque pays peut "être tenu pour responsable" devant les tribunaux, même s'il n'est pas signataire des traités de l'ONU, ajoute-t-il.
- Quel impact aux États-Unis?-
L'ancien émissaire pour le climat de Joe Biden, John Kerry, regrette, dans un message à l'AFP, qu'il faille "le poids du droit international pour inciter les pays à faire ce qui est profondément dans leur intérêt économique".
Il est de fait improbable que les Etats-Unis, comme les autres grands pays riches et émetteurs de gaz à effet de serre qui n'ont toujours pas réagi, changent de voie sur le pétrole et les énergies fossiles à cause de ce seul avis.
Mais celui-ci sera certainement "testé" dans les tribunaux aux Etats-Unis, prédit le professeur à l'école de droit du Vermont, Pat Parenteau. "Cela ne réussira pas avec la Cour suprême actuelle, mais ce n'est pas permanent".
Vanuatu, du reste, prévoit déjà la prochaine étape: demander à l'Assemblée générale de l'ONU de faire appliquer l'avis de la Cour.
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