kero > un ancien, et à la demande de Mimine qui me relance sur un autre forum; un peu de lecture:
SOITEC SILICON : REPAS BOURSO À MARSEILLE.LE NEVEU.BIS.
kerosene
27 mars 201510:22
cette fois mimine, tu le copies,comme ça tu pourras le remettre quand tu voudras.
C'était Mimine au téléphone:
- Allo?
La voix était jeune, libre, exactement comme je l'avais toujours imaginée.
- Allo! J'appelle pour la Réunion.
- La Réunion? Non, moi c'est Madagascar!
Elle avait un rire clair comme le soleil de Cassis.
- C'est le neveu à l'appareil. Je peux venir à la réunion des anciens du forum de Boursorama?
- Le neveu? T'en as un drôle d'acceng'
Et moi, bien sûr:
- Meuh nan. J'eu pô d'accent!
Ensuite, elle m'a donné les coordonnées d'une brasserie à Marseille, où elle avait déjà réservé une table. Elle m'a recommandé d'être là dès 18 heures. On prendrait l'apéritif, et ensuite, on mangerait.
Evidemment, pour des raisons purement logistiques, j'étais là bien avant l'heure dite. J'étais bien calé dans mon fauteuil, que l'on avait placé au bout de la longue table où le couvert n'était pas encore mis.
Le premier à arriver fut Bip, peut-être parce qu'il venait en voisin. Il m'a tendu la main en hésitant. Il m'a demandé qui j'étais, et quand je le lui ai dit, il m'a regardé longuement dans les yeux en répétant: "Oh mon povre! Oh mon povre! Mais pourquoi tu nous as jamais rien dit?"
C'est ce que tous les autres, ou presque, m'ont demandé à chaque fois. Mais quoi, que leur dire? Que j'étais une loque humaine? Que j'étais condamné à passer le restant de ma vie dans un fauteuil roulant? Qu'il fallait m'excuser si mes vannes n'étaient pas toujours drôles? Et me passer tous mes caprices, ou presque, sous prétexte que j'avais une mobilité plus que réduite???
Quand même, au bout d'un moment, ils ont oublié le fauteuil, et ont commencé à me considérer comme quelqu'un de tout à fait habituel, quelqu'un d'un peu inoffensif, même Migi ne semblait plus effrayé.
- Mais alors, tout ce que tu racontais, Verkhoiansk, le carottage du permafrost, tout ça, c'était du pipeau?
- C'était de la flûte traversière!
Kérosène m'a confié qu'il s'en doutait que je ne nageais pas le papillon. Mais là, j'ai dû lui dire que si, et que même, c'était la seule nage que je pouvais nager, parce que les ondulations de la nage me permettaient d'empêcher mes jambes de couler. Il a regardé mes bras puis mes épaules, et il n'a rien répondu.
Peu après, Delsha est venue s'asseoir à côté de moi, et elle m'a fait un de ces longs discours dont elle a le secret: ">>Je me suis toujours doutée qu'il y avait une "cassure" en toi. >>Mais je ne me doutais pas que c'était "physique"". "Moi aussi" a dit Cranston.
Je leur ai assuré que finalement, cela ne changeait pas grand chose, et j'ai dit à Delsha: "Tu vois, on peut être belle et perspicace!".
Elle a eu un sourire grand comme une porte de prison qui s'ouvre et ses yeux étaient ceux du prisonnier qu'on libère...
C'est à ce moment-là que Gollum m'a fait un clin d'oeil, et que je me suis demandé si il se doutait de quelque chose.
On était assez nombreux: j'étais étonné du nombre de forumeurs qui s'étaient déplacés. On a bien mangé, et dans l'ensemble, nous avons passé une très bonne soirée. Même Robaire semblait heureux:
- Mais pourquoi tu m'appelles Robaire? Je m'appelle Roland, pas Robaire!
- Je sais Robaire...
C'est Dp1 qui fut le dernier à partir. Et j'ai été rassuré quand il m'a dit qu'il repartait en TER, car il n'était plus vraiment en état de conduire. Il est sorti dans la nuit noire, et il est rentré vers sa Corrèze, sa femme, son voisin Raymond et ses chèvres.
Juste après, le type de la société de la location est arrivé. Je me suis levé, et je l'ai aidé à replier le fauteuil roulant. Il l'a embarqué dans une camionnette ad hoc et j'ai entendu une voix derrière moi qui disait:
- Mais pourquoi vous avez fait ça?
C'était le barman, qui voulait savoir pourquoi j'avais fait ça. Je me suis retourné, et je lui ai dit:
- Parce que vous croyez qu'on peut passer des années à sortir les pires vacheries à chacun des membres d'un forum, et ensuite rencontrer ces personnes sans prendre un minimum de précautions?
- Précautions?
- Vous avez déjà vu quelqu'un taper sur un invalide?
- Non... On vous a jamais dit que vous aviez un drôle d'accent?
- Vous connaissez Montreuil sur Mer?
- Montreuil? Près de Paris?
- Laissez tomber. Ou plutôt non, mettez-moi une bouteille de Zelonaya Marka au congelo.
- Elle va geler, non?
- La vodka ça ne gèle pas.
- Vous me la réglez de suite?
Prenez un satellite sur une orbite géostationnaire, et admettez que, pour une raison indéfinie, ce satellite quitte son orbite. Vous serez d'accord avec moi, je pense, pour dire de sa trajectoire qu'elle est astronomique et exorbitante? Exactement comme le prix qui me fut demandé pour cette bouteille de vodka. C'est une des raisons pour lesquelles je ne pourrais pas vivre à Marseille. Ajoutez à cela que quand même, ils ont un drôle d'accent...
Ceci étant, je me suis dirigé vers une table tranquille au fond de la salle, et j'ai entamé le dernier chapitre de l'excellente biographie de Churchill écrite par François Kersaudy. Le vieux bouledogue britannique avait maintenant près de 90 ans, et n'était plus en âge d'exercer un rôle majeur dans la politique de son pays. Aussi décida-t-il de ranger son chevalet et ses pinceaux, et de partir pour une croisère indéfinie en Méditerranée, à bord du "Christina", le yacht de son ami Onassis. Le but étant de faire relâche dans tous les ports dotés d'un casino...
Après la mort de Churchill, je me suis levé, et me suis dirigé vers le bar. J'ai demandé deux verres à vodka au moment même où un taxi s'arrêtait devant la porte. Toutes les conversations se sont arrêtées au moment où la jeune femme qui venait d'entrer, trop grande pour une asiatique et un peu trop maquillée se dirigea vers moi, en regardant, comme à son habitude, un point indéfini situé juste au dessus de mon épaule gauche.
In petto, j'ai remercié mon ange gardien. Chaque fois que la princesse kazakhe me parlait, cela me faisait des frissons jusque dans la moelle épinière:
- Fransuscha, I khatshu vodka. Pajalusta.
- Davaï!
La bouteille était tellement froide que mes doigts collaient dessus. Ca m'a fait penser aux grandes étendues gelées de la Sibérie profonde. Le GAEC (*) m'avait finalement convaincu de repartir pour une campagne de carottage, mais cette fois le chantier était situé beaucoup plus loin, au milieu de nulle part. Financièrement parlant, c'était plus qu'intéressant. Cela nous laissait quelques jours pour faire du tourisme sur la côte, et puis il faudrait que je prenne mon avion pour Moscou, et puis le long vol vers Verkhoiansk.
Je me suis dit que ça risquait de me tenir éloigné des forums pour un bon bout de temps.
Le neveu
(*) GAEC: Groupement des Associations Ecologiques Européennes