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A69 : «Le tribunal administratif, sans s’en rendre compte, satisfait le projet de société des écologistes radicaux»
information fournie par Le Figaro 06/03/2025 à 17:27

Saisi par des associations écologistes, le tribunal administratif de Toulouse a interrompu, ce 27 février, la construction de l’autoroute A69. Pour l’avocat et docteur en droit public Ghislain Benhessa, cette décision illustre l’extension des prérogatives du juge.

Docteur en droit public, avocat et philosophe, Ghislain Benhessa est enseignant à l’Université de Strasbourg. Il a notamment publié Le Totem de l’État de droit (L’Artilleur, 2021).

LE FIGARO. - Jeudi 27 février, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l’autorisation de construction de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Quel regard portez-vous sur cette décision ?

Ghislain BENHESSA. - Cette décision témoigne d’une interprétation extensive et en même temps précise de la part de juges qui « rejouent le match » des mois voire des années plus tard. Les autorités politiques, au sens large, prennent des décisions — infrastructures, transports, liaisons autoroutières — et les juges réévaluent de fond en comble tous les arguments avancés par l’État — effets économiques et sociaux, avancées sur la sécurité routière… Plus qu’un simple contrôle, c’est une réinterprétation de l’intégralité de l’argumentation ayant à l’origine permis la validation du projet.

Le tribunal estime que le projet ne constituait pas une « raison d’intérêt public majeur ». Les élus locaux de tous bords se réjouissaient pourtant du désenclavement de la région. Est-ce au tribunal de se prononcer sur l’intérêt ou non d’un tel projet ?

Cette notion est prévue juridiquement. Le juge l’interprète, et, ce faisant, il se penche sur les détails des raisons pour lesquelles cet intérêt public majeur a été jugé valable. Pour reprendre l’idée d’un «match rejoué», le juge se positionne à l’occasion de ce contrôle en revenant sur l’intégralité des motifs. On aboutit ainsi à une bataille de chiffres — statistiques, démographiques, sur l’attractivité économique, les conditions géographiques du bassin de Mazamet — avec un juge qui, motif par motif, réinterprète pour avoir une lecture opposée à celle des élus qui ont validé le projet.

Là est le problème de ce genre de décisions : derrière l’apparence du droit, il y a clairement une interprétation d’opportunité du projet en question, qui se décèle au travers de la bataille de chiffres et de statistiques. Si vous mettez trois personnes dans une pièce pour lire des statistiques, vous aurez forcément trois lectures différentes des chiffres produits. On a le sentiment que le tribunal opte pour une certaine lecture des données produites par les parties à l’instance et qui n’est pas la même que celle des autorités qui ont validé le projet en amont.

Selon l’ancien ministre de l’Environnement François de Rugy, le tribunal administratif s’est exprimé sur le fond du projet, outrepassant ses prérogatives qui consistent à s’assurer du simple respect des procédures. Êtes-vous d’accord avec lui ? En ce sens, le juge sort-il de son rôle ?

Le raisonnement de Rugy est historiquement fondé, mais n’est plus valide depuis longtemps. C’est un vieux débat en droit : le juge fait un « bilan », il met en balance des intérêts et il juge les intérêts en question qu’il met en balance les uns par rapport aux autres. Par exemple, il estime que le coût du péage de cette nouvelle liaison autoroutière (16 euros) ne justifie pas sa construction, car il est trop élevé et dissuadera les automobilistes d’employer cette voie, mais également les poids lourds, puisque ceux qui exercent à titre individuel préféreront passer par la route nationale que de payer 16 euros.

C’est en ce sens que la formule de François de Rugy est inexacte, car cela fait longtemps que le juge opère cette mise en balance. Derrière un strict contrôle de légalité, procédural, de droit, il porte son regard sur le fond, les motifs et l’opportunité de tel ou tel choix. Le juge estime ainsi que le péage est trop cher, mais aussi que les chiffres avancés sur l’attractivité économique ne justifient pas la réalisation du projet. Concrètement, le juge jette son regard et interprète les chiffres en question et les statistiques en fonction de sa propre lecture du dossier. Il le rejoue à la place et à la suite des autorités et des élus locaux qui ont choisi de le valider.

Les opposants à l’A69 ont régulièrement organisé des protestations largement couvertes par les médias. En février dernier, l’activiste Greta Thunberg s’était jointe aux manifestants sur place. Ce climat politique et social a-t-il pu influencer la décision du tribunal ?

Par-delà la présence ou non de Greta Thunberg, les juridictions administratives sont désormais saisies de problématiques écologiques. Comme j’avais eu l’occasion de l’écrire dans vos colonnes , la dissolution manquée des Soulèvements de la Terre — voulue par Gérald Darmanin, annulée par le juge administratif — donne l’impression qu’il y a un climat favorable à un militantisme écologiste au sens large. Toutes les associations qui ont saisi le tribunal administratif de Toulouse ne sont pas radicales, par contre certains élus de gauche se sont félicités de la victoire de David contre Goliath : les grands intérêts privés contre les «petits écolos» inoffensifs qui sont parvenus à annuler un immense projet.

Quand on regarde en détail, on voit qu’il y a une quinzaine d’associations qui sont parties prenantes à la procédure. Elles sont habituées à solliciter des annulations devant le juge administratif, en faisant des recours, à Toulouse ou ailleurs. Il y a donc une habitude procédurale, il n’y a pas l’oie blanche d’un côté et l’industriel façon L’Aile ou la Cuisse de l’autre. Parmi ces associations, il y a notamment l’aile locale d’Attac et une association qui, par-delà les grilles de lecture écologiques, est radicale, prenant des positions pro-palestiniennes sur la question de Gaza, alors que son objet officiel est la défense de l’environnement.

Le climat en question, c’est une multiplication des recours devant le juge administratif, quel que soit le sujet, avec une habitude de ces contentieux. D’autre part, il y a un sentiment (à mon avis faux) selon lequel des écolos à patte blanche s’opposeraient aux industriels ; or c’est négliger que ces associations ont une habitude procédurale. Et puis, ces associations, bien que créées pour défendre l’environnement, dépassent les seules questions écologiques — on le voit notamment avec les Soulèvements de la Terre, qui sont une nébuleuse bien plus vaste qu’on ne le dit.

Il y a une volonté des militants de faire tomber le système. Le tribunal administratif, en donnant raison à certaines associations écologistes, ne se rend pas compte qu’il satisfait les amateurs d’une cause alternative qui va plus loin que la seule protection des petits oiseaux et des fleurs.

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