Il existe un lien avéré entre consommation de pornographie et violence sexuelle, explique Priscille Kulczyk, chercheur associée au Centre européen pour le droit et la justice, à l’occasion de la journée pour les droits des femmes qui a lieu ce 8 mars.
Priscille Kulczyk est chercheur associé au Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ).
Peut-on encore croire que la pornographie est sans conséquence pour la condition des femmes ? Il y a trente ans déjà, lors de la quatrième Conférence mondiale de l’Onu sur les femmes à Pékin en 1995, les États affirmaient que « les produits des médias qui ont un caractère violent, dégradant ou pornographique ont […] des conséquences néfastes pour les femmes et leur participation à la société » . Considérer que, parce qu’elle se regarde généralement dans l’intimité, la pornographie n’influence pas le comportement en société de ses consommateurs est donc un piège. Au contraire, le danger qu’elle constitue pour les femmes est avéré.
L’existence d’un lien entre la consommation de pornographie et la violence sexuelle est établie, bien qu’elle reste largement taboue. En 2024, une étude de la littérature scientifique des vingt dernières années en la matière conclut ainsi que «l’exposition à la pornographie a été liée à la coercition sexuelle, ainsi qu’à des niveaux plus élevés de croyances favorables au viol, à l’approbation par les pairs des rapports sexuels forcés (…). Les hommes qui ont regardé de la pornographie grand public ont obtenu des résultats significativement plus élevés en ce qui concerne la probabilité qu’ils se déclarent capables de commettre des viols» .
Cela n’a rien d’étonnant puisque la pornographie fait le plus souvent rimer sexualité avec brutalité. En 2010, une analyse des 50 vidéos pornographiques les plus populaires révélait que 88 % des scènes contenaient de la violence physique, 49 % au moins une agression verbale, 87 % des actes agressifs contre des femmes (dont la réponse est neutre ou exprimant du plaisir dans 95 % des cas).
Car elle normalise la violence, la pornographie a des conséquences dans la vraie vie . Au sein des couples, elle entraîne un rapport de soumission et de violence : une étude sur les femmes victimes de violence domestique a révélé en 2010 que 73 % de celles ayant subi un viol avaient déclaré que leur partenaire consommait de la pornographie. Le récent procès médiatique des viols de Mazan en est un exemple concret. Comment ne pas reconnaître en cette affaire un symptôme de l’état de pornification avancée de la société ? Les dizaines d’hommes poursuivis pour viol n’ont pas en commun un profil type, mais une consommation habituelle de pornographie. Cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’affaire French Bukkake où plusieurs dizaines de femmes ont été victimes de viols en réunion par des hommes conviés via un site pornographique à se retrouver en un même lieu pour s’adonner, à visage couvert et devant la caméra, à des pratiques violentes sur une femme.
N’étant rien d’autre que de la prostitution filmée, la pornographie favorise également la demande de prostitution et, par conséquent, la traite des êtres humains qui alimente celle-ci. Dans un rapport en mai 2024, Reem Alsalem, rapporteur spécial de l’Onu sur la violence contre les femmes et les filles, rappelait : «Les plus grands consommateurs de pornographie sont aussi les plus grands consommateurs de prostituées» .
De manière générale, la pornographie est hostile aux femmes. Comme le note un professeur britannique, sur les 63 catégories de l’onglet « hétéro » d’un site pornographique populaire, est-ce un hasard qu’une seule s’intitule «female friendly» (favorable aux femmes) ? Même lorsqu’elle ne paraît pas inciter à la violence, la pornographie est particulièrement nocive pour la femme car elle en véhicule une vision déformée qui la réduit à «un objet d’humiliation» , selon les termes d’Emmanuel Macron à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Or, loin de rester cantonnée au monde virtuel, cette réification déborde l’écran de smartphone ou d’ordinateur et se répand insidieusement dans la société.
Avec ses normes esthétiques hypersexualisées et irréalistes, la pornographie porte également atteinte à l’image du corps féminin. Elle entraîne des problèmes d’estime de soi, en témoigne un boom de la chirurgie de l’intime qu’explique en partie l’influence de la pornographie. Les gynécologues rapportent aussi qu’il n’est pas rare que des jeunes femmes confient ne pas vivre une sexualité « épanouie » avec leur partenaire, toute ressemblance avec la vision pornographique alliant culte de la performance et pratiques assujettissantes, humiliantes ou violentes n’étant pas purement fortuite.
Protéger et promouvoir les droits des femmes implique de combattre à leur source les menaces réelles pesant sur les femmes. Or, la culture pornographique entrave irréfutablement l’égalité entre les femmes et les hommes , ainsi que l’élimination de la discrimination et de la violence à l’égard des femmes. Elle est favorisée par l’accès illimité, anonyme et gratuit à ces contenus devenus de véritables produits de consommation menant parfois à l’addiction. Combien de procès de Mazan seront-ils nécessaires avant que les responsables politiques prennent à bras-le-corps le problème de santé publique qu’est devenue la consommation de pornographie ?
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