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«On m'a dit que mes virements étaient bloqués parce que j'étais Russe» : les mésaventures des Russes avec les banques en France
information fournie par Le Figaro 31/03/2022 à 19:38

La guerre en Ukraine et les sanctions internationales contre la Russie semblent éclabousser des dizaines de simples ressortissants russes en France.

Sous couvert de guerre en Ukraine et des sanctions internationales contre la Russie qui en découlent, les banques françaises auraient-elles dans leur viseur tous les ressortissants russes résidant en France sans distinction ? C'est ce que dénoncent depuis quelques jours des dizaines de simples usagers bancaires russes en France, scandalisés de voir des virements bloqués ou encore de se voir refuser l'ouverture d'un compte. Parfois sans aucune raison affichée, mais souvent sous prétexte de leur nationalité.

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« Comme c'était la fin du mois, je n'avais plus que 31 euros sur mon compte courant et je voulais donc faire un transfert d'argent entre mon livret A et mon compte courant », raconte Anastasia, 31 ans. La jeune femme se rend donc comme d'habitude sur l'espace en ligne de sa banque, Société Générale, mais un message d'erreur apparaît, sous le motif nébuleux d'« opposition crédit impayé ». « J'ai appelé mon conseiller tout de suite, qui m'a passé la directrice de l'agence. Elle m'a dit que mes virements étaient bloqués parce que j'étais Russe, vu la situation politique. Et que la seule solution était de se rendre en agence », explique celle qui habite en France depuis deux ans et demi. Elle ne peut alors retenir ses larmes, face à une situation qu'elle juge « très choquante ».

Katia*, 28 ans, raconte elle s'être sentie « humiliée, discriminée », lorsqu'elle a reçu une réponse écrite de sa conseillère. « Du fait des événements géopolitiques, nous sommes obligés de respecter la réglementation sur les comptes de clients d'origine russe », lui écrit-elle, ajoutant que « jusqu'à nouvel ordre, tous les virements au crédit sur vos comptes doivent passer par l'agence ». Une pratique « abusive » et « arbitraire », considère Michel Guillaud, président de l'association de défense des usagers bancaires France Conso Banque. Léna*, franco-russe de 63 ans, est, elle, obligée d'insister auprès de sa banque, le CIC, pour qu'on daigne lui fournir une explication. « Le directeur de l'agence était mal à l'aise. Il m'a dit : “Nous sommes dans une situation un peu délicate, parce que vous êtes d'origine russe. Donc il faut que nous validions manuellement toutes les opérations financières que vous faites ”», raconte cette experte judiciaire assermentée.

Aucune discrimination, selon les banques

Sur les réseaux sociaux, les témoignages de cette nature se multiplient, évoquant surtout la Société Générale, mais aussi BNP Paribas ou encore Crédit Mutuel/CIC. La patronne de la chaîne d'information russe RT France, Xenia Fedorova, a elle aussi accusé mercredi Société Générale d'avoir « bloqué les comptes privés (sur lesquels sont versés) les salaires de plusieurs de nos collaborateurs russes en France », sur sa chaîne Telegram en russe. Sur cette messagerie cryptée, un groupe a été créé par des victimes de ces pratiques, qui rassemble aujourd'hui plus de 1000 membres. Ceux-ci cherchent à s'organiser pour lancer une procédure collective contre les banques concernées. Une pétition sur le site Change.org a par ailleurs été lancée lundi et a depuis été signée par plus de 2000 personnes.

