Ruineuse remise à flot dun marchand de flotte
Par Jean-François Julliard
jeudi 31 juillet 2008
Pour éviter au numéro trois de leau dêtre avalé par "létranger", lEtat a vraiment dépensé un max...
La Caisse des dépôts a-t-elle gaspillé de largent public par dizaines de millions en arrachant un marchand deau français des griffes de létranger ? Cest laccusation que portent plusieurs industriels de lenvironnement depuis la prise de contrôle de la Saur par le petit groupe Séché, avec laide de la Caisse. Une bien belle histoire qui pourrait sintituler : « Comment le petit poisson a gobé la baleine ».
En 2001, Séché est encore une PME, spécialisée dans les déchets. Son savoir-faire attire lattention de lEtat, qui lui vend une entreprise de traitement de produits toxiques. Aussitôt imité par la Caisse des dépôts, qui lui cède son « pôle environnement ». Subitement, lentreprise quadruple de volume.
Mais elle ne change vraiment de dimension quen mars 2007, lorsque la Saur, numéro trois de leau en France, est mise en vente. Naguère filiale du groupe Bouygues, la Saur est la propriété du fonds dinvestissement PAI, contrôlé par Paribas, qui la acquise, deux ans plus tôt, pour 1 milliard deuros. Elle représente 5,5 millions de clients (souvent ruraux) et 14 000 emplois. Cest une banque australienne, Macquarie, qui se propose de la racheter 2,3 milliards. Cette banque ne regarde pas à la dépense : elle vient dallonger 8 milliards pour soffrir le groupe anglais Thames Water.
Cash à leau
Un étranger dans leau française, ce serait une première depuis les débuts de la distribution privée, voilà cent cinquante ans. Et le marché des autres « métiers de lenvironnement » est tout aussi verrouillé. Alertés par des élus locaux, vieux complices des groupes tricolores et inquiets de confier leurs déchets, égouts et eaux à des étrangers, lAssociation des maires de France, le Sénat et lElysée décrètent le « no pasaran ».
Bras financier de lEtat, la Caisse des dépôts monte illico un tour de table avec Séché, puis lassureur Axa propose à son tour 2,3 milliards et rafle la mise. Sur cette somme, PAl ne touchera « que » 1,7 milliard car la Saur est lourdement endettée. Le fonds dinvestissement réalise quand même une jolie plus-value de 700 millions en deux ans. Le liquide, il ny a que ça de vrai.
De leur côté, industriels et banquiers - y compris au sein de la Caisse des dépôts - le constatent : le groupe aquatique, dopé par les enchères venues dAustralie, a été largement surpayé. Et en bonne partie aux frais du contribuable.
Le petit Séché se retrouve donc actionnaire à 33 % (la Caisse contrôle 47 % et Axa 20 %) dun groupe quatre fois plus gros que lui. Mais le conte de fées nest pas terminé. A la fin de mai dernier, la Caisse des dépôts propose une « option de vente » à Séché pour quil puisse atteindre 51 % dans le capital de la Saur. Ordinairement, lachat dun paquet dactions permettant dacquérir, comme ici, la majorité absolue dune boîte se paie très au-dessus de la valeur théorique de cette participation. Rien de tel dans le cas présent. En revanche, cette prise de contrôle saccompagne dune augmentation de lendettement, déjà colossal, de Séché.
La Saur nous essore
Pourquoi lEtat a-t-il ainsi comblé de bienfaits cette modeste entreprise, hier encore simple exploitante de décharges en Mayenne ? Dabord, on la vu, pour fermer nos frontières aux agresseurs. Ensuite, parce que le marché de lenvironnement entre dans une zone de turbulences. Primo, Suez, numéro deux du secteur, fusionnera bientôt avec Gaz de France. Et sa filiale Suez Environnement court le risque dêtre vendue. Secundo, de grands contrats (paris, Ile-de-France, Lyon, Bordeaux, Marseille) vont, dans les prochaines années, être rediscutés. La remise à flot de la Saur pourrait donc garantir une vraie concurrence.
Beaucoup en doutent. Et prédisent à Veolia, numéro un français (et mondial) des « services à lenvironnement ", et à Henri Proglio, son pédégé, un avenir serein. « Une Saur très endettée ou un Suez affaibli nont, a priori, pas les moyens de piquer à Veolia beaucoup de contrats en France. Encore moins à létranger », souligne le dirigeant dune filiale concurrente.
Dautres vont plus loin, qualifiant le nouveau marchand deau de faux nez de Veolia. Leur argument : la défection inattendue de deux proches collaborateurs de Proglio, Olivier Brousse et Eric de Ficquielmont, recrutés par Saur-Séché. Mais surtout : le premier actionnaire (à 10 %) de Veolia nest autre que... la Caisse des dépots. Comme si les petits conflits dintérêts, si chers au capitalisme français, étaient la preuve de grands complots...
Source : La canard enchaîné