par Devjyot Ghoshal, Poppy McPherson et Pasit Kongkunakornkul
La junte militaire au pouvoir en Birmanie a poursuivi sa campagne militaire meurtrière, comprenant des frappes aériennes et des attaques d'artillerie, malgré le cessez-le-feu annoncé après le puissant tremblement de terre qui tué des milliers de personnes fin mars, selon les Nations unies et les données d'une organisation d'analyse des conflits.
Le séisme survenu le 28 mars, la pire catastrophe naturelle qu'ait connue le pays depuis des décennies, a déclenché des efforts internationaux massifs pour aider des centaines de milliers de personnes déjà touchées par la guerre civile, ainsi que des appels internationaux répétés en faveur d'une cessation des hostilités.
Les militaires se sont emparés du pouvoir en Birmanie après un coup d'Etat contre le gouvernement élu de la lauréate du Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, en 2021, instaurant une répression brutale de l'opposition et entraînant le pays dans la guerre civile.
Quelques jours après le séisme, le 2 avril dernier, et à la suite de mesures similaires prises par des groupes d'opposition armés, l'armée birmane a annoncé un cessez-le-feu de 20 jours pour soutenir l'aide humanitaire. La trêve a été prolongée mardi jusqu'au 30 avril à l'issue de rares pourparlers de haut niveau menés par le Premier ministre malaisien.
Une analyse par Reuters des données fournies par le projet Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED) a cependant montré que la fréquence des frappes aériennes menées par la junte militaire a augmenté depuis l'annonce du cessez-le-feu par rapport aux six mois précédents.
Un porte-parole de la junte n'a pas répondu aux multiples appels de Reuters pour obtenir des commentaires.
Entre le 28 mars et le 24 avril, l'armée a lancé au moins 207 attaques, dont 140 frappes aériennes et 24 attaques d'artillerie, montrent les données du Bureau des droits de l'homme des Nations Unies, basées sur les rapports qu'il a reçus.
Plus de 172 attaques ont eu lieu depuis le cessez-le-feu, dont 73 dans des zones dévastées par le tremblement de terre.
"C'est comme si de rien n'était," a déclaré James Rodehaver, responsable du Bureau des Nations unies pour les droits de l'homme pour la Birmanie.
"Le cessez-le-feu aurait dû impliquer l'arrêt de toute activité militaire et la réaffectation de l'armée au soutien de la réponse humanitaire, ce qui n'a pas été le cas", a-t-il dit.
CIBLES CIVILES
Deux semaines après le début du cessez-le-feu, le 16 avril, lors des célébrations du Nouvel An birman, des avions de la junte ont survolé le village de South Kan Ma Yaik, dans l'État Karen, et ont largué des bombes qui ont tué une femme enceinte et son enfant à naître au nord du village, a dit à Reuters un témoin oculaire.
"La première bombe a explosé près de sa maison. Elle a ensuite préparé ses enfants à une deuxième bombe et des éclats d'obus ont touché son corps", a déclaré le témoin, qui a demandé à ne pas être nommé par crainte de représailles.
"Tous les enfants saignaient de partout", a-t-il dit.
Reuters n'a pas été en mesure de vérifier de manière indépendante les récits des témoins, mais les données de l'ACLED contiennent une entrée concernant une attaque de la junte sur ce village le 16 avril, qui a fait un mort.
Au cours des six mois précédant le 2 avril, jour de l'annonce de la trêve, la junte avait effectué en moyenne 7,6 frappes aériennes ou de drones par jour, tuant plus de cinq personnes par jour, y compris des civils, selon les données fournies par l'ACLED.
Entre le 2 et le 18 avril, c'est-à-dire après l'annonce du cessez-le-feu, les données montrent une moyenne de 9,7 frappes par jour et de plus de six personnes tuées par jour.
Les frappes aériennes de la junte militaire au cours de cette période ont fait 105 morts au total.
Les données montrent également que les groupes d'opposition, qui ne disposent pas d'une force aérienne conventionnelle et utilisent des drones, n'ont effectué que trois frappes aériennes pendant le cessez-le-feu, entre le 2 et le 18 avril.
L'armée de l'air de la junte comprend des avions de chasse et d'attaque au sol de fabrication chinoise et russe, des hélicoptères d'attaque russes et quelques drones lourds, selon un rapport de l'Institut international d'études stratégiques (IISS) publié en 2024.
Les attaques aériennes de la junte depuis le tremblement de terre ont eu lieu dans la région de Sagaing et dans l'État Shan, dans le nord du pays, où elle tente de reprendre des positions stratégiques, ainsi que dans les États Kachin et Rakhine, a déclaré Su Mon, analyste chez l'ACLED.
"L'armée continue de mener des frappes aériennes visant les populations civiles," a-t-elle ajouté.
Dans ses annonces de cessez-le-feu des 2 et 22 avril, la junte a déclaré qu'elle riposterait à une série d'actions des rebelles, notamment le recrutement et l'expansion territoriale.
James Rodehaver note que, dans quelques cas, les données indiquent que l'armée a été attaquée par des groupes armés avant de lancer une frappe aérienne.
"Chaque fois que vous êtes attaqués par des tirs d'armes légères, vous réagissez en lançant des frappes aériennes sur une zone et vous finissez par tuer une douzaine de personnes qui n'étaient pas du tout impliquées dans les combats. Est-ce là un cessez-le-feu ?", a-t-il dit.
(Reportage Devjyot Ghoshal, Poppy McPherson et Pasit Kongkunakornkul, avec la contribution de Zaw Naing Oo ; version française Diana Mandiá ; édité par Augustin Turpin)
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