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«Face à l’administration Trump, l’Allemagne engage une révolution copernicienne de sa doctrine militaire»
information fournie par Le Figaro 07/03/2025 à 16:55

Prenant acte du désengagement américain, le futur chancelier allemand Friedrich Merz promet un plan d’investissement militaire sans précédent depuis 1945, analyse le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la

Le général Jérôme Pellistrandi est docteur en histoire et rédacteur en chef de la Revue Défense Nationale (RDN).

LE FIGARO. - Friedrich Merz a annoncé mardi 4 mars la création d’un fonds spécial de 500 milliards d’euros sur dix ans pour muscler la défense nationale. Les dépenses supérieures à 1% du PIB seraient exemptées du frein à la dette, cette disposition qui limite traditionnellement le montant des dettes contractées par le pays. Ce plan est-il historique, de la part d’un homme qui se pose habituellement en chantre de la discipline budgétaire ?

Jérôme PELLISTRANDI. - Oui, il est historique en ce qu’il oblige les Allemands à un changement de mentalité extrêmement brutal. Pendant longtemps, jusqu’à la chute du mur, la Bundeswehr (l’armée allemande, ndlr) avait été une réussite et une fierté pour la République fédérale d’Allemagne, parce qu’elle symbolisait à la fois la démocratie et la reconstruction allemandes. Force est de souligner que, sous le long règne d’ Angela Merkel (2005-2021), la défense ne fut absolument pas une priorité pour ce pays. Ses dirigeants ont fait confiance aux Américains mais également à la Russie. Le gaz russe abondait le bouquet énergétique d’outre-Rhin. Mis à part quelques opérations extérieures très calibrées, en sorte que les soldats ne soient surtout pas mis en danger, l’armée était peu utilisée. On avait, en quelque sorte, une fonction publique en uniforme, une armée de non-emploi. Paradoxalement, si le politique a négligé la Bundeswehr, l’industrie de défense, elle, a été largement protégée par le gouvernement. Aujourd’hui, on assiste à une rupture historique. L’ADN défensif allemand s’est effondré en quelques jours sous les coups de la nouvelle administration Trump. Doctrine militaire, doctrine budgétaire, c’est un changement de modèle copernicien.

Cette promesse d’endettement est-elle une manière de compenser les sous-investissements de l’ère Merkel, qui a duré quinze ans ?

Effectivement, il y a urgence. N’oublions pas que Friedrich Merz vient de Rhénanie, une région issue de la RFA dont la sécurité a été assurée par les Américains et l’Otan. Angela Merkel, quant à elle, venait de l’Est, elle n’avait donc pas exactement la même relation aux États-Unis. Reste à voir comment ces annonces se concrétisent désormais à l’aune de la future coalition en cours de formation. On peut certes considérer que Berlin se réveille tard, mais il n’est jamais trop tard. Il faut toutefois dire que ce phénomène est engagé depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022. Olaf Scholz a quand même initié le mouvement. En 2022, il a fait adopter une dotation de 100 milliards pour moderniser les équipements. En outre, des échéances majeures rappelleront les Européens, dans les prochains mois, à l’impératif de mettre le paquet sur leur sécurité : 80 ans du 8 mai 1945, sommet de l’Otan en juin…

Le ministre de la défense Boris Pistorius s’est réjoui que l’Allemagne assure un «rôle moteur» pour l’Otan et l’Europe. Une nouvelle page se tourne-t-elle pour l’Allemagne en Europe, en matière de défense ?

À la chute du mur, l’Allemagne a pris un grand retard à cause du volet de la reconstruction. À la réunification, il a fallu investir des sommes colossales pour remettre à niveau les infrastructures de la partie Est. À cela il faut ajouter le parapluie américain, qui garantissait un certain confort à nos voisins d’outre-Rhin. L’Allemagne a toujours été très présente au sein de l’Otan , dans la mesure où elle a toujours eu l’atlantisme dans le sang. En tout état de cause, elle devra faire évoluer son modèle et sa doctrine. Dans l’axe franco-allemand, la France reste motrice en tant que puissance nucléaire. La France est la locomotive, même si l’Allemagne joue un rôle essentiel, rien qu’en termes de démographie et parce qu’elle est la première puissance économique. L’effet d’entraînement qu’elle exerce sur d’autres pays européens est considérable.

Ceci dit, pour les Allemands, il me semble que la vraie difficulté ne sera pas tant le financement que les ressources humaines, le recrutement. On ne recrute pas en un claquement de doigts. Dans tous les cas, cela prendra du temps ; on peut monter rapidement en puissance sur certains équipements, mais pour d’autres, comme les frégates par exemple, c’est plus laborieux.

Friedrich Merz se dit favorable à une défense européenne autonome. Est-ce souhaitable ? Cela ne reviendrait-il pas à nier la souveraineté des États membres ?

Ni le futur chancelier, ni le président français ne prônent une remise en cause de la souveraineté des Etats. Lorsqu’ils parlent de défense européenne, il n’est pas question dans leur esprit d’imaginer des bataillons mélangeant des Français, des Belges, des Polonais et des Italiens. Simplement, comme dans le cadre de l’Otan il s’agirait de la mise en commun d’un certain nombre de moyens matériels et d’organiser le commandement. Le reste demeurerait sous contrôle national. Ce n’est pas Bruxelles qui déciderait d’envoyer des troupes je ne sais où, selon son gré. La Commission européenne est, et doit être, facilitatrice sur le plan économique. En ce sens, le plan à 800 milliards annoncé récemment par Ursula von der Leyen pour «réarmer l’Europe» vise à assouplir les règles budgétaires en excluant du calcul de la dette les dépenses militaires.

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