L'euro s'est fortement affaibli face au dollar au cours des derniers mois.
La parité entre l’euro et le dollar est devenue un sujet de réflexion quotidien. Assistons-nous réellement à ce que certains économistes ont baptisé « la guerre des monnaies » ? Non, estime Catherine Lubochinsky, qui explique pourquoi il convient d’apporter une réponse nuancée.
La stratégie des dévaluations compétitives est connue depuis bien longtemps, son efficacité limitée l’est également. Certains pensent que nous sommes actuellement dans une telle configuration. C’est oublier que :
- La taille actuelle du marché des changes rend inopérante des interventions directes . L’étude triennale de la Banque des Règlements Internationaux évalue à 5.333 milliards de dollars le volume quotidien de transactions sur ce marché (avril 2013). La volte-face de la Banque Nationale Suisse, le 15 janvier dernier, a confirmé que l’impossible trinité n’est pas une fable : en présence de mobilité parfaite des capitaux, maintenir la parité d’une devise entraîne la perte d’indépendance de la banque centrale, d’où l’apparition de conflits entre objectif interne et objectif externe de la politique monétaire.
- Le cours des devises fluctue, leur volatilité aussi . Le facteur explicatif principal de ces évolutions dépend des facteurs économiques fondamentaux. Ainsi, au deuxième semestre 2014, l’appréciation du dollar vis-à-vis des devises du G10 et des devises émergentes s’explique par un différentiel de croissance vis-à-vis de la Zone Euro et du Japon, une baisse du cours du pétrole et des matières premières, et des différentes politiques monétaires. Certes, des écarts importants peuvent persister par rapport aux fondamentaux comme, par exemple, le rapport aux déficits des balances de paiement courants. Cette approche en termes de parité des pouvoirs d’achat ne constitue qu’une force de rappel qu’à très long terme.
À plus court terme, ce sont les différentiels de taux d’intérêt qui vont influencer l’évolution des cours de change. Dire qu’il y a une guerre de monnaies revient à dire que les taux d’intérêt sont manipulés par les autorités monétaires en vue d’influencer la parité de leur monnaie. Avec des taux d’intérêt quasi nuls, voire des taux de dépôts auprès des banques centrales négatifs, les marges de manœuvre s’amenuisent.
Quand la FED, la Banque d’Angleterre, et dans une moindre mesure la BCE, baissent les taux d’intérêt et injectent massivement des liquidités en 2008, ce n’est pas pour manipuler les taux de change. Les QE1, QE2 et QE3 de la FED avaient comme objectif prioritaire de relancer le marché du crédit, en particulier le marché du crédit immobilier américain. Quand la BCE annonce puis met en œuvre son QE, l’objectif ultime n’est pas une baisse de l’Euro. Cette baisse n’est que le corollaire de celle des taux européens alors qu’aux Etats-Unis se profile une remontée des taux d’ici la fin de l’année, compte tenu de la croissance économique.
Dire que les autorités américaines ne s’inquiètent pas des conséquences de la forte remontée du dollar sur leur balance commerciale serait excessif. Dire que l’objectif de la BCE dans la conduite de sa politique monétaire est l’évolution du cours de l’Euro serait plus qu’excessif ! Dire que les intervenants sur le marché des changes sur-réagissent est un euphémisme : l’abandon du mot « patience » dans le discours de Janet Yellen a fait bondir l’Euro/USD de 1,06 à 1,10 en quelques heures pour rebondir à 1,08… guerre des monnaies ou guerre des nerfs ?
Catherine Lubochinsky
Catherine Lubochinsky est professeure à l'université Paris II Panthéon-Assas. Elle est également membre du Conseil Scientifique de UniCrédit and Universities Foundation (Milan), et membre du European Shadow Financial Regulation Committee.
Ses principaux domaines d'expertise sont les taux d'intérêt, les produits dérivés, la gestion d'actifs et la régulation financière.
Le Cercle des économistes a été créé en 1992 avec pour objectif ambitieux de nourrir le débat économique. Grâce à la diversité des opinions de ses 30 membres, tous universitaires assurant ou ayant assuré des fonctions publiques ou privées, le Cercle des économistes est aujourd’hui un acteur reconnu du monde économique. Le succès de l’initiative repose sur une conviction commune : l’importance d’un débat ouvert, attentif aux faits et à la rigueur des analyses. Retrouvez tous les rendez-vous du Cercle des économistes sur leur site .
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