Un rapport d'information sur l'artillerie de l'armée française a été présenté à l'Assemblée nationale. Il met notamment en lumière les carences capacitaires en matière de frappes dans la profondeur, dont l'importance est soulignée dans le conflit en Ukraine.

Un canon Caesar, en Ukraine, en 2022 ( AFP / ARIS MESSINIS )
"Il ne s'agit pas d'un petit sujet. Pour beaucoup l'artillerie est la reine des batailles. Sa remontée en puissance est nécessaire mais complexe". Les parlementaires Matthieu Bloch et Jean-Louis Thiériot ont présenté mercredi 30 avril un rapport dressant le portait de l'artillerie française, appelée à se renforcer notamment dans le domaine de la frappe en profondeur .
L'armée française doit ainsi "vite" se doter de systèmes d'artillerie à longue portée pour succéder aux lance-roquettes unitaires (LRU) en fin de vie en 2027 afin de pouvoir mener des opérations dans un conflit de haute intensité, affirment les députés dans ce rapport publié mercredi.
"Les appuis indirects de niveau division (jusqu'à 150 km, ndlr) et de niveau corps d'armée (300 km) doivent être renforcés de toute urgence", plaident les députés Jean-Louis Thiériot (LR) et Matthieu Bloch (UDR) à l'issue de leur mission d'information.
L'artillerie française, dont le format a drastiquement été réduit depuis une trentaine d'années, est dotée de mortiers et de canons Caesar, capables de tirer à 40 kilomètres. Elle dispose également de 9 lance-roquettes unitaires tirant à 80 kilomètres, quatre autres ayant été cédés à l'Ukraine.
Le conflit entre la Russie et l'Ukraine a montré le rôle primordial de l'artillerie, notamment pour frapper loin de la ligne de front les postes de commandement ou dépôts ennemis, d'autant qu'aucun des belligérants n'a la maîtrise du ciel. "Quand on était dans un combat asymétrique (Afghanistan, Mali, ndlr), le Caesar suffisait et au pire on avait l'armée de l'Air qui pouvait opérer. Aujourd'hui, la donne a totalement changé", a expliqué Jean-Louis Thiériot lors d'une conférence de presse.
Faute de pièces de rechange, les LRU seront bientôt inutilisables. "On doit être capable, avec des bouts de ficelle, de pousser un peu au-delà de 2027, mais pas beaucoup plus", selon lui. Deux consortiums (Safran-MBDA, Thales-Arianegroup) développent des projets de systèmes de 150 km de portée pour les remplacer. Mais les premiers tirs de démonstration n'auront lieu qu'en 2026, si bien qu'"on n'aura rien à mettre sur le terrain avant 2030".
Une solution souveraine à l'étude chez Turgis & Gaillard, les systèmes étrangers à la rescousse?
Une petite entreprise, Turgis Gaillard, propose de son côté son programme baptisé Foudre capable de tirer tout type de munitions. Un projet alléchant "sur le papier, maintenant il faut voir à quoi cela ressemble", selon Matthieu Bloch. "Si on n'arrive pas à le faire vite à un coût accessible, on serait obligé d'aller sur une solution non-souveraine", d'achat à l'étranger, prévient M. Thiériot.
Une solution privilégiée par les pays européens: l a Pologne et le Royaume-Uni ont acheté des systèmes américains Himars, qui se sont illustrés en Ukraine, l'Allemagne, l'Espagne et les Pays-Bas des lance-roquettes israéliens Puls. La Pologne a également acquis 288 lance-roquettes K239 coréens. Un futur lance-roquettes français arriverait donc trop tard sur le marché pour avoir des perspectives de succès à l'exportation. La loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit la livraison de 13 exemplaires du futur système en 2030, 26 au total en 2035, un chiffre qu'il faudrait doubler selon les députés.
Le "Caesar" fait ses preuves sur le front
A plus courte portée, le rapport parlementaire pointe le succès du canon automoteur Caesar de KNDS, plébiscité par les artilleurs ukrainiens. Le Caesar, livré en une soixantaine d'exemplaires en Ukraine et décrit comme "un des canons les moins détruits sur le front" par un responsable de l'entreprise, peut tirer six obus en moins d'une minute, à 40km avec "une précision de l'ordre d'un demi-terrain de football". Auditionné dans le cadre de la mission d'information, le général de brigade Eric Lendroit a ainsi relayé de nombreuses qualités du canon français, dont sa grande manoeuvrabilité, précision, ainsi qu'une faible empreinte au sol, limitant la détection radar.
Le conflit de haute intensité sur le théâtre ukrainien met toutefois en lumière un nouvel élément stratégique autour des Caesar, relatif à l'usure des tubes."L'usure accélérée des canons en Ukraine, favorisée par les cadences de tirs extrêmes et l’usage systématique des portées maximales, nécessite de disposer en national d’une capacité industrielle rapide de régénération des tubes" , pointe ainsi le rapport.
Le sujet de l'interopérabilité
Quant aux munitions employées, le rapport indique que des canons Caesar ont tiré avec succès des obus allemands Rheinmetall, ainsi que des munitions intelligentes américains Excalibur, produites par Raytheon. Si cette compatibilité avec d'autres producteurs constatée sur le champ de bataille amène un avantage sur le court terme, elle pose le sujet de l'absence d'uniformité des munitions au sein des forces de l'Otan.
Ainsi, en dépit d'un protocole d'accord balistique interarmées (JBMoU) signé en 2009, "aucune réelle standardisation n'existe", a constaté l'industriel Eurenco, également auditionné par les députés. Jean-Louis Thiériot et Matthieu Bloch plaident ainsi pour "une standardisation effective des charges modulaires mais aussi des obus et systèmes", à l'heure où les manoeuvres se multiplient pour relancer une Europe de la défense à l'écosystème complexe.
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