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ENQUETE-En Ukraine, les jeunes engagés brisés par la guerre
information fournie par Reuters 01/12/2025 à 12:51

par Anastasiia Malenko

Lorsqu'il s'est engagé dans l'armée ukrainienne en mars dernier, Pavlo Brochkov était motivé à l'idée de défendre son pays contre l'agression russe et de toucher une prime exceptionnelle pour acheter une maison pour sa femme et son bébé.

Trois mois plus tard, le jeune homme de 20 ans gisait grièvement blessé sur le champ de bataille.

"J'ai cru que c'était la fin", a-t-il déclaré à Reuters dans l'appartement d'Odessa où il poursuit sa convalescence. "Je n'avais pas peur de la mort. J'avais peur de ne plus revoir ma femme et ma fille."

Pavlo Brochkov fait partie des centaines de jeunes de 18 à 24 ans qui se sont portés volontaires pour combattre sur le front cette année, attirés par la solde et autres avantages promis dans le cadre d'une campagne de recrutement visant à donner un nouveau souffle aux forces armées ukrainiennes, vieillissantes et épuisées par presque quatre ans de guerre.

L'Ukraine cède progressivement du terrain face aux assauts incessants des troupes russes dans l'est du pays, au prix de combats d'une brutalité dont l'Europe n'avait plus été témoin depuis les deux guerres mondiales.

L'un des principaux facteurs mis en avant par les officiers comme les soldats ukrainiens pour expliquer leur lent recul est le manque d'effectifs, malgré la mobilisation d'un million d'hommes pour défendre la longue ligne de front dans l'est du pays, un poison pour Kyiv à l'heure de négocier avec les États-Unis un éventuel accord de paix avec la Russie.

Reuters a retracé le parcours de Pavlo Brochkov et de dix autres jeunes soldats ukrainiens qui ont reçu un entraînement accéléré au printemps avant d'être déployés sur le front.

Aucun des onze soldats n'est encore au combat. Quatre ont été blessés, trois sont portés disparus, deux ont déserté, un est tombé malade et le dernier s'est suicidé, selon des entretiens avec des soldats, leurs proches et des documents officiels.

LA MORT FRÔLÉE DE PRÈS

Reuters n'a pu contacter les autres recrues et n'a pu déterminer si ces onze cas sont un reflet fidèle du niveau d'attrition dans ce conflit qui a fait des centaines de milliers de morts et de blessés dans les deux camps.

L'armée ukrainienne et la 28e brigade mécanisée dans laquelle les jeunes recrues avaient été affectées n'ont pas répondu aux sollicitations de Reuters pour cet article.

Pavlo Brochkov a lui-même regardé la mort en face.

Alors qu'il gisait sur le champ de bataille dans la région de Donetsk en juin, blessé aux deux jambes, il raconte s'être préparé au pire lorsqu'un drone russe transportant des grenades l'a survolé. Par chance, le drone a été abattu avant de pouvoir larguer sa charge.

Le meilleur ami de Pavlo Brochkov, Yevhen Youchtchenko, a peut-être eu moins de chance.

Le soldat de 25 ans est porté disparu depuis qu'il est retourné au combat à la mi-juillet. Sa soeur Alina cherche à avoir de ses nouvelles, comme des milliers d'autres familles dont les proches sont portés disparus.

"On me dit qu'il est mort ou qu'il a été fait prisonnier", confie la jeune femme, qui a participé à un rassemblement dans le centre de Kyiv fin octobre pour attirer l'attention sur les militaires disparus. "Je refuserai jusqu'au bout de croire qu'il est mort", dit-elle.

"Parfois, je me dis qu'il aurait peut-être mieux valu que j'y reste avec lui", soupire Pavlo Brochkov, qui travaillait comme vendeur dans un magasin avant de s'engager. "Se battre et tomber ensemble."

