
Aisne: des lacunes de la justice affleurent au procès du "cold case" Nadège Desnoix ( AFP / Damien MEYER )
Pourquoi l'enquête sur le meurtre de la lycéenne Nadège Desnoix en 1994 a-t-elle pris presque trois décennies? Certains errements de la justice ont été pointés du doigt mardi, au deuxième jour du procès d'un homme jugé pour ce crime.
La cour d'assises de l'Aisne est chargée depuis lundi de faire la lumière sur cette affaire longtemps restée un mystère, l'un des plus anciens "cold cases" en France à aboutir devant les tribunaux.
"On aurait pu gagner au moins dix ans", a regretté auprès de l'AFP Me Gérard Chemla, avocat des frères et de la sœur de la victime, déplorant des années d'investigations où "il ne s'est rien passé".
Le corps de Nadège Desnoix, 17 ans, a été retrouvé fin mai 1994 lacéré de coups de couteau sur un sentier menant à son lycée de Château-Thierry (Aisne), sans trace de défense ni d'agression sexuelle.
Une cordelette, une rose fraîchement cueillie et une enveloppe renfermant les mots "rest in peace" ("repose en paix", NDLR) ont été découverts à proximité.
Ce n'est qu'en 2021, 27 ans après les faits, que l'ADN de Pascal Lafolie, enregistré quelques mois plus tôt dans le cadre d'un signalement pour violences conjugales, s'avère correspondre avec celui retrouvé sur le chouchou que Nadège Desnoix portait au moment de sa mort.
Cet homme, 58 ans aujourd'hui, est initialement passé aux aveux en garde à vue, avant de se rétracter. Il a de nouveau clamé son innocence lundi à l'ouverture de son procès, et est resté de marbre depuis.
Il assure que sa mémoire lui fait défaut mais il reconnaît avoir croisé l'adolescente avec son frère. Il accuse ce dernier, décédé en 2021, d'être l'auteur du meurtre, mais son implication a été écartée durant l'enquête. Ce frère a été exhumé pour un prélèvement ADN, et les tentatives de correspondance n'ont rien donné.
"Est-ce-que l'ADN vole ?", a lancé la présidente de la cour à l'un des experts en génétique entendus mardi. Négatif, assure l'un: "l'ADN retrouvé sur le chouchou de l'adolescente montre avec quasi-certitude qu'il y a eu un contact direct avec la peau de M. Lafolie".
En réponse, Me Justine Devred, avocate de la défense, s'est interrogée sur une possible "contamination" du chouchou lors des expertises en laboratoire, comme cela peut parfois arriver, selon l'un des experts, lorsque deux ADN sont traités au même endroit au même moment.
- "vie totalement différente" –
Une question demeure aussi en arrière-plan: pourquoi Pascal Lafolie ne figurait-il pas déjà au Fnaeg (Fichier national automatisé des empreintes génétiques) avant 2021, alors qu'il avait auparavant été condamné à de la prison ferme pour une agression sexuelle en 1996, puis un viol en 2000?
Créé par une loi de 1998, le Fnaeg centralise les ADN non identifiés (retrouvés sur les lieux d'une infraction) et ceux des personnes condamnées ou mis en cause dans des enquêtes judiciaires.
Pour les affaires de 1996 et 2000, "ce n'est pas de la mauvaise volonté, ce ne sont pas des manquements, c'est juste que cet outil (le Fnaeg, NDLR) n'existait pas, ou n'était pas encore suffisamment alimenté", a estimé la présidente de la cour.
"À partir de 2003, ça devait être systématique sur toutes les affaires, y compris les affaires passées", a cependant fait remarquer Me Chemla.
Pour l'affaire Desnoix, Pascal Lafolie n'aurait toutefois pas pu être confondu par son ADN avant 2011, quand des expertises supplémentaires sur les scellés ont mis en évidence de nouveaux profils génétiques, grâce à l'amélioration des technologies.
Si l'identification d'un suspect n'avait pas tant tardé, "on aurait probablement eu une vie totalement différente", a regretté devant la presse un frère de la victime, William Desnoix, en colère contre ce qu'il estime être une "faute grave" de la justice.
Me Chemla s'est aussi étonné qu'aucun rapprochement n'ait été fait entre les affaires de 1996 et 2000 et le meurtre de Nadège Desnoix.
Car toutes ont eu lieu dans un rayon de 30 km autour de Jouarre (Seine-et-Marne) où résidait Pascal Lafolie, et dans des circonstances similaires.
Autrefois, il y avait "peu de communication" entre les services enquêteurs qui travaillaient sur leurs zones respectives, selon une commissaire de police interrogée à l'audience. "Les dossiers n'étaient pas informatisés, c'était très compliqué de faire des regroupements d'affaires", a-t-elle expliqué.
S'il est reconnu coupable à l'issue des débats prévue jeudi, Pascal Lafolie encourt 30 ans de réclusion criminelle.
0 commentaire
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer