Courbée en deux, pagne en wax ceint à la taille et voile blanc couvrant sa tête, Adija Rahman trie au sol des noix brunes qu'elle a ramassées il y a quelques semaines à l'ombre des grands karités qui s'élèvent aux alentours de Saki, une petite ville de l'Etat d'Oyo, dans l'ouest nigérian.
Mais cette année, cette mère de six enfants qui tire ses uniques revenus de la vente des noix de "l'arbre à beurre", est plongée dans l'angoisse.
Fin août, les autorités nigérianes ont annoncé "l'interdiction des exportations de noix de karité pendant six mois".
Cette mesure "à effet immédiat" a pris de court l'ensemble de la filière du pays le plus peuplé du continent, qui est aussi le plus grand producteur de noix de karité du monde puisqu'il contribue à environ 40% de la production mondiale avec ses quelque 350.000 tonnes annuelles.
Malgré cette abondance, le Nigeria ne transforme presque pas ses noix en beurre de karité, utilisé dans de nombreux produits cosmétiques, et exporte quasiment toute sa production, de sorte que le pays ne représente que 1% de la part de marché des produits à base de karité dans le monde, qui représente au total 6,5 milliards de dollars.
En interdisant l'exportation des noix, Abuja entend développer une filière de transformation locale qui lui permettra d'exporter du beurre de karité plutôt que les noix brutes, et donc de créer des emplois et une filière à valeur ajoutée qui "génèrera 300 millions de dollars par an à court terme", selon le vice-président Kashim Shettima.
La quatrième économie d'Afrique a ainsi emboîté le pas à d'autres pays ouest-africains comme le Burkina Faso, le Mali, la Côte d'Ivoire, le Togo et le Ghana qui ont prohibé l'exportation des noix de karité pendant l'année écoulée.
- Chute des prix -
La conséquence immédiate de cette interdiction a été une chute des prix des noix de plus de 30%.
"Avant je vendais 25 kilos de noix pour 35.000 nairas, maintenant je n'en tire plus que 15.000", déplore Mme Rahman, 45 ans, qui gagnait avant entre 200.000 et 250.000 nairas annuels.
La mère de famille affirme s'être endettée et ne plus pouvoir "remplir ses obligations parentales" comme les frais de scolarité de ses enfants.
Les milliers de femmes nigérianes qui récoltent les noix de karité -leur nombre est inconnu- tout comme les revendeurs locaux, sont encore sous le choc de l'annonce gouvernementale, une "pure méchanceté", condamne Risikat Ismail, un vendeur de 60 ans résidant à Saki qui estime qu'il aurait fallu lui laisser "au moins deux mois pour vendre [son] stock".
Dès l'annonce gouvernementale, les commandes ont cessé et nombreux sont ceux dont "les camions sont revenus avec la marchandise", explique Abd-Kabir Adedeji, un vendeur de 32 ans.
Les récoltantes de noix "ne pourront pas vendre autant qu'avant car la demande locale est très faible", estime Babatunde Olarewaju, agronome et expert agricole.
Au Nigeria, le beurre de karité est utilisé par tout le monde mais fabriqué par les femmes de manière artisanale, dans de grandes marmites en fer, et ne peut prétendre à l'export faute de répondre aux normes internationales.
De plus, les vendeurs "ne pourront pas honorer les contrats qu'ils ont déjà signés" avec des exportateurs et qui ont été négociés au moment de la récolte, entre mai et juillet, craint-il.
Selon Babatunde Olarewaju, ce sont les grosses entreprises de transformation du karité déjà implantées au Nigeria – une poignée – qui seront les grandes gagnantes de ce changement de politique car "ce seront elles qui fixeront les prix" au risque de créer un "monopole".
- "Bonne direction" -
"C'est une énorme perturbation, beaucoup d'acteurs de la filière ne dorment plus", constate Mohammed Ahmed Kontagora, président de l'association nationale des produits à base de karité (NASPAN), qui regrette aussi "ne pas avoir été consulté" par le gouvernement avant l'annonce de cette interdiction "soudaine".
Il demande un délai de 90 jours afin que les vendeurs de noix puissent honorer les contrats passés et estime toutefois qu'il s'agit d'une "bonne mesure sur le long terme".
Pour Nuhu Gworgwor, professeur à l'université de Jos, cette mesure va "dans la bonne direction".
"Cela peut améliorer notre capacité à être compétitifs sur le marché mondial. Cela augmentera nos revenus en apportant une valeur ajoutée au produit localement et améliorera notre économie", affirme-t-il.
"L'année dernière, les prix des noix étaient très élevés et les transformateurs n'ont pu acheter que de petites quantités, cela n'arrivera pas cette année", se réjouit la Shea Women Association of Nigeria (SWAN).
L'expansion d'une filière de transformation locale profitera aux consommateurs nigérians, estime de son côté Ikemesit Effiong, du cabinet de conseil SBM Intelligence, car "les produits de beauté fabriqués au Nigeria seront plus compétitifs en termes de prix".
Les Nigérians sont en proie depuis plus de deux ans à la pire crise économique du pays depuis 30 ans, avec une inflation qui a dépassé les 20% en 2025 et un taux de pauvreté qui s'accroît.
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