Le capitaine Joaquim Correia Bernardo, ancien combattant âgé de 84 ans, se souvient comme si c'était hier de la révolution qui a renversé la dictature au pouvoir au Portugal il y a de cela 50 ans. Il avait une trentaine d'année lorsqu'il a aidé à préparer le coup d'Etat du 25 avril 1974, qui avait permis l'avènement de la démocratie. Pour Joaquim Correia Bernardo, les valeurs de Salgueiro Maia, un capitaine de l'armée portugaise ayant joué un rôle de premier plan lors de la révolution, doivent être préservées. "La liberté ne peut être compromise", a-t-il dit alors qu'il se tenait près de la statue de Salgueiro Maia dans la ville de Santarem, à 80 kilomètres au nord de Lisbonne. Ses mots prennent un sens particulier dans un contexte de montée de l'extrême droite au Portugal. Joaquim Correia Bernardo était resté à Santarem en 1974, alors que des véhicules quittaient une base militaire pour rejoindre la capitale. Il était chargé de mettre en oeuvre un "plan B" si le coup d'Etat échouait. La "révolution des oeillets" a toutefois réussi, mettant fin à 48 ans de dictature et permettant à la majeure partie des colonies portugaises dans le monde de devenir indépendantes. Mais, si des milliers de personnes sont attendues lors des célébrations du 50e anniversaire de la fin de la dictature, l'extrême droite progresse dans le pays. Le parti d'extrême droite, Chega, a confirmé son essor lors des élections législatives du mois dernier en quadruplant sa représentation parlementaire et en devenant la troisième formation politique du Portugal. Pour Joaquim Correia Bernardo et des universitaires, la montée de Chega est due au fait que certains électeurs ont la sensation que les hommes politiques ont échoué à satisfaire les besoins des citoyens. "CRI DE COLÈRE" Joaquim Correia Bernardo a déclaré que Chega a profité du fait que les précédents gouvernements ont échoué à répondre aux mécontentements provoqués par la crise du logement ou les bas salaires. Selon lui, voter Chega représentait sûrement un "cri de colère". Une étude réalisée par l'Institut des sciences sociales de l'université de Lisbonne et l'Institut Universitaire de Lisbonne publiée vendredi montre que 34% des personnes interrogées estiment que la situation en matière de logement est pire aujourd'hui qu'elle ne l'était avant la révolution. Pour 42% des personnes interrogées, le marché de l'emploi s'est détérioré par rapport à la période précédant la révolution, et quelque 66% des personnes ayant participé à l'étude estiment que la corruption est désormais plus répandue. Plus de la moitié des personnes interrogées ne souhaitent pas qu'un nouveau régime autoritaire soit instauré, mais 23% des participants à l'étude ont dit que si les hommes politiques actuels suivaient les "idéaux" de l'ancien dictateur Antonio de Oliveira Salazar, le Portugal pourrait "retrouver sa grandeur". "Un récit créé lors du régime (dictatorial) a résisté à (la révolution du) 25 avril et persiste 50 ans plus tard", a expliqué Filipa Madeira, l'une des auteurs de l'étude. Vicente Valentim, politologue de l'université d'Oxford qui a écrit un livre sur l'extrême droite, a déclaré que certains électeurs avaient voté pour Chega car ils se sentaient "délaissés", mais que beaucoup adhéraient à l'idéologie du parti, notamment à ses positions racistes et xénophobes. "Le Portugal semblait immunisé contre la droite radicale, et soudain, cela a changé", a dit Vicente Valentim. "Il est important de comprendre ce qu'il s'est passé, car il est impossible de combattre un phénomène sans comprendre ses causes." (Avec la contribution de Pedro Nunes; version française Camille Raynaud, édité par Blandine Hénault)
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