(Répétition sans changement d'une dépêche diffusée dimanche)
par Noëlle Mennella et Carolyn Cohn
PARIS/LONDRES, 2 novembre (Reuters) - Christopher Viehbacher
a son franc-parler. "C'était la pagaille au Brésil, c'est
pourquoi j'ai décidé de changer le management", avait-il dit à
des analystes financiers en août 2013.
Quinze mois plus tard, il a quitté Sanofi SASY.PA comme il
avait limogé les responsables de la branche brésilienne du
groupe pharmaceutique français, abruptement évincé mercredi de
ses fonctions de directeur général lors d'un conseil
d'administration mené tambour battant au petit matin, "la
pagaille brésilienne" étant citée comme l'un des motifs.
ID:nL5N0SO0IX
Les investisseurs ont été abasourdis, ayant jusque-là perçu
l'affable germano-canadien comme l'un des meilleurs de
l'industrie pharmaceutique en dépit de quelques revers et de
virages difficiles à négocier dans le secteur au niveau mondial.
Les turbulences au sommet de Sanofi ont éclaté au grand jour
le lundi 27 octobre quand une lettre de Chris Viehbacher au
conseil, datée du 4 septembre, a fuité dans la presse. Le
directeur général y parlait de rumeurs de complot contre lui au
sein du conseil et demandait une clarification de sa situation.
Le lendemain, il présentait les résultats trimestriels du
groupe. ID:nL5N0SN0MB
"On a eu une conférence téléphonique et des questions ont
été posées sur sa position, mais il a été rassurant", raconte
Andrea Williams, gérant de fonds Europe chez Royal London Asset
Management. "Et puis à 8h du matin le mercredi, il était parti.
Les actionnaires n'ont eu aucune occasion de dire qu'ils ne
voulaient pas qu'il s'en aille."
En réalité, la crise avec Chris Viehbacher a plutôt couvé
comme le feu sous la cendre. Sa chute conclut l'histoire d'un
patron de haut vol, un ancien de GlaxoSmithKline GSK.L qui
s'est brouillé au fil du temps avec son conseil jusqu'à ce que
des administrateurs cherchent en coulisses à le remplacer, avant
d'être amenés à le faire brutalement lorsque l'affaire est
devenue publique.
Christopher Viehbacher a refusé de répondre aux questions de
Reuters dans le cadre de cet article.
L'autre acteur principal de cette histoire est Serge
Weinberg, figure de l'establishment français, énarque et
président d'un fonds d'investissement, qui a rejoint le conseil
de Sanofi après l'arrivée de Chris Viehbacher dans le groupe en
2008. Serge Weinberg a pris la présidence du conseil en 2010, et
doit maintenant assurer l'intérim à la tête du groupe jusqu'à ce
qu'un nouveau directeur général soit nommé.
AVERTISSEMENT DE MEMBRES DU CONSEIL
Selon le récit qu'il en a fait aux analystes la semaine
écoulée, la patience du conseil vis-à-vis de Chris Viehbacher,
sur la forme comme sur le fond, s'amenuisait déjà lorsque ce
dernier justifiait en 2013 ses décisions au Brésil.
"La focalisation sur l'exécution n'était pas suffisante", a
déclaré Serge Weinberg. "Comme vous vous en souvenez
probablement, 2013 n'était pas très satisfaisant de ce point de
vue."
Les demandes de Reuters de joindre Serge Weinberg pour de
plus amples explications n'ont pas abouti.
Lors de cette même présentation d'août, Chris Viehbacher
avait annoncé des résultats trimestriels de médiocre facture et
abaissé les perspectives du groupe pour l'exercice 2013. Trois
mois plus tard, Sanofi avait lancé un deuxième avertissement sur
ses résultats annuels.
Sur la forme, selon une source proche des réunions du
conseil, Chris Viehbacher avait été prévenu l'an dernier par au
moins deux administrateurs, qui lui avaient demandé d'être plus
diplomate dans les négociations avec les syndicats concernant la
restructuration des activités de R&D du groupe en France.
Son style direct et résolu, qui lui a permis de mener à
bonne fin l'acquisition de la biotech américaine Genzyme en
2011, une opération à 20 milliards de dollars mais transformante
pour le laboratoire français, a valu à Chris Viehbacher des
relations délicates avec les puissants syndicats français et un
gouvernement sourcilleux sur les questions d'emploi.
"Le style de management de Chris n'était pas adéquat", a
résumé Serge Weinberg lors du call avec les analystes. Il a
insisté sur le fait que la décision du conseil d'évincer
immédiatement Chris Viehbacher avait été prise à l'unanimité.
Jusqu'en février 2014, cependant, aucun signe extérieur ne
laissait deviner les discordances croissantes entre le directeur
général et le conseil.
Même si le résultat net des activités était en baisse de
9,6% pour l'exercice 2013, et s'ils espéraient mieux que la
croissance de 4% à 7% du bénéfice par action visée pour 2014,
les investisseurs comprenaient que tous les laboratoires étaient
confrontés au problème d'expiration de brevets et de réductions
des dépenses de santé par les pouvoirs publics en Europe.
En quête de croissance, Sanofi a mis l'accent sur le
diabète, les maladies rares, les marchés émergents, les
médicaments sans ordonnance, la santé animale et les génériques,
autant de lignes stratégiques qui semblaient faire sens.
Mais Chris Viehbacher voulait faire plus. Il cherchait les
moyens d'améliorer le profil de croissance du portefeuille de
Sanofi en se débarrassant des médicaments matures, ceux dont le
chiffre d'affaires est amené à s'amenuiser d'année en année.
Beaucoup de ces produits étant fabriqués en France, les
conséquences sur les effectifs du groupe en France semblaient
inévitables.
LES INFORTUNES DU LANTUS
Selon Serge Weinberg, Chris Viehbacher et le conseil
d'administration étaient déjà au fait, à ce stade, d'une autre
bourrasque qui s'apprêtait à souffler : une forte baisse
attendue des revenus aux Etats-Unis de l'insuline Lantus, le
médicament phare de Sanofi dans le traitement du diabète dont le
brevet arrivera à expiration en 2015.
En raison de la forte concurrence sur le marché américain
des traitements antidiabétiques, Sanofi est contraint de
concéder des remises de prix sur le Lantus.
Les investisseurs n'avaient pas entendu parler de cette
question avant mardi dernier lorsqu'un directeur général déjà
fragilisé a présenté, 24 heures tout juste avant son éviction,
les résultats financiers du groupe au troisième trimestre.
Soit qu'il ait fait peu de cas des avertissements du conseil
concernant la sensibilité de la question de l'emploi en France,
soit au contraire qu'il ait été très inquiet de ces risques,
Chris Viehbacher a décidé de ne pas informer le conseil de la
revue du portefeuille de produits matures, qui a finalement
"fuité" dans la presse cet été. ID:nL6N0PR3IP
Cela a peut-être été la goutte d'eau qui a fait déborder le
vase pour Serge Weinberg, qui a cité cet exemple pour illustrer
le manque de communication de Chris Viehbacher avec le conseil,
disant que c'est à peu près au même moment qu'il a commencé à
discuter d'un changement de directeur général.
Chris Viehbacher a dit à Reuters juste avant son renvoi que
cette revue de portefeuille n'étant jamais devenue un projet
concret, il n'y avait nul besoin d'en faire part.
Un investisseur a estimé qu'il aurait sans doute été bien
avisé de le faire. "En tant que DG, n'essayez pas de vendre un
portefeuille de médicaments de huit milliards de dollars sans en
informer le conseil si vous voulez garder votre job !", a
commenté Geir Lode, directeur de Hermes Global Equities.
Serge Weinberg a aussi blâmé Chris Viehbacher pour les
problèmes liés au Lantus. "Il était clair au début de l'année
que nous avions un problème qu'il fallait résoudre", a-t-il dit.
"Il est apparu que la gestion de notre force de vente pour
le Lantus aux Etats-Unis aurait pu être meilleure. Je ne veux
pas m'étendre là-dessus mais, clairement, nous n'avons pas été
aussi bons que nous aurions dû l'être dans la gestion de notre
force de ventes sur ce marché."
DES QUESTIONS SANS RÉPONSE
Un autre sujet qui a fait surface à peu près en même temps
que celui des produits matures a été le déménagement de Chris
Viehbacher de Paris à Boston, à deux pas du siège de la filiale
Genzyme et au coeur de l'industrie des biotechnologies. Un
porte-parole du groupe l'avait expliqué en invoquant des raisons
familiales.
Serge Weinberg, par téléphone avec les analystes, a eu
apparemment du mal à dire si ce départ de France a été un
problème ou pas :
"Bien sûr, la décision (d'aller s'installer à Boston)
n'était pas un problème. Nous étions informés. Il n'y a pas eu
discussion là-dessus, nous comprenions, mais clairement, du
point de vue du fonctionnement, cela a probablement rendu les
choses un petit peu plus difficiles même si cela n'a pas été une
question qui a compté dans la décision que nous avons prise."
Mais les relations entre Chris Viehbacher et Serge Weinberg
étaient désormais mauvaises. "Ça grognait beaucoup", a dit une
source proche du conseil.
Au final, beaucoup de questions restent sans réponse,
notamment pourquoi Serge Weinberg a pensé qu'il pouvait chercher
un remplaçant à Chris Viehbacher sans craindre que celui-ci ne
l'apprenne, comment la lettre du directeur général a pu rester
secrète pendant près de deux mois, jusqu'à quel point la
performance ou la personnalité ont pesé dans la balance et s'il
y a d'autres problèmes non révélés.
La priorité, maintenant, est de rassurer les investisseurs
et d'annoncer un successeur.
"Ce que l'on peut regretter, c'est qu'apparemment la
mésentente entre le conseil et Viehbacher était connue, la
recherche d'un successeur avait démarré plus ou moins
officiellement, et on fait apparaître le désaccord sur le marché
sans avoir de plan B", commente Philippe Soullier, président du
cabinet de management de transition Valtus.
Serge Weinberg doit en priorité rassurer le comité exécutif
du groupe, dont neuf des onze membres ont été nommés alors que
Chris Viehbacher tenait la barre. "L'équipe qu'il a mise en
place risque aussi de s'en aller", a estimé Alain J. Gilbert,
coprésident de Bionest, cabinet de conseil en stratégie dans le
domaine de la santé.
Serge Weinberg devra prendre la place de Chris Viehbacher le
20 novembre devant les investisseurs lors du séminaire de Sanofi
consacré aux nouveaux médicaments, qui aura lieu justement au
siège de Genzyme à Cambridge, dans le Massachusetts, près du
nouveau domicile américain de Chris Viehbacher.
"L'orientation stratégique du groupe est maintenant bien
plus incertaine", commente Geir Lode (Hermes Global Equities).
"Etant donné les défis auxquels l'entreprise est confrontée en
termes de croissance, en particulier dans le domaine du diabète,
c'est un investissement beaucoup plus difficile à justifier."
(Rédigé par Andrew Callus, avec Dominique Rodriguez pour le
service français, édité par Marc Joanny)
Vous devez être membre pour ajouter un commentaire.
Vous êtes déjà membre ? Connectez-vous
Pas encore membre ? Devenez membre gratuitement
Signaler le commentaire
Fermer