Inertie du réseau, stockage des surplus de production, infrastructures... L'électrification et l'arrivée massive des énergies renouvelables posent de nombreux défis.

( AFP / LOIC VENANCE )
Si la panne gigantesque qui a frappé la péninsule ibérique la semaine dernière n'a pas encore livré tous ses secrets, le soupçons se concentrent pour le moment sur les énergies renouvelables. Elles sont d'ailleurs régulièrement accusées par leurs détracteurs de fragiliser le système. Une chose est sûre, leur essor représente un défi pour le réseau électrique, qui doit évoluer pour s'y adapter.
Les opérateurs des réseaux veillent à l'équilibre, à tout instant, entre l'offre et la demande électrique. L'indicateur de cet équilibre est la fréquence électrique, calibrée à 50 Hz en Europe, 60 aux États-Unis. Un écart trop important par rapport à ce standard peut mettre en danger le réseau.
• L'instabilité, pas une fatalité
Historiquement, le système électrique repose sur des centrales "conventionnelles" (à gaz, charbon, nucléaire et hydraulique) : des turbines couplées à des "machines tournantes" transformant l'énergie mécanique en électricité . Ces machines sont les clés de voute de la stabilité du système électrique.
Avec leur gigantesques rotors tournoyant à grande vitesse, ces machines fournissent de l'inertie au système électrique : si une centrale est en panne ou si la demande en électricité augmente trop vite, elles aident à stabiliser le réseau en libérant l'énergie du mouvement (ou cinétique) emmagasinée dans les rotors.
Mais avec l'essor des renouvelables solaire et éolien -qui utilisent de l'électronique pour convertir l'électricité sur le réseau et non des machines tournantes-, cette stabilisation devient plus difficile.
Produire de l'électricité sans énergies fossiles va "rendre les centrales hydroélectriques et nucléaires encore plus essentielles pour la stabilisation du système" grâce à leurs machines tournantes, relève Marc Petit, professeur en systèmes électriques à l'école CentraleSupélec.
À l'avenir, les énergies renouvelables devront, en plus de fournir de l'électricité décarbonée, "aider le système à l'aide de contrôles supplémentaires pour soutenir le réseau, notamment en matière d'inertie", souligne José Luis Domínguez-García, expert en systèmes électriques à l'Institut de recherche en énergie de Catalogne (IREC).
Des solutions techniques existent déjà pour compenser le manque d'inertie et ainsi soutenir la stabilité du réseau. En pleine transition du charbon, la Grande-Bretagne mise notamment sur les volants d'inertie ("flywheel" en anglais), un concept très ancien : ces systèmes utilisent les surplus d'énergies renouvelables pour faire tourner une grosse roue, qui crée de l'énergie cinétique . Et cette énergie stockée pourra si besoin être transformée en électricité sur le réseau.
• Un effort considérable à faire sur le stockage
Juste avant la panne du 28 avril, éolien et solaire couvraient 70% de l'électricité en Espagne . Mais ces énergies sont intermittentes et variables par nature : que se passe-t-il quand il y a ni vent, ni soleil ? Selon les pays, la sécurité d'approvisionnement est assurée par des centrales électriques thermiques (gaz ou charbon), des centrales nucléaires ou hydroélectriques. Ces moyens doivent se rendre disponibles en quelques minutes pour prendre le relais.
L'accélération des renouvelables exigera un effort considérable sur le stockage, grâce au pompage-turbinage dans les barrages hydroélectriques, la méthode la plus répandue, et, de plus en plus, avec les batteries stationnaires -de gros blocs semblables à des conteneurs maritimes- associées à des parcs éoliens ou des centrales solaires. Un domaine dans lequel la Chine domine en termes de capacités installées.
Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), pour tripler la capacité mondiale en énergies renouvelables d'ici 2030, tout en maintenant la sécurité d'approvisionnement, il faudra multiplier par six les capacités de stockage , les batteries représentant 90% de l'effort.
Par ailleurs, il faudra rendre la demande plus flexible, dans les bâtiments, les usines ou pour la recharge des voitures électriques. Par exemple, en déplaçant ses consommations au moment où le solaire bat son plein, en milieu de journée.
• Redimensionner le réseau
Les coupures géantes de ce type, dans le passé, ont "presque toujours" été provoquées par des problèmes de transmission, et non de production, souligne Mike Hogan, conseiller pour l'organisation Regulatory Assistance Project (RAP).
La rénovation de lignes électriques parfois centenaires, l'arrivée des énergies renouvelables et le raccordement de nouvelles consommations (centres de données, électrification des usines) nécessiteront des dizaines voire des centaines de milliards d'euros d'investissements pour créer de nouvelles lignes plus puissantes ou doubler des lignes existantes.
Autre chantier : renforcer les interconnexions entre les pays, des infrastructures essentielles qui ont contribué à réalimenter l'Espagne via la France lors de la panne. D'ici 2028, la capacité d'échange entre les deux pays devrait passer de 2,8 à 5 GW, réduisant l'isolement électrique de la péninsule.
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