CHANGEMENT DE POLITIQUE DE RECRUTEMENT

Youri Bobrychev, qui s'est engagé après avoir fui l'occupation russe à Volnovakha, dans la région de Donetsk, où son frère a été tué, ne se bat plus non plus.

Le jeune homme de 18 ans a déclaré à Reuters par téléphone, depuis un pays tenu secret où il a fui, qu'il pourrait envisager de réintégrer l'armée ukrainienne, mais dans une autre brigade, sa désertion étant selon lui due à une brouille avec ses commandants.

"J'ai regretté d'avoir signé le contrat. Je m'étais engagé pour la prime. Mais cela s'est retourné contre moi."

La campagne de recrutement de jeunes, lancée en février, traduit les difficultés dont souffre l'armée ukrainienne, qui doit compenser un déficit en nombre et en armement depuis le début du conflit

L'âge moyen des militaires ukrainiens est de 47 ans, selon un diplomate au fait du dossier.

Pour rajeunir les effectifs et permettre aux soldats engagés sur le front de souffler un peu, le gouvernement ukrainien a offert une solde pouvant atteindre 2.500 euros, une prime d'un peu plus de 20.000 euros et un prêt hypothécaire à taux zéro. Une rupture par rapport à la politique de mobilisation forcée mise en place après le début de l'invasion russe à grande échelle en février 2022.

À l'origine, tous les hommes âgés de plus de 27 ans devaient s'engager dans l'armée, les autorités cherchant à épargner la jeune génération d'Ukrainiens. Ce seuil a été abaissé à 25 ans l'année dernière.

"Les forces armées ukrainiennes sont confrontées à un grave problème d'effectif", souligne Oleksi Melnyk, responsable des questions de sécurité internationale au sein du centre de réflexion ukrainien Razoumkov.

ODEUR DE POUDRE ET DE CADAVRES

Après s'être engagé, Pavlo Brochkov s'est rapidement lié d'amitié avec Yevhen Youchtchenko, ainsi qu'avec "Kouzma", un ancien employé de restaurant de 23 ans qui a demandé à n'être identifié que par son nom de guerre, comme c'est la coutume dans l'armée ukrainienne.

Les jeunes recrues ont subi un entraînement intensif pour se préparer au choc et à la violence du déploiement sur le front. Les ordres d'affectation ont commencé à tomber mi-juin.

Kouzma a été l'une des premières jeunes recrues à partir au combat et l'expérience a tourné court après une attaque de drone russe contre la position qu'il défendait.

Grièvement blessé à l'abdomen, il a été secouru par deux camarades qui ont réussi à le traîner à l'arrière. Des mois plus tard, il continue d'être hanté par "l'odeur de la poudre et des cadavres" qui flotte sur la ligne de front.

Pavlo Brochkov et Kouzma se sont retrouvés à l'hôpital d'Odessa. Le premier se déplaçait en fauteuil roulant, tandis que le second a été recousu de l'abdomen au menton. "Deux invalides de la génération 18-24 ans", dit Pavlo Brochkov, trouvant encore la force de sourire.

Le jeune homme est resté en contact avec d'autres soldats recrutés en même temps que lui, dont l'un a aussi été blessé.

Deux des recrues ont dit qu'un membre de leur groupe s'était suicidé. Les autorités ukrainiennes ne l'ont pas confirmé, mais Reuters a pu examiner un document officiel stipulant qu'une personne portant le même nom s'était donné la mort.

La convalescence de Pavlo Brochkov est pénible, entre douleurs aux jambes et cauchemars. Malgré cela, le jeune homme dit ne pas regretter de s'être engagé.

"Je n'ai pas vraiment connu la vie, mais je suis allé me battre. J'ai fait ce que tout citoyen ukrainien responsable devrait faire", assure-t-il. "Si on me demandait de le refaire, je le referais."

(Reportage d'Anastasiia Malenko, rédigé par Mike Collett-White et Pravin Char ; version française Tangi Salaün, édité par Sophie Louet)

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