par Orhan Coskun et Nick Tattersall
ISTANBUL, 20 juillet (Reuters) - La Turquie devait annoncer
mercredi une série de mesures d'urgence censées permettre le
retour à la stabilité et à prévenir des retombées économiques
après la tentative avortée de coup d'Etat du 15 juillet, qui a
conduit Ankara à des purges massives au sein de l'armée, de la
police, de l'administration et de l'éducation nationale.
Quelque 60.000 soldats, policiers, juges, fonctionnaires et
enseignants ont été suspendus, arrêtés ou mis en examen depuis
vendredi.
La chaîne de télévision publique TRT a rapporté mercredi que
le Haut conseil de l'enseignement avait interdit à tous les
universitaires du pays de se rendre à l'étranger jusqu'à nouvel
ordre, une mesure censée empêcher des complices de la tentative
de coup d'Etat de fuir le pays.
"Les universités ont toujours joué un rôle clé pour les
juntes militaires en Turquie et certaines personnes passent pour
être en contact avec des cellules au sein de l'armée", a déclaré
un responsable turc.
Le président Recep Tayyip Erdogan accuse les réseaux du
prédicateur Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis, d'être à
l'origine du putsch manqué de vendredi, qui a fait plus de 230
morts. Il a promis d'éliminer le "virus" responsable du coup
d'Etat dans toutes les institutions du pays.
L'ampleur des purges des derniers jours a suscité
l'inquiétude chez plusieurs alliés occidentaux d'Ankara, qui
craignent qu'Erdogan ne tente d'étouffer toute dissidence
potentielle, y compris en visant des opposants sans aucun lien
avec le putsch.
Erdogan devait présider mercredi un Conseil des ministres
puis un Conseil de sécurité nationale à l'issue desquels une
série de mesures d'urgence devait être annoncée.
Les ministres et les principaux responsables concernés n'ont
pas été informés à l'avance de la tenue de ces réunions.
ANKARA CHERCHE À PRÉSERVER L'ÉCONOMIE
"Le Conseil des ministres est classé au plus haut niveau
pour des raisons de sécurité nationale. Le palais
(présidentiel-ndlr) ne donnera un dossier aux ministres que
juste avant", a dit un haut responsable à Reuters. "Les
ministres ne savent pas encore de quoi il sera question."
Environ un tiers des 360 généraux turcs en fonctions ont été
arrêtés depuis vendredi, a précisé une autre source, précisant
que 99 avaient été inculpés et que 14 autres restaient en état
d'arrestation.
Le ministère de la Défense enquête sur tous les juges et
procureurs militaires et a déjà suspendu 262 d'entre eux, a
rapporté la chaîne NTV. On compte parallèlement 900 suspensions
au sein de la police d'Ankara et la purge vise jusqu'aux
fonctionnaires des ministères de l'Environnement et des Sports.
La menace d'une période prolongée d'instabilité en Turquie,
pays membre de l'Otan et voisin de la Syrie, ébranle par
ailleurs la confiance des investisseurs.
La livre turque TRYOM=D3 est tombée mercredi à son plus
bas niveau depuis dix mois et la Bourse d'Istanbul a chuté de
9,5% .XU100 depuis le début de la semaine.
Le vice-Premier ministre Mehmet Simsek a déclaré à Reuters
que la priorité des mesures examinées mercredi serait d'empêcher
une dégradation de la situation économique.
Dans un témoignage publié par le quotidien Hurriyet et
corroboré par un responsable turc, un colonel d'infanterie
explique que les responsables de la tentative de coup d'Etat ont
tenté de convaincre le chef d'état-major de l'armée, Hulusi
Akar, qui était retenu en otage, de se joindre aux putschistes
pour renverser Erdogan, mais qu'il a refusé.
"Quand il a refusé, ils n'ont pas réussi non plus à
convaincre des officiers de haut rang. Le refus d'Akar de
participer a conduit à l'échec de la tentative de coup d'Etat",
ajoute le procès-verbal publié par le journal.
PLUSIEURS MÉDIAS FERMÉS
Erdogan, le Premier ministre, Binali Yildirim, des ministres
des officiers supérieurs et des généraux étaient censés être
arrêtés un par un pendant la nuit du coup d'Etat, précise-t-il.
Si les alliés occidentaux de la Turquie lui ont manifesté
leur solidarité et leur soutien, ils ont aussi exprimé leur
préoccupation face à l'ampleur et à la sévérité des décisions
prises ces derniers jours, rappelant à Ankara la nécessité de
respecter les principes démocratiques.
Mardi, les autorités ont fermé plusieurs médias présentés
comme des soutiens de Gülen et annoncé la suspension de 15.000
fonctionnaires de l'éducation et de 100 membres des services de
renseignement. On compte en outre 492 suspensions au sein de la
Direction des affaires religieuses, 257 dans les services du
Premier ministre et 300 au ministère de l'Energie.
Ces décisions se sont ajoutées à l'arrestation de plus de
6.000 membres des forces armées, des simples soldats aux
officiers de commandement, et à la suspension de près de 3.000
juges et procureurs. Environ 8.000 policiers ont aussi été
suspendus.
Zeid Ra'ad Al Hussein, haut commissaire de l'Onu aux droits
de l'homme, a exprimé sa "vive inquiétude" mardi et appelé la
Turquie à autoriser des observateurs indépendants à rendre
visite aux personnes incarcérées.
Le ministère des Affaires étrangères a estimé que toute
critique des mesures prises par le gouvernement en réaction à la
tentative de coup d'Etat revenait à soutenir celle-ci.
Ankara a par ailleurs communiqué aux autorités américaines
des documents censés appuyer une future demande formelle
d'extradition de Gülen.
Une telle demande se heurterait à de nombreux obstacles
juridiques et politiques aux Etats-Unis et même si elle était
approuvée par un juge, la décision définitive relèverait du
secrétaire d'Etat, John Kerry, qui peut prendre en considération
des facteurs autre que juridiques.
"J'appelle le gouvernement américain à rejeter toute
tentative d'abus de la procédure d'extradition à des fins de
vengeance politique", a dit Gülen mardi dans un communiqué
publié par un groupe proche de son mouvement.
(avec Humeyra Pamuk, Can Sezer et David Dolan; Marc Angrand
pour le service français)
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