
Manifestation contre les violences faites aux femmes le 23 novembre 2024 à Paris ( AFP / STEPHANE DE SAKUTIN )
"Je suis partie d'une relation toxique vers une autre": comme Elodie, violentée par deux conjoints à 25 ans d'intervalle, le nord de la France s'échine à sortir d'une spirale de violences conjugales qui perdure depuis des générations.
"Au départ, vous vous dites que c'est de votre faute, que vous l'avez mérité", soupire cette infirmière de 46 ans, rencontrée dans les locaux de l'association d'aide aux femmes victimes Solfa à Dunkerque (Nord) où elle a trouvé refuge à deux reprises.
D'abord au début des années 2000, avec son fils, encore bébé, sous le bras. Puis il y a quelques mois, lorsque le même mécanisme, les mêmes violences, se sont répétés avec son nouvel époux, médecin.
Reproches, cris, coups, "ça se met en place tout doucement", assure-t-elle à présent. "Je ne m'en suis pas rendu compte (...) Je suis partie d'une relation toxique vers une autre relation toxique."
Pour Sandrine, employée municipale de 57 ans, les violences ont commencé un an avant le jour où son conjoint a tenté de la poignarder en plein coeur, par un viol un soir où elle lui a demandé sans succès de partir de chez elle.
Mais au fil de son témoignage apparaissent dès le début de leur relation, entamée à la cinquantaine passée, de premières violences psychologiques, puis des menaces, des photos de hachette, de lames de rasoir envoyées par messages.
"Il faut que j'aie 57 ans pour comprendre qu'un homme, il ne changera jamais", lâche-t-elle. Un demi-siècle à voir les hommes l'entourant, son père en tête, frapper des femmes. "Quand on voit sa propre mère se faire tabasser, ça donne la peur au ventre", souffle-t-elle au bord des larmes.
- "Une question d'éducation" -
Le nord de la France est particulièrement touché par les violences faites aux femmes: le Pas-de-Calais, le Nord et la Somme sont les trois départements métropolitains aux taux de violences conjugales les plus élevés, selon les dernières données publiées par le ministère de l'Intérieur.
Une prévalence nordiste à laquelle les professionnelles du secteur tentent de trouver des explications.
Pour Fabienne, travailleuse sociale chez Solfa, c'est avant tout "une question d'éducation". Lorsqu'elle intervient dans des lycées, elle observe régulièrement à quel point les clichés sexistes sont ancrés dans la jeunesse nordiste.
Une manière pour les violences de se perpétuer de génération en génération, entre "des garçons qui disent +Jamais je serai comme mon père+ et le deviennent", et des filles dont la mère "a été violentée par leur père, leur grand-mère (aussi), donc pour elles, c'est la vie normale".
Partageant son constat, Ludivine Auguste, directrice du Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) du Pas-de-Calais, appelle à "travailler sur les stéréotypes, la mixité, dès le plus jeune âge" au sein d'une "population en grande précarité".
Au cours de ses 25 ans en tant que travailleuse sociale chez Solfa, Rheuria, 62 ans, a vu passer "beaucoup de précarité". "L'argent est un gros problème", assure-t-elle, de même que l'alcool, qui "n'est pas forcément responsable" des violences mais qui "désinhibe" les auteurs.
- "La rage" -
Une explication qu'appuie le préfet du Nord, Bertrand Gaume. "On a un vrai sujet par rapport aux addictions dans la région (...) surtout l'alcool", dit-il. Alcool qui "a un effet d'explosion du surmoi qui fait que les personnes ne se contrôlent pas".
Lui aussi voit la précarité comme un facteur, "parce que les femmes victimes de violences auront tendance à rester (...) dès lors qu'elles sont en situation de fragilité sociale, de fragilité économique, et qu'elles n'auront pas l'autonomie pour pouvoir se libérer de l'emprise économique de leur conjoint".
Mais il veut aussi voir dans le grand nombre de plaintes déposées un signal positif, "fruit du réseau associatif (...), de tout ce que les pouvoirs publics essayent de mettre en oeuvre": "pour qu'il y ait plainte, d'abord, il faut qu'il y ait une démarche positive de la personne victime de violences (...), qui est entre 8 et 9 fois sur 10 une femme".
La plainte, étape nécessaire, n'est cependant qu'un jalon pour les victimes, estime Fabienne, de Solfa: "il faut vraiment qu'on leur fasse comprendre qu'elles sont maîtres du jeu".
Une manière de penser que commence à adopter Sabrina, agent des finances publique de 39 ans. "C'est dur, mais je vais y arriver", assure-t-elle, encore régulièrement menacée par son ex-mari policier.
Elle y laisse "des bouts de" sa santé, dit-elle. "Mais heureusement, j'ai encore le mental. Parce que j'ai la rage."
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