par Gram Slattery, Steve Holland et Matt Spetalnick
Au cours d'une visite au Qatar, il y a moins de quatre mois, le président américain Donald Trump a rencontré l'émir Cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, qu'il a félicité pour son somptueux palais, signant à cette occasion un important accord de défense avec la monarchie du Golfe, précieuse alliée des Etats-Unis dont elle héberge la plus importante base militaire au Proche-Orient.
L'attaque inattendue menée mardi par Israël, avec l'objectif de tuer des dirigeants du Hamas se trouvant à Doha, a crispé cette relation, provoquant la colère de Donald Trump et une vague de critiques de la part du Qatar et d'alliés occidentaux.
Ordonnées par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, les frappes contre le bureau politique du Hamas ont tué un agent de sécurité qatari et cinq autres personnes, sans atteindre les dirigeants du mouvement armé palestinien. Donald Trump a dit être "très mécontent" à propos de "tous les aspects" de cette opération israélienne.
Reste que, malgré son indignation, le président américain ne devrait pas opérer de virage fondamental dans sa politique à l'égard d'Israël, disent des représentants américains et des analystes. L'incident met plutôt en exergue la logique sous-jacente cynique dans la relation Trump-Netanyahu.
Israël a montré qu'il n'était pas effrayé par l'idée d'agir contre les intérêts de Washington. D'après des représentants américains, l'administration israélienne n'a pas averti formellement les Etats-Unis de l'attaque imminente au Qatar.
Cette absence de notification en amont rappelle la vaste "attaque aux bipeurs" menée par Israël au Liban en septembre 2024 sans en informer Joe Biden, le locataire de la Maison blanche à l'époque.
Donald Trump a parfois exprimé son mécontentement à l'égard de Benjamin Netanyahu depuis son retour à la présidence américaine en janvier dernier.
Mais son administration a apporté un soutien sans faille à la campagne militaire d'Israël face au Hamas, permettant également à l'Etat hébreu de prendre des initiatives dans des dossiers importants - comme le programme nucléaire de l'Iran.
"D'ACCORD PAR INSTINCT"
"Sur ce coup-là, je pense que Donald Trump est agacé par la tactique de Benjamin Netanyahu", dit Aaron David Miller, ancien négociateur de paix américain et membre du think tank Carnegie Endowment for International Peace, à propos de l'attaque à Doha.
Mais, ajoute-t-il, le président américain est "d'accord par instinct avec la conception de Netanyahu selon laquelle le Hamas ne peut pas seulement être évidé comme une organisation militaire. Il doit être fondamentalement affaibli".
Sollicitée par Reuters pour un commentaire, la Maison blanche a renvoyé au message publié mardi soir par Donald Trump sur son réseau social Truth, dans lequel il a écrit que "bombarder unilatéralement le Qatar (...) ne fait pas avancer les objectifs d'Israël ou de l'Amérique".
"Toutefois", a ajouté le président américain dans ce message, "éliminer le Hamas, qui profite de la souffrance de ceux qui vivent à Gaza, est un but louable".
Aucun commentaire n'a été obtenu auprès de l'ambassade d'Israël à Washington.
Certains analystes refusent d'exclure la possibilité que Benjamin Netanyahu vienne à bout de la patience de Donald Trump si des surprises supplémentaires attendent Washington.
Dans les faits, cela pourrait signifier une absence de protection politique américaine concernant le siège mené par Israël dans la bande de Gaza, qui provoque un tollé parmi les nations européennes et arabes, alors que la famine fait rage dans l'enclave palestinienne.
"A ses amis des pays arabes qui se plaignent auprès de lui des agissements d'Israël - ce qu'ils font en ce moment -, (Donald Trump) pourrait répondre: 'Donnez-moi un projet crédible pour le jour-d'après à Gaza, avec une alternative à la gouvernance du Hamas, et je dirai à "Bibi" (Benjamin Netanyahu) qu'il en a fait assez'", dit Dennis Ross, ancien négociateur au Proche-Orient pour différentes administrations américaines.
"CHAUD ET FROID"
L'attaque israélienne au Qatar devrait vraisemblablement doucher les espoirs de Donald Trump de voir d'autres pays du Golfe intégrer les accords dits Abraham, conclus durant le premier mandat du président américain pour normaliser les liens diplomatiques entre Israël et plusieurs pays arabes.
Une rupture entre Donald Trump et Benjamin Netanyahu semble cependant peu probable, selon Michael Oren, ancien ambassadeur d'Israël aux Etats-Unis, qui met en avant l'appétence de l'ancien magnat de l'immobilier pour les transactions et les démonstrations de force comme solutions aux guerres.
"Si Benjamin Netanyahu peut continuer de répondre à ces deux facettes du président, il n'aura pas de souci. Je ne suis pas inquiet à propos de cette relation", dit-il.
Des représentants de l'administration américaine admettent que le partenariat entre le chef de la Maison blanche et le dirigeant israélien connaît des hauts et des bas. "C'est le chaud et le froid", rapporte un haut représentant de la présidence américaine.
Que Donald Trump ne se rende pas en Israël quand il a effectué en mai dernier une tournée dans le Golfe, son premier déplacement majeur à l'étranger depuis son retour au pouvoir, a été vu par de nombreux analystes comme un affront, alors même que le président américain avait promis de renforcer des liens avec Benjamin Netanyahu distendus durant le mandat de son prédécesseur Joe Biden.
Au cours de cette tournée, Donald Trump a répondu favorablement à la demande du prince héritier d'Arabie saoudite de lever les sanctions contre le nouveau gouvernement syrien, rencontrant également à Ryad le président par intérim Ahmed al Charaa, ancien chef d'une alliance de groupes rebelles, ce qui a alarmé les responsables israéliens.
CRÉDIT
Toutefois, à peine un mois plus tard, l'alliance Trump-Netanyahu semblait de nouveau en osmose.
Quand Israël a lancé en juin une campagne de bombardements en Iran, le président américain - qui avait promis à sa réélection de mettre fin à différents conflits à l'étranger - a décidé d'appuyer cette offensive en envoyant des bombardiers frapper les principaux sites nucléaires iraniens, au grand étonnement de nombre de ses alliés politiques aux Etats-Unis.
Si cela a donné du crédit à Donald Trump auprès de l'administration israélienne, le président américain n'en a pas récolté immédiatement les bénéfices pour ses intérêts de politique étrangère.
Revendiquant quelques jours plus tard avoir négocié un accord de cessez-le-feu entre Israël et Téhéran pour mettre fin à ce qu'il a baptisé la "Guerre de 12 Jours", le chef de la Maison blanche a vivement critiqué les deux camps pour avoir enfreint cette trêve.
Par la suite, en juillet, Washington a condamné à demi-mots une attaque menée par Israël contre Damas qui a détruit en partie le siège du ministère syrien de la Défense.
Mardi, l'Etat hébreu a prévenu l'administration américaine de son opération au Qatar juste avant qu'elle ne se produise, rapportent deux représentants américains, selon lesquels il n'y a eu aucune coordination ou feu vert de la part de Washington.
"Les Etats-Unis peuvent continuer de persuader et de pousser Israël à prendre des décisions", dit Jonathan Panikoff, ancien responsable de haut rang des services du renseignement américain au Proche-Orient.
Mais, ajoute-t-il, "Benjamin Netanyahu va continuer d'agir de la façon qu'il considère comme la meilleure pour les intérêts d'Israël uniquement".
(Gram Slattery, Steve Holland et Matt Spetalnick, avec la contribution de Jonathan Landay à Washington et Emily Rose à Jérusalem; version française Jean Terzian, édité par Blandine Hénault)
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