
Le gouverneur de la Banque du Japon, Kazuo Ueda, participe à une conférence de presse après la réunion de politique générale à Tokyo
par Leika Kihara
La pression monte au sein de la Banque du Japon (BoJ) pour qu'elle renonce à sa communication et son orientation politique actuelle qui s'appuie trop, selon ses détracteurs, sur l'inflation dite "sous-jacente", un indicateur jugé flou et insuffisant.
Les craintes liées aux effets de second tour sur les prix incitent ainsi certains membres du conseil des gouverneurs de la BoJ à réclamer une communication plus restrictive ("hawkish") et une trajectoire plus claire concernant les futures hausses de taux directeurs.
Le gouverneur de la BoJ, Kazuo Ueda, a jusqu'ici justifié la lenteur du resserrement monétaire en cours par une "inflation sous-jacente", centrée sur la force de la demande intérieure et les salaires, qui reste en-deçà de l'objectif de 2% de la banque centrale.
Le problème est qu'il n'existe pas d'indicateur unique pour mesurer l'"inflation sous-jacente". Cela alimente le débat parmi les détracteurs de la BoJ qui reprochent à la banque centrale de trop s'appuyer sur cet indicateur pour guider sa politique monétaire alors que l'inflation globale et d'autres mesures montrent que la cible des prix a déjà été atteinte et dépassé depuis plus de trois ans.
Même au sein du conseil des gouverneurs de la BoJ, certains membres s'inquiètent désormais de voir les effets de second tour des prix s'ancrer dans les comportements en termes de fixation des tarifs et de perception publique de l'inflation future. Ils appellent à une modification de la communication de la banque vers un biais plus hawkish et un recentrage sur l'indicateur d'inflation globale, qui a atteint 3,3% en juin sur un an, principalement en raison d'une hausse de 8,2% des coûts alimentaires.
UNE BOJ JUGÉE TROP COMPLAISANTE
"Nous sommes dans une phase où nous devrions déplacer le cœur de notre communication de l'inflation sous-jacente vers les mouvements de prix réels et leurs perspectives, ainsi que sur l'écart de production et les attentes en matière d'inflation", a déclaré un membre de la BoJ, selon une synthèse des avis formulés lors de la réunion de politique monétaire de la banque en juillet.
Un autre membre a estimé que la BoJ devrait mettre davantage l'accent sur les risques de hausse des prix et envisager de modifier sa communication pour qu'elle soit basée sur l'idée que le Japon atteindra un taux d'inflation de 2%.
Certains membres du principal conseil économique du gouvernement ont également prévenu ce mois-ci que la BoJ pourrait s'être montrée trop complaisante face à la pression croissante sur les prix, un avertissement clair à l'égard de la banque centrale pour qu'elle adopte une politique plus agressive, reflet de l'inquiétude croissante de l'opinion publique face à une inflation persistante.
"Je crains que la politique monétaire ne soit déjà en retard sur la courbe", a déclaré un des membres du conseil économique du gouvernement lors d'une réunion organisée la semaine dernière, ajoutant que la poursuite de la hausse des prix affectait déjà le budget des ménages et leurs perspectives en matière d'inflation.
La BoJ a mis fin l'an dernier à dix ans de politique ultra accommodante en portant notamment ses taux directeurs à court terme à 0,5% en janvier, estimant que le Japon était sur le point d'atteindre durablement son objectif d'inflation de 2%.
Même si la banque centrale a indiqué qu'elle était prête à relever encore ses taux, l'impact économique de l'augmentation des droits de douane américains l'a contrainte en mai à réduire ses prévisions de croissance et a compliqué ses choix concernant le calendrier de la prochaine hausse des taux.
A la faveur de l'accord commercial signé en juillet entre les Etats-Unis et le Japon, la BoJ est devenue moins pessimiste sur les perspectives économiques du pays.
UN CHANGEMENT EN OCTOBRE ?
Parmi les neuf membres du conseil des gouverneurs de la BoJ, Naoki Tamura, Hajime Takata et Junko Koeda ont souligné le risque que des hausses persistantes des prix des denrées alimentaires conduisent à une inflation plus large et durable.
Certes, il n'y a pas encore de consensus au sein du conseil des gouverneurs sur la nécessité d'une refonte de la communication de la banque centrale, un membre ayant déclaré dans la synthèse de la réunion de juillet que l'inflation sous-jacente restait un "concept important pour guider la politique".
Mais le fait que certains membres aient ouvertement appelé à une modification de la communication actuelle, jugée "dovish" (accommodante) souligne l'attention croissante du conseil des gouverneurs à l'égard de la pression inflationniste croissante qui pourrait ouvrir la voie à des hausses de taux dans les mois à venir et jusqu'en 2026, estiment les analystes.
Les pressions sur les prix ont conduit le mois dernier le conseil des gouverneurs à réviser à la hausse ses prévisions concernant l'inflation de base et ont parallèlement semé le doute sur la communication de la BoJ selon laquelle l'inflation sous-jacente - mesurée par un ensemble d'indicateurs comme les attentes du public concernant l'évolution future des prix - n'a pas encore atteint les 2%.
La BoJ pourrait progressivement supprimer le concept d'inflation sous-jacente de sa communication, alors qu'elle se prépare à la prochaine hausse des taux qui pourrait avoir lieu dès octobre, a déclaré Naomi Muguruma, stratégiste chez Mitsubishi UFJ Morgan Stanley Securities et experte de la BoJ.
"Je pense que de nombreux responsables de la BoJ commencent à réaliser que cette idée ne correspond pas tout à fait à la réalité", a-t-elle ajouté. "Nous pourrions entendre moins parler de ce concept lorsque la date de la prochaine hausse des taux se rapprochera", a-t-elle précisé.
(Leika Kihara; version française Claude Chendjou, édité par Augustin Turpin)
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