Aller au contenu principal Activer le contraste adaptéDésactiver le contraste adapté
Fermer

«Jean-Claude Barreau, un modèle de résistance à la fatalité et au conformisme de la pensée»
information fournie par Le Figaro 07/03/2025 à 17:04

Décédé le 5 mars dernier, Jean-Claude Barreau fut prêtre, puis éditeur, conseiller politique et écrivain. Le député RN Guillaume Bigot lui rend hommage en saluant un homme qui su mener ses combats sans jamais céder à la haine.

Guillaume Bigot est député Rassemblement national du Territoire de Belfort.

Une voix s’est tue, celle d’un homme qui aura traversé son époque avec une liberté de pensée et une cohérence qui forcent l’admiration. Cette voix était celle de mon maître et ami, Jean-Claude Barreau . Né en 1933, cet enfant de la guerre, devenu officier, prêtre, puis éditeur, conseiller politique et écrivain prolifique, laisse derrière lui un héritage précieux : celui d’un passeur, qui avait fait de la transmission le fil de sa vie. Il a inspiré tous ceux qui eurent la chance de croiser sa route. Son exemple peut servir d’antidote aux nihilismes contemporains. «Vous avez recherché Dieu toute votre vie et vous avez fini par trouver l’homme et la fraternité humaine» , avait dit François Mitterrand à celui qui fut son conseiller.

Son grand-père, républicain à l’ancienne, fut son premier maître. Il lui a transmis le goût de l’étude et l’amour de la France. En 1940, cette patrie manque d’être brisée par le choc inouï de la débâcle et Jean-Claude, d’ascendance juive, dut se cacher dans la campagne vendômoise. Le souvenir cuisant de la défaite ne s’effacera pas. Devenu adulte, Barreau n’achètera jamais la légende noire d’une France devenue collabo et ne pardonnera jamais à Vichy d’avoir facilité la tâche de l’occupant. C’est son professeur, Olivier Clément, qui l’éveille aux évangiles. Jean-Claude Barreau rentre au séminaire mais, bientôt, la guerre d’Algérie éclate. Barreau part servir son pays tout en comprenant le désir d’indépendance des Algériens. Officier iconoclaste, il habille ses soldats en djellabas et les rend maîtres de la nuit, tendant des embuscades aux maquisards du FLN . Le lieutenant Barreau montre l’exemple. Au feu, il marche en tête, mange au milieu de ses hommes et combat un ennemi qu’il respecte. L’arme au poing, il chassera un officier de renseignement français venu torturer l’un de ses prisonniers.

La guerre achevée, Barreau, ordonné prêtre, consacre une biographie à Jésus. Mais c’est auprès des «blousons noirs» du Paris des années 1960 que l’abbé Barreau révéla le plus pleinement sa vocation de père spirituel. Confronté à des délinquants qui vandalisaient l’église de la Trinité, il choisit d’aller à leur rencontre plutôt que d’appeler la police. «Je me suis fait chef de bande pour pouvoir les entraîner où je voulais» , racontait-il avec cette simplicité désarmante qui le caractérisait. Selon ses mots, il devint éducateur-commando. Il gagnait leur confiance en partageant leur quotidien, puis leur ouvrait des horizons insoupçonnés. Du cap Nord aux berges du Nil, il transforma des voyous en aventuriers. Il sillonnait de nuit les périphéries de Paris, sur sa grosse cylindrée, toujours disponible pour arbitrer un conflit, trouver un emploi ou sortir un jeune des griffes de la délinquance.

Des centaines d’hommes lui doivent d’avoir échappé à la spirale de la violence et de la prison. Il ne les jugeait pas, ne les infantilisait pas, mais leur offrait ce dont ils manquaient cruellement : une figure paternelle exigeante et bienveillante. Nous sommes à la fin des années 60, le brio, la prestance, l’éloquence de ce curé iconoclaste lui valent la une de Paris Match qui titre : «Barreau, le prêtre le plus célèbre de France.» Aussi, lorsqu’il tombe amoureux de Ségolène et qu’il épouse la jeune infirmière qui lui donnera deux enfants, le scandale est inouï et déchire la France. Sa fille, Chloé, consacrera un film magnifique à cette histoire d’amour qui confirme la justesse de la remarque de Régis Debray : «un homme et une femme qui font corps, sur ce bloc de granit, le monde entier coalisé se cassera toujours les dents.» Malraux, Costa Gavras, Signoret et Montand, Moustaki, les grandes voix des années 70 soutiennent le couple pris dans le maelstrom médiatique.

Après avoir quitté l’Église en 1971, Jean-Claude Barreau entame une nouvelle carrière comme éditeur, chez Stock, avant de s’engager dans la vie politique. Inventeur de la loi sur le prix unique du livre , conseiller culturel en Algérie, conseiller de François Mitterrand sur l’immigration, puis collaborateur de Charles Pasqua à la tête de l’Office des migrations internationales et de l’Institut d’études démographiques, il traversa les clivages partisans avec une indépendance d’esprit remarquable. Ces engagements variés, parfois surprenants pour un homme marqué à gauche, témoignent de son refus des dogmatismes.

À propos de l’Algérie, dont il aimait le peuple mais jugeait la classe dirigeante hypocrite , il déplorait un déni névrotique. Selon lui, «les Algériens sont des francarabes, comme les gaulois furent des gallo-romains.» Sur la démographie, il dénonce le malthusianisme anglo-saxon et dénonce la suppression du quotient familial. En effet, selon Barreau, «aucune société ne peut tenir longtemps sans remplacer ses générations.» La dépopulation est une mort douce et lente mais inexorable. Barreau estimait également que, sans une croissance démographique et économique forte, ainsi qu’une politique d’assimilation républicaine, le maintien de vigoureux flux migratoires ne pouvait que conduire à de dangereuses impasses. Dans un ouvrage qui lui vaudra son poste et une alerte à la bombe, Barreau explique que le péché initial de l’islam réside dans l’oppression des femmes et le rejet de l’idée de progrès, appelant cette religion à se réformer.

Son œuvre littéraire, riche de plus de quarante ouvrages, reflète cette diversité. De La Foi d’un païen (1980) à Toute l’Histoire du monde (2007), en passant par sa Biographie de Jésus (1993) ou De l’islam en général et du monde moderne en particulier (2004), il abordait avec la même aisance la théologie, l’histoire, la géopolitique. Cette œuvre éclectique mais cohérente se caractérise par sa clarté et son accessibilité. Jean-Claude Barreau écrivait pour être compris de tous, convaincu que les questions les plus profondes méritent d’être traitées dans un langage simple. Il militait contre l’hyper spécialisation et en faveur de la culture générale à une époque où l’on sait tout, tout de suite mais où l’on ne comprend rien.

Homme de conviction, parfois à contre-courant des idées dominantes (sur l’immigration, la religion ou l’identité nationale), Barreau défendait des positions qui lui valurent parfois l’incompréhension, voire l’hostilité. Mais il menait ces combats sans jamais céder à la haine ou au ressentiment. Sa force était de croire profondément en la capacité de chacun à s’élever. «La permanence de l’enfant à l’intérieur de l’adulte le plus endurci est étonnante» , notait-il, convaincu que même les êtres les plus abîmés gardent une part d’innocence. Cette conviction n’était pas naïve – il connaissait trop la violence du monde – mais témoignait de sa foi en l’humain. Dans un monde où la transmission est en crise et où les repères s’effacent, sa vie nous rappelle que nous ne sommes pleinement humains que dans ce mouvement qui nous porte vers l’autre.

Il regrettait la déconsidération de la politique depuis Mitterrand, un prince qu’il a admiré et servi. À son sujet, il écrivait : «Il n’agissait pas, il faisait semblant. Quelle est la clé de cette attitude chez un dirigeant doué ? Je pense connaître son secret. Depuis 1940, François Mitterrand ne croit plus que la France soit une grande puissance, ni même une puissance tout court. Il aime sa patrie. Mais devant le désastre de 1940, il a réagi à l’inverse de de Gaulle. Simplement, François Mitterrand, voit la France comme une vieille dame, qu’il faut entourer de prévenance, à laquelle il faut garder les apparences de sa grandeur passée, tout en l’amenant dans une maison de retraite dorée.»

Cette maison de retraite, c’est évidemment l’Europe de Bruxelles. Pourtant, depuis 1000 ans, la France est une victoire toujours renouvelée de la volonté politique sur le renoncement. Résistance à la fatalité, à la capitulation, au nihilisme et au conformisme de la pensée : voilà l’exemple offert par Jean-Claude Barreau. Il devrait nous donner la force de dissiper la démission camouflée en rêve d’avenir que certains tentent de nous vendre. Comprendre sans juger, pour agir, sans jamais désespérer, telle était la leçon de ce rêveur éveillé. «Que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à se perdre lui-même ?» Cette question évangélique, Jean-Claude Barreau l’a faite sienne, lui qui a réussi sa vie sans se perdre.

0 commentaire

Signaler le commentaire

Fermer

A lire aussi