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Les banques se défendent de toute discrimination envers les ressortissants russes. Principale mise en cause, la Société Générale affirme au Figaro ne pas bloquer ou fermer de comptes de personnes n'étant pas sous régime de sanctions européennes. Elle justifie les mésaventures de ses clients russes par « la réglementation bancaire, qui impose la vérification des données de ses clients ». Des contrôles plus poussés en ce moment, du fait des sanctions internationales contre la Russie que doivent appliquer les établissements bancaires européens. Ils peuvent aboutir dans certains cas à « des retards ou des blocages », concède Société Générale, « si le client n'a pas mis à jour ses données personnelles ». Contactée, la direction générale du Trésor déroule le même argumentaire. « S'agissant des virements, le régime de sanctions en vigueur implique naturellement des diligences renforcées de la part des banques », explique la direction rattachée à Bercy. Du côté de BNP Paribas, on martèle qu' « il n'y a pas de traitement différent pour quelque nationalité que ce soit ». « Nous continuons d'exercer notre devoir de surveillance constante, en veillant au respect des obligations réglementaires qui s'imposent à l'ensemble des établissements bancaires », ajoute-t-elle.

Le problème réside alors peut-être dans le manque de communication des établissements bancaires auprès des usagers russes, parfois laissés seuls face à leurs interrogations et leurs craintes. « Ma banque me dit juste “je ne sais pas pourquoi c'est bloqué”, “j'ai fait remonter le problème, la levée du blocage doit être réalisée par Paris, cela peut prendre encore quelques jours, je vous tiens informé dès que possible”. Et elle m'ignore quand je demande des explications », raconte Irina*, 27 ans. Et ceux qui in fine arrachent une explication affirment ne pas avoir été prévenus en amont de la nouvelle politique de leur établissement. D'où leur inquiétude lorsqu'ils ont vu leurs virements « disparaître » du jour au lendemain. « Bien sûr que ça pose des problèmes dans ma vie quotidienne, parce que je ne reçois pas mon salaire, alors que je dois payer mon loyer, ma facture d'électricité, etc. Et comment je peux le faire sans salaire ? », s'interroge Irina*.

Refus d'ouvrir un compte

Depuis, certains ressortissants russes ont vu leur problème résolu, après avoir fourni plusieurs documents administratifs. Parfois à la demande de l'établissement lui-même, comme Andreï, 26 ans, de nationalité biélorusse, dont la conseillère lui a demandé son avis d'imposition et sa fiche de paie. « Elle m'a dit que mon compte était bloqué parce qu'il y avait des pièces manquantes à mon dossier », raconte-t-il. Alexandra*, ressortissante russe de 23 ans, a elle dû se débrouiller pour trouver une solution. Avec son mari, elle s'est rapprochée d'une avocate. Puis, alors que la banque ne lui avait rien demandé, elle lui a envoyé son titre de séjour et son avis d'imposition. « C'est ça qui a permis de débloquer la situation », assure Franck*, son conjoint.

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Par ailleurs, certains racontent s'être vus opposer une fin de non-recevoir lorsqu'ils ont tenté d'ouvrir un nouveau compte. Après sa déconvenue à la Société Générale, Anastasia indique s'être tournée vers BNP Paribas, avec son compagnon français, pour ouvrir un compte joint. Sans plus de succès. « La banque nous a dit qu'on ne pouvait pas y ouvrir de compte joint au vu du contexte politique, parce qu'il y a une ressortissante russe dans le compte. »

Tout ce qui est lié à la Russie aujourd'hui semble effrayer les banques françaises. Antoine peut en témoigner. Le jeune homme, qui a par le passé travaillé à Moscou au Collège universitaire français pendant trois ans, s'est heurté à des refus ou des silences des banques hexagonales, au moment de demander l'ouverture d'un compte bancaire pour l'association d'aide aux étudiants russes qu'il voulait créer. « L'une d'elles m'a dit que le côté russe posait problème », relate-t-il. Une pratique tout à fait légale, rappelle Me Florian Desbos, avocat au barreau de Lyon spécialiste du droit bancaire, puisque « les banques peuvent librement refuser d'ouvrir un compte, elles n'ont pas à motiver leur décision ». Des portes closes auxquelles se sont heurtés également des réfugiés ukrainiens, relève Michel Guillaud, de l'association France Conso Banque. Ce que contestent les banques, notamment BNP Paribas, qui affirme avoir « normalement ouvert des comptes, dans toutes nos régions, depuis le début du conflit ».

*Le prénom a été changé.

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