"Nous avons l'intention de renforcer notre coopération tous azimuts avec les pays africains", a récemment déclaré le Kremlin.

Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg, en Russie, le 18 juin 2025. ( POOL / ALEXEY DANICHEV )
Entre prédation sur les ressources naturelles et projection de puissance, la Russie affiche désormais ouvertement ses ambitions en Afrique. Moscou s'appuie sur Africa Corps le groupe paramilitaire russe censé remplacer Wagner et qui vient de lui succéder au Mali
Début juin, le groupe Wagner de feu Evguéni Prigojine a annoncé son départ du Mali au profit de l'Africa Corps . Après des années de silence et de faux-semblants, Moscou a revendiqué ses ambitions. "Nous avons l'intention de renforcer notre coopération tous azimuts avec les pays africains" , a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, évoquant notamment "des domaines sensibles liés à la défense et la sécurité".
Les médias russes eux-mêmes confirment leur présence au Burkina Faso, en Libye, en Centrafrique et au Niger. La Rand corporation, un institut américain de sécurité, y ajoute le Soudan. Le Mozambique figurait aussi un temps sur la liste. Mais Wagner, appelé pour lutter contre les jihadistes du groupe État islamique (EI), y a essuyé de lourdes pertes et un échec opérationnel flagrant.
Entre les deux organisations de mercenaires, la différence est affaire d'allégeance. Evguéni Prigojine, homme d'affaires sulfureux et ultra-violent, s'était progressivement affranchi du Kremlin jusqu'à défier ouvertement le président Vladimir Poutine. Avant de disparaître dans un étrange accident d'avion en août 2023. Son groupe a ensuite fait l'objet d'un fin mélange de dissolution et de remise au pas. L'Africa Corps est désormais sous tutelle du ministère de la Défense russe.
Reprise en main de Wagner
"Le Kremlin a déployé beaucoup d'efforts pour déconstruire le commandement de Wagner , réaffirmer le contrôle vertical et absorber ses structures", remarque le chercheur indépendant Nicholas Chkaidze, basé à Tbilissi. "L'utilisation du déni plausible", longtemps privilégié à Moscou pour se laver les mains des exactions des ses mercenaires, "est maintenant remplacée par une visibilité assumée", ajoute-t-il à l' AFP .
Christopher Faulkner, de l'École de guerre navale américaine, voit pour sa part dans cette transition une "étape à la fois symbolique et pragmatique".
"Cela pousse la marque Wagner hors du Mali et la concentre en République centrafricaine", où elle reste aux affaires, jouissant d'une empreinte très forte. Et "cela renforce leur contrôle sur l'Africa Corps", ajoute-t-il, soupçonnant la Russie "de conserver une certaine ambiguïté même si, fonctionnellement, (leurs mercenaires) restent sous stricte surveillance".
La junte malienne a décidé, après les deux coups d'État de 2020 et 2021, de rompre son alliance avec l'ex-puissance coloniale française pour se tourner vers la Russie, présentant les mercenaires de Wagner comme des instructeurs. Ces derniers sont en réalité censés aider l'armée à lutter contre les groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda et à l'EI, dont les attaques ont fait des milliers de morts dans la région depuis plus de dix ans et connaissent actuellement une inquiétante recrudescence.
Mais mise à part la prise de Kidal (nord) aux mains des groupes armés séparatistes, les Russes n'ont guère amélioré la situation, et ont pillé les ressources minières locales.
Des "tactiques brutales structurelles"
Et pour les Maliens, la distinction entre les deux sociétés paramilitaires russes est des plus artificielles. "Dans la perception des populations, il ne s'agit que d'un changement d'appellation sans évolution positive", estime Bakary Sambe, directeur du think tank Timbuktu Institute, à Dakar. "Ce retrait de Wagner, dans un contexte sécuritaire catastrophique , est la preuve de l'inefficacité de la sous-traitance de la sécurité par les régimes" de la région.
En outre, les méthodes brutales de Wagner sont régulièrement dénoncées par des ONG de défense des droits humains et les Nations unies. Une enquête du collectif Forbidden Stories publiée jeudi dernier a révélé le kidnapping, la détention et la torture de "centaines de civils sur d'anciennes bases de l'ONU et dans des camps militaires partagés avec l'armée malienne".
Et de ce point de vue, nul n'espère de réel changement. "Les tactiques brutales de contre-insurrection, telles que les massacres et les punitions collectives, sont structurelles", assure Nicholas Chkaize.
Selon la Rand Corporation, la majorité des effectifs de l'Africa Corps viennent de Wagner, dont des hommes revenus du front ukrainien et une forte proportion de criminels recrutés dans les prisons russes.
Pour Beverly Ochieng, analyste à Dakar du think tank du CSIS (Center for Strategic and International Studies) de Washington, aucune communication officielle n'a précisé si "le gouvernement malien paierait pour ces services ou s'ils font partie d'un accord bilatéral de sécurité". Mais "s'il y a des paiements contractuels, ils iront directement au ministère russe de la Défense", affirme-t-elle.
La Russie, conclut l'experte, "continuera d'envoyer des cargaisons d'équipements et d'armes, et de voir le Sahel comme une zone où déployer sa présence stratégique pour contrecarrer l'influence occidentale".
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