
L'immeuble Le Signal à Soulac-sur-Mer (Gironde), qui était menacé par l'avancée de la mer, a été évacué en janvier 2014, avant d'être détruit en février 2023. ( AFP / THIBAUD MORITZ )
"Les atouts offerts par la mer sont tellement grands qu'il y a des gens qui trouveront toujours un intérêt à faire l'acquisition de ces biens, quel que soit le degré d'exposition aux risques côtiers", assure Eugénie Cazaux, géographe à l'Université de Bretagne occidentale (UBO).
Malgré l'érosion côtière et la crise climatique, l'attrait pour le littoral reste plus fort que le risque de submersion, même pour des biens immobiliers menacés à court terme, selon Eugénie Cazaux, géographe à l'Université de Bretagne occidentale (UBO). Elle a commencé à s'intéresser au sujet en 2015-2016, lors d'une mission au Bureau des risques inondation et littoraux au ministère de l'Écologie.
La problématique de l'érosion côtière prend alors un caractère imminent avec le cas de l'immeuble Le Signal à Soulac-sur-Mer (Gironde), menacé par l'avancée de la mer. "J'avais appris que des gens avaient continué à acheter au prix du marché dans cette résidence jusqu'en 2011-2012", raconte-t-elle à l'AFP. L'immeuble sera évacué quelques années plus tard, en janvier 2014, par arrêté de péril imminent, avant d'être détruit en février 2023.
"Les atouts offerts par la mer sont tellement grands qu'il y a des gens qui trouveront toujours un intérêt à faire l'acquisition de ces biens, quel que soit le degré d'exposition aux risques côtiers", assure Eugénie Cazaux. Pour vérifier cette intuition, la géographe a exploité la base de données nationales des transactions foncières immobilières entre 2010 et 2016, dans le cadre de sa thèse, soutenue en octobre 2022. Elle a ensuite comparé ces données aux cartes de risques d'érosion et de submersion marine, avant de compléter ses recherches par des entretiens avec des agents immobiliers, élus et responsables de collectivités locales.
"Un travail sans précédent à l'échelle nationale", salue Didier Vye, maître de conférences en géographie à l'Université de La Rochelle. La chercheuse a ainsi découvert toute une série de "profils d'acquéreurs" prêts à acheter "des biens immobiliers menacés à très court terme par l'érosion". Cela va des investisseurs qui font de la location saisonnière et "savent qu'ils vont rentabiliser le coût d'acquisition de leur bien sur des temps très courts", en passant par les retraités soucieux de réaliser leur rêve d'une vie en bord de mer, sans oublier les acheteurs plus aisés "qui fonctionnent à l'achat coup de cœur", décrit-elle.
Même après Xynthia en 2010, "les prix n'ont jamais baissé"
"Aujourd'hui, il y a un très fort décalage entre l'offre et la demande sur le littoral. Si un acheteur se rétracte, il y en a dix derrière prêts à acheter au prix", raconte-t-elle en décrivant le "biais d'optimisme" d'acheteurs qui "mettent à distance le risque".
Agent immobilier à La Trinité-sur-Mer (Morbihan), Hervé Pinson (Côtes West Immobilier) ne dit pas autre chose : "Aujourd'hui, le problème, c'est pas de vendre, c'est de trouver le produit." "On a une bonne partie de la clientèle qui achète en connaissance de cause. Ils disent : ça sera inondé dans 30 ou 40 ans, on s'en fiche, on prend quand même", observe-t-il à l'AFP, en parlant d'"achat plaisir" pour des maisons dont le prix peut atteindre 3 millions d'euros.
Même après le passage de Xynthia en février 2010 (53 morts), Eugénie Cazaux n'a pas réussi à trouver d'influence de la tempête sur les prix de l'immobilier dans les zones touchées de Charente-Maritime. "Les prix n'ont jamais baissé", dit-elle. "Le désir de rivage reste plus fort." Certains quartiers frappés par la tempête ont même gagné en attractivité depuis la catastrophe, grâce aux travaux de reconstruction.
La persistance de prix immobiliers élevés dans des zones menacées à terme par le réchauffement climatique pose la question des éventuelles indemnisations futures. En cas de submersion marine, le régime "Catastrophe naturelle", payé par chaque Français sur son assurance habitation, prend en charge les réparations. Dans d'autres cas, des fonds publics peuvent être engagés. Ainsi, les copropriétaires du Signal ont été indemnisés par l’État à hauteur de 70% de la valeur de leur logement, pourtant devenue négative.
"On a créé une forme de précédent", pointe la chercheuse, qui estime que cela peut empêcher l'émergence d'une "culture de la responsabilité" chez les résidents du littoral.